Vis Ma Life - Qui es-tu, Père Noël?
Wilou Riamh
(Voix off présentateur): Bonjour, ici Norbert Gère ! Aujourd'hui, dans Vis Ma Life, nous partons à la rencontre d'une des plus grandes célébrités du monde, et certainement la plus ancienne encore en activité, après Dieu, bien entendu. J'ai nommé Père Noël.
Musique de générique, la voiture avance au Pole Nord, caméra braquée sur un gigantesque chalet en bois. Logo de l'émission:
VIS MA LIFE – QUI ES-TU, PERE NOEL ?
Nous arrivons dans la demeure du Père Noël. Nous sommes en septembre, et je suis certain que vous vous demandez à quoi ressemble sa vie quand ce n'est pas le 25 décembre...
L'équipe frappe à la porte, et un homme ventripotent et hirsute ouvre la porte.
- Bonjour, c'est l'équipe de Vis Ma Life ! Je m'appelle Norbert Gère. Comme Richard. Mais en pas pareil.
Le Père Noël sourit, et serre la main de Norbert.
- Entrez, entrez !
Nous découvrons un chalet richement décoré, loin de l'imagerie populaire d'une maison en pain d'épice, d'un chalet savoyard. Ici, tout est high-tech. Une fois la porte fermée, nous pouvons voir le mobilier moderne, dans une ligné épurée Ikea, ce qui se comprend aisément : la Suède, c'est moins loin que Conforama.
Père Noël mène Norbert et le caméraman dans son salon noir et blanc, très design. Seul élément coloré, ce grand tableau représentant les Caraïbes, au-dessus de la cheminée. Tout le monde s'assied. Norbert prend la parole.
- Alors, Père Noël. Je peux vous appeler Père ?
- En fait, je m'appelle Gontrand, mais le managment m'a dit de laisser tomber ce nom, comme quoi, c'est pas très in, ni très crédible, pour quelqu'un de mon statut. Vous pouvez m'appelez Monsieur Noël, si vous préférez.
- Ok, allons-y pour M. Noël. Alors... depuis combien de temps travaillez-vous au service des voyages et cadeaux de La Grande Industrie ?
- Oh, ben ça... je me souviens, j'ai eu mon premier entretien d'embauche en octobre 1889. Place vacante, dit sur l'affiche. Cherche homme résigné aimant les voyages, tous frais payés. Je n'étais pas si résigné, mais j'ai un peu menti sur mon CV. Heu... ça va passer à la télé, ça ?
M. Noël fait une drôle de tête, conscient d'avoir sacrément gaffé. Puis il reprend contenance. Norbert sourit et fait mine de rien.
Père Noël, c'est une vocation. Beaucoup de candidats, il ne peut en rester qu'un.
- Et donc, vous avez été embauché immédiatement ?
- Ouais, tout de suite. Parait que j'ai la tête de l'emploi, comme y disaient. J'ai donc intégré cette maison en novembre 1889. Je vous avoue que la déco était un peu dépassée. Très victorien de Laponie, si vous voyez...
- Heuuu.... non pas vraiment.
- Ben c'est comme en Angleterre, en plus froid et moins ostentatoire.
Voilà qui est plus clair. Nous sommes interrompus par quelques employés, les lutins, qui demandent confirmation au Père Noël pour la liste des enfants sages de cette année. C'est le moment de le voir à l'oeuvre. Nous le suivons discrètement dans les couloirs de sa maison, qui jouxte l'entrepôt de cadeaux et les bureaux.
Quelques lutins, vêtus de chemises hawaïennes en taille trois ans, présentent des listes de noms, des sondages, des statistiques. M. Noël les lit avec attention et raye quelques noms.
- Un curé m'a téléphoné tantôt, il m'a dit que la petite Victory Knox ne s'est pas confessée de toute l'année.
La liste des enfants sages est très détaillée, et chaque jour, elle doit être updatée, comme on dit dans le jargon. Il se peut que Victory Knox retrouve sa place si elle se conduit bien et se lave de ses pêchers d'ici le 15 décembre. La date m'interpelle.
- Pourquoi le quinze décembre ?
- Simple histoire de logistique, répond un lutin de sa petite voix nasillarde. Si on veut avoir le compte juste de cadeaux et la liste exacte des maisons à visiter et chaussettes à remplir, il nous faut un minimum d'organisation.
- Et vous faites vraiment la distribution dans le monde entier au même moment, le même soir ?
Fondu au noir.
Nous avons été refoulés à la sortie des bureaux après avoir posé la question de la distribution. Apparemment, c'est un secret bien gardé, et nous ne sommes pas près de savoir comment le Père Noël fait pour passer dans des milliards de cheminées au même moment. Une de mes sources m'a parlé d'une boucle temporelle sur un modèle quantique... c'est à vérifier.
Ils sont à présent dans la cuisine, style américaine super bien aménagée, suréquipée. M. Noël prépare des cocktails.
- En dehors des listes et des cadeaux, que faites-vous durant l'année ?
- Oh, hé bien, je pars en vacances, dès le 26 décembre, je mets les voiles, je retrouve mes potes aux Bahamas.
Il se met à rire. Sa barbe blanche ondule sur sa chemise à fleurs d'un bleu pétant.
- Ha! Ça me fait penser à cette fois, j'étais en Floride, pour voir un peu comment s'était, en été, et en dehors de la saison des tornades. Et vlà-t-y pas qu'un tour operator m'embringue et me fait monter dans un bus rempli de retraités... Genre, j'ai une tête à me bronzer à Key Biscayne ? Haaaa, enfin, c'était marrant. On a fait tourner les pétards et le Ricard dans le bus, les p'tites mémées, elles étaient contentes, et les p'tits pépés, se sont bien rincés l’œil... Bouarf, il leur en faut peu, à leur âge !
Norbert sourit poliment.
- Et vous restez combien de temps en vacances ?
- Jusqu'en septembre. Après, on commence à comptabiliser les enfants sages et les enfants pas sages. C'est pas énormément de boulot... les gosses sont fliqués par l'école, les parents, la CCTV, le curé, le pasteur, j'en passe. Et tout le monde fait remonter l'info.
- Et vous vérifiez la véracité de ces informations ? Il est déjà arrivé qu'un enfant ait été malencontreusement rayé de la liste ?
- Oh, y'a bien eu ce petit suicidé... bien sous tout rapport, le gosse, hein. Il a pas eu de cadeaux, à cause d'une erreur informatique et, tellement dépité, il s'est jeté du cinquième étage.
Nous avons eu vent de cette affaire. L'enfant, âgé de dix ans lors de sa mort, aurait hurlé, entre la fenêtre et le ciment, « Je suis un enfant saaaaaaaaaaaaaaaage... ».
Fondu au noir.
Ils sont désormais dans le jardin, pourvu de gazon blanc, avec une serre. L'ensemble donne vue sur les fjords.
- Alors, passons à vos loisirs. C'est comment, une journée typique de Père Noël ?
- J'adore le golf et le jardinage. J'ai fait construire un terrain de golf de l'autre côté du parc, là-bas... on pourra se faire un petit parcours avant votre départ, si vous voulez. Et pour le jardinage, j'ai ma serre. J'ai de la très bonne ganja, et en tant que Mythe, je ne suis pas condamnable, je peux donc exploiter et fumer ce que je veux. L'essentiel, pour le Management, c'est que le boulot soit fait correctement, en temps et en heure. Et avec neuf mois de vacances, faut bien s'occuper !
- Et donc, vous les occupez comment, ces longues journées ?
- Je me lève autour de midi, pile pour prendre l'apéro avec les lutins, après, on va à la plage, on se fait un barbuc. On essaie de se serrer quelques nanas, avec plus ou moins de succès, et on finit par se rincer à la vodka en se roulant des trois feuilles. Typique. Puis on fait un peu de tourisme, et de temps en temps, on regarde la télé... nous sommes des gens très ordinaires, vous savez.
Avec une telle longévité et un boulot en or qui lui offre neuf mois de liberté totale, le Père Noël est loin d'être une personne ordinaire. Engagé à vie, il ne peut pas mourir, et il prendra sa retraite lorsque plus personne, absolument plus personne ne croira en lui.
- Et c'est bien payé ?
- Ha ouais ! Vachement bien payé, quoi ! Vous croyez que je la décore comment, ma maison ? Et mon nouveau traîneau, c'est une Ferrari, pas une Skoda ! Vous verriez ça, il passe du 0 au 100 en une seconde relativiste.
- Heuuuu...
- Ça veut dire que la seconde passe beaucoup plus vite pour moi qui suis dans le traîneau que pour vous qui êtes en dehors du traîneau.
- Hum... ça contredit Einstein, ça...
Le Père Noël s'arrête... donnant l'impression qu'il a encore gaffé.
- Oh, laissez ce brave Albert où il est. D'ailleurs, il a pas eu de cadeaux, lui. Un vilain garnement, un vrai cancre, puis après, il fait chier tout le monde avec ses théories, là...
- Ok, laissons donc Albert... hum, passons à autre chose... est-ce qu'il y a de la place pour une Madame Noël, dans votre vie ?
- Oh de la place, c'est certain ! Mais faut la trouver, la madame... Enfin, c'est sûr, c'est pas dans les bordels qu'on trouve la femme de sa vie.
Et la vie du Père Noël est bien longue. Il faut pouvoir supporter cette existence jusqu'au bout, qui peut être très très lointain. Mais vu la célébrité du bonhomme, je m'étonne qu'il n'ait pas quelques femmes dans sa chambre.
- Ben ouais, attendez, z'avez vu à quoi je ressemble ? Je vous le dis, je pécho pas des masses, moi ! Tienez, l'autre jour, y'a même une nénette, pourtant pas un canon de beauté, hein, au point où j'en suis, je table pas sur les top models, ben la nénette, en me voyant, elle a dit, et je cite (il fait fait les guillemets avec les doigts) : « Nan mais pour qui y' s'prend, l'ayatollah des neiges, là ? » Autant dire, ça refroidit un peu.
Nous devinons la détresse affective dans ses paroles. M. Noël est un homme direct, qui ne mâche pas ses mots, qui va droit au but. Mais derrière la façade du carpe diem se cache un homme sensible, solitaire, que l'éternité use à petit feu...
La caméra s'éloigne. Norbert et M. Noël se serrent la main, se remercient. Père Noël donne le mot de la fin :
- Comment on appelle un chat qui tombe dans un pot de peinture en décembre ? Un Chat Peint de Noël ! Ho Ho Ho !
Fondu au noir.
Générique de fin.