Viva Zapata

Jerry Milan

Ce qui m'a interloqué en premier à Tijuana, les voitures mis à part,
c'était l'enchevêtrement des poteaux et fils électriques qui en
sortaient par paquets. Tout le monde se branchait dessus sans foie ni
loi. Un énorme amas de fils en spaghettis. Impressionnant. Vu le nombre
de baraques cramées, j'en ai déduit que le système avait des failles
importantes. Autre chose que j'ai remarqué: Le nombre de ''dentistas''.
Dans certaines rues il n'y avait que des cabinets dentaires. Les uns à la
suite des autres. Apparemment, vu le prix que les américains étaient
obligé de débourser pour se soigner chez eux, ceux-ci préféraient passer
la frontière pour se faire arracher leurs dents par des mexicains. Les
prix était vraiment très bas, et je pense que les soins aussi. A l'époque,
Tijuana était une ville de potiers, dentistes, putes et mariachis. Des orchestres
partout dans les rues. La journée, mais surtout le soir. Des guitares et
violons, par ici souvent accompagnés des cuivres, au moins d'une
trompette. Un coté festif vraiment très sympa. Des terrasses en plein
air bourrées de monde, des diseuses de bonaventure, des putes et de la
musique partout.
J'y suis resté qu'une nuit. J'ai dormi dans un hôtel bon marché pas
terrible et le lendemain matin j'ai enquillé sur la Mex1, la route
qu'allait m'amener à Cabo San Lucas sur la pointe sud de la Baja
California tout en suivant la côte. Tiens, ici les panneaux routiers
étaient à nouveau en kilomètres et les prix parfois en dollars, mais si
vous n'aviez que des billets verts, les marchands ne faisaient pas
toujours le change en votre faveur. Il taxaient grave!
Cette côte n'avait d'ailleurs pour l'instant rien d'extraordinaire. Très
désertique, rocailleuse et sauvage avec comme seuls endroits ''habités''
quelques villages construits sur des gravas et épaves d'américaines.
J'étais cool, décapoté, le bras ballant à la portière et la musique à
fond. A midi j'ai stoppé dans une gargotte au bord de la route, genre
petit truck stop avec essence Pemex.  Je me suis enfilé vite fait une
enchilada de polo et j'ai fait le plein. L'essence premium mexicaine
était encore moins cher qu'aux states, mais n'était pas toujours d'une
très bonne qualité. Il fallait remplir à ras-bord, les stations ne se
bousculant pas en dehors des agglomérations en basse californie.
J'avais tout de même plus de 1500 bornes à me taper et un engin très
vorace. J'ai fait vite car les mexicains basanés me regardaient d'un
drôle d'air. J'ai senti, que les gringos n'étaient pas vraiment bienvenus
par ici. Même sans chapeau!
J'ai viré les gamins qu'étaient monté à bord de mon vaisseau spatial et
continué ainsi jusqu'à Ensenada. Un port ne présentant pas un grand
intêret. J'ai visité vite fait sans descendre de la Cadillac, sauf pour
acheter du Pepsi frais. J'ai fait marcher le sniffeur et remis les gaz. Il
faisait vraiment très chaud par ici même le soir alors que nous étions fin
décembre. En guise d'air conditionné je décapotais car je ne le supporte

pas trop, mais le problème, c'est  qu'on ne se rende pas bien compte de
la puissance du soleil refroidi par le filet d'air,. Mes avant-bras
commençaient à ressembler à des pinces de crabe bien cuites. La Mex1
traversait vraiment des paysages magnifiquement désertiques. En flore,
faune et population. D'un côté l'océan, de l'autre, la montagne.
Quelques bosquets, mais surtout des cactus géants, des ânes en liberté
ou tirant des carrioles, des baraques en parpaings bruts pas finies avec,
souvent garé devant, un vieux pickup délabré et des gamins jouant
dehors au foot ou baseball. De temps à autre un cabalero à cheval. Tous
flanqués d'immenses moustaches, chapeaux, machettes et chaps en cuir.
On sentait vraiment la pauvreté et la désolation. Rien à voir avec les
viles et villages de l'autre côté de la frontière. Tout était au bout du
rouleau par ici et récupéré aux USA. Les camions, les bus, les trains et je
n'osais pas penser aux avions. Les mexicains vivaient dehors et souvent
sur des gravas. J'ai jamais compris pourquoi dans les pays pauvres
d'Afrique ou Amérique Latine on balançait tout parterre n'importe où.
Les gens montaient dans les bus, achetait à manger et à boire et jetait
toutes les ordures par les fenêtres. Les bas cotés des routes étaient
farci de papiers, boites, bouteilles et cannettes. Puis vient l'horreur
suprême: Le sac en plastique!!! Des années à se désintégrer surtout dans
les contrées où il ne pleut pas souvent. Le monde entier est gavé de
cette innovation indigeste. Les plaines, les forets, les océans. On
récupère le verre, le papier où le métal car on peut toujours le
monnayer, mais le plastique? Partout où se pose nôtre regard, dans
n'importe quel pays, il rencontre un sac en plastique.
J'étais en train de penser à tout ça tout en cherchant un coin paisible
pour m'arrêter dormir la nuit. J'avais décidé de coucher dans la voiture
sur sa banquette large et confortable quand soudainement, un de mes
pneus éclata et l'auto se mit en travers sur ce qui restait de la route.
Elle était parfois coupée ou transformé en simple piste. J'ai eu du mal à
la rattraper et à la stopper. J'ai sorti le cric et la roue de secours. La
nuit était en train de tomber avec ses reflets rouge-orange-violet que
l'on trouve que par ici et la chaleur toujours aussi étouffante. Je
transpirais à grosses goutes quand au loin j'ai vu apparaître une
silhouette surgissant de nulle part. Puis une autre et une autre. J'étais
en plein désert sans âme qui vive des kilomètres à la ronde.
''Merde,  d'où ils sortent ceux là ?'' Je m'interrogeais tout en me
dépêchant. J'ai jeté le cric et la roue crevé à l'intérieur sans même bien
serrer les boulons et démarré sur les chapeaux de roues sinon c'en était
fini de moi. Au mieux, je terminais dépouillé et à pied. Je venais de
sauver ma peau encore une fois, donc pas question de dormir dans la
caisse. J'ai roulé en continu jusqu'à Cabo San Lucas en passant dans le
Golf de Californie à Santa Rosaria. Puis Loreto et La Paz. La route
faisait des lacets à travers la montagne, la végetation était plus dense
et verte avec parfois des forets de palmiers, puis redevenait aride. Le
''Flotteur'' m'avais indiqué un endroit où il fallait que je me rende
absolument. Un petit paradis sur terre selon ses dires. L'hôtel Twin
Dolphins à Chileno Bay. Je n'ai pas eu grand mal à le trouver sur la route
de San José del Cabo en sortant de San Lucas. C'était le seul ensemble
se trouvant là. Il n'y avait pas grand chose à l'époque et El Cabo était
un village de pêcheurs tranquille.  Aujourd'hui, les resorts pour touristes
et les villas-piscines de milliardaires ont envahi la côte et toute la
grande plage du sud. Une grande marina a été construite sur la pointe
du Cabo et Twin Dolphins, niché sur une  mini falaise dans une petite
crique de sable blanc, Chileno Bay, a été détruit en 2006. Il fut
entièrement reconstruit en un luxueux ensemble, mais déjà en 1982 il
était très luxe et confortable. Des bungalows en dur contenant six suites
et des petits appartements équipés de frigo, air conditionné, tous avec
une vue magnifique sur l'océan et sur une grande piscine. Des courts de
tennis et une grande terrasse surplombait une mer azur et transparente
ornée de ses chapeaux de mousse éclatant au pied de l'établissement.
Cher, mais superbe. Le Flotteur avait raison.
Je me suis donc installé dans un bungalow confortable, commandé un
petit déjeuner mexicain: chilaquiles aux piments, purée d'haricots noirs,
fruits exotiques et je me suis écroulé de fatigue. La nuit commença
doucement à tomber quand je suis sorti du coma. Je me suis pointé sur
la terrasse pour admirer le coucher du soleil et commandai une Dos
Equis bien fraîche. La boule d'un orange ardent était en train de plonger
dans l'océan quand j'ai vu passer une silhouette hirsute flanqué d'une
paire de béquilles et d'une blonde atomique. Ils se sont garé à deux
tables à coté et ont commandé à boire.
Ma parole, pincez-moi si je rêve, je connaissait bien ce vissage. Keith
Richards en personne. Le corbeau diabolique des Rolling Stones est venu
se perdre à cet endroit au bout du bout du monde? La terrasse était
déserte, il n'y avaient qu'eux et moi à ce moment précis. Le Keith a posé
son pied bandé en l'air sur la table et me fit un signe de la main. Sa
blonde alluma une blonde. La boule disparut dans l'eau.
Quelle rencontre insolite. Si je m'y attendais...
''Cheers''...nous avons siroté nos verres respectifs et la terrasse
commença à se remplir doucement, mais il n'y avait pas foule. Deux,
trois couples de vieux amerloques, quelques chicanos avec leur chica,
Keith Richards et moi, chacun avec sa blonde.
J'ai commandé une fajita de poulet avec des haricots rouges, du riz et
une autre Dos Equis. J'ai sorti mon sniffeur et me suis débouché des
narines obstruées par la poussière du désert mexicain. Au bruit de
l'aspiration très significatif, Keith se retourna. Je lui proposait un petit
coup de sniff, mais il refusa en hochant la tête. Il avait certainement
tout ce qu'il fallait. Nous étions tous là, tranquillos, mangeant, buvant
et fumant au bruit des vagues s'écrasant sur les rochers de Chileno Bay.
Une soirée paisible pour tous, je suppose.Le lendemain j'ai passé la
journée à lézarder au soleil allant du transat à la piscine, de la piscine
plonger dans l'océan et de l'océan au transat. Je ne les ai pas vu.

Le soir tombé, j'avais tout juste fini de manger quand Keef est arrivé
avec sa femme Patti et quelques amis dont un couple d'allemands, Uschi
et Dieter. Ils m'ont invité à rejoindre leur table. On s'est fait une bonne
vieille soirée de famille. Je faisais tourner le sniffeur et Keith la tequila
et le Jack Daniels. Ses potes remplissaient la petite bouteille quand elle
était vide. Ils avaient de la coke pharmaceutique pure. La soirée c'est
fini en drame quand, en repartant, Dieter fait comme un mickey, c'est
tué en moto. Sa copine le suivait dans son van VW et l'a vu foncer tout
droit dans un virage.
En dehors de cette histoire, j'ai passé une semaine très sympa aux Twin
Dolphins, mais il était temps de mettre les voiles si je voulais arriver à
L.A. pour la Saint Sylvestre. Je devais accompagner Flotteur à La
Lingerie pour la New Year's Eve Party. Concert live, V.I.P. , champagne
et coke à gogo. Il ne fallait pas rater ça. J'ai quitté Cabo San Lucas
passant par San Felipe  et j'ai  enfin pu admirer les fabuleux paysages
sous leur lumière du jour.
Je suis revenu pile pour la fête et c'était une fameuse bringue. Flotteur
faisait des interviews pour son émission, on est donc arrivé à l'avance
pour qu'il puisse chopper toutes les stars en sortant de leurs limousines.
Il se battait avec les photographes,les mecs de la télé et les confrères.
J'ai trainé un peu dehors avec lui puis nous sommes entré dans le coin
réservé pour sa radio. Cette boite était énorme, muni de plusieurs bars
longs comme les limousines garés dehors et avec une scène sur la quelle
se produisaient les groupes locaux et Pat Benatar en vedette. Les gens
s'embrassait, se congratulait, se serrait les pinces, se payait
mutuellement des coups et se passait le sniffeur automatique. On
pouvait fumer à l'intérieur et ça ne sentait pas que de la cigarette. Tout
le monde passait à notre table. Je ne savait même plus combien de
louches j'ai serré ce soir-là, mais j'en avais mal à ma main. Le concert a
été super et s'est terminé par un boef géant. Eddie Van Halen avec les
musiciens de Pat Benatar, Joan Jett, David Lee Roth en duo avec Ronnie
James Dio, Rod Stewart et un paquet d'autres dont je ne me souviens
même plus. A minuit, douche générale au champagne, les bouchons
sautant dans tous les coins de ce respectable établissement. Les
sniffeurs sont restés dans les poches et les lignes se faisait directement
sur le comptoir. Une putain de soirée de tapirs.
Puis Rod Stewart se saisit du micro pour annoncer que la fête allait se
poursuivre sur son bateau et que tout le monde y était invité. La valse
des limos a reprit dans l'autre sens en une joyeuse farandole qui se
forma jusqu'à Marina del Rey. Je n'avais jamais vu un bateau de ce
genre qu'en photo ou à la télé. Un voilier énorme en bois, à l'ancienne,
avec un pont ayant la taille d'une terrasse  de café. Il était entièrement
éclairé par les guirlandes multicolores installés pour l'occasion et était
équipé d'un incalculable nombre de cabines et recoins luxueusement
aménagés. La musique dégueulait d'une sono digne d'un concert en plein
air et quelques filles de rêve se contorsionnaient sur les rythmes
rockandroll.  Un buffet a été dressé avec champagne et multitude de
boissons diverses, le tout servi à volonté par des pinglos vêtus de noir
et gantés de blanc. Un délire de milliardaire. La fin a été à la hauteur
de la soiré. Tout le monde se poussait mutuellement en se jetant dans
l'eau froide du port. Les gens à poil glissait sur le pont jonché de
cadavres de bouteilles et de viande saoule. J'aurais pas voulu nettoyer
tout ça quand la fête c'est fini. Moi même j'étais dans un était de
délabrement très avancé quand une nana à poil m'a attrapé et m'a
poussé par dessus bord. Puis elle me sauta dessus. Sans doute qu'elle a
voulu mettre en pratique son brevet de secouriste acquis à Malibu,
puisqu'elle se mit à m'administrer une séance de respiration artificielle.
Ce n'était pas du tout désagréable. Nous avons fini les travaux
pratiques avec une de ces copines dans un coin du bateau. Je ne me
souviens de pas grand chose et surtout plus du tout de leur petits noms
respectifs, mais je n'ai plus jamais repassé un nouvel an de ce genre.
Thank you my Scottish Lord .

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