Vivre et baiser comme des Porcs / Avril 2017

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  Il conviendrait d'accepter et de faire avec des formes d'agressivité, de confusion, de désarroi, d'angoisse, de tension, d'irritation, de dégoût, quand celles-ci s'imposent, qu'elles viennent de l'intérieur ou de l'environnement. Et cela passe par une entrée dans les situations existentielles qui privilégie les sens et le corps sur tout le reste, et ce de manière brute et égoïste.

    Il conviendrait en effet... Plutôt que de construire des postures glorifiant la bienveillance, le partage, la sincérité, le lâcher-prise, l'attention compréhensive, tout en agitant niaisement le spectre de la manipulation à laquelle s'adonneraient de vilains pervers supposés. Non moins que d'autres postures puériles chantant la séduction, toujours forcément théâtrale, légère, fun, cool, ludique et divertissante, hygiénique et respectueuse.

    Il conviendrait en effet... Plutôt que d'essayer de se faire des idées claires sur ce qui se passe, sur où l'on va, sur ce qu'on cherche, sur quand, comment et pourquoi tout ça a commencé, et puis quand, comment et pourquoi tout ça va finir, sur ce qu'on veut et ce que l'on ne veut pas, et encore à chercher à savoir si l'on joue en surface et en contrôle pour s'amuser sans jamais regarder en face des blessures narcissiques qu'on comble alors superficiellement et qu'on entretient par là-même aussi, ou bien si à l'inverse on ne fait pas semblant et qu'on expérimente en profondeur sur son vrai soi avec courage et authenticité. Il conviendrait en effet... Plutôt que de vouloir se faire encore d'autres idées claires sur la nature du désir, et puis sur celles du plaisir, du sexe, de l'érotisme, de l'amour, de l'amitié, du bonheur et de la souffrance, des affects et des émotions, de la frustration et de la satisfaction, du manque, de la jouissance et de l'addiction, de la solitude, de l'être en relation, de l'être au monde ou à l'au-delà du monde.

    Il conviendrait de plonger, goûter et expérimenter le réel qui résiste et insiste dans l'expérience qui se présente, prendre acte d'une température qui s'impose et négocier avec les aspérités du donné, apprendre à danser avec les énergies incontrôlables qui traversent les situations, qu'elles soient bonnes ou mauvaises, joyeuses ou tristes, créatrices ou destructrices. C'est toujours au final préférable à l'éloignement, et cela même si c'est moins pur, parfois moins confortable, souvent plus incertain, que cela s'avère quelquefois avoir au final mauvais goût et même dans certains cas être synonyme de dangers susceptibles de laisser des traces. Il est inévitable que le réel dans sa transparence absolue soit toujours en même temps un chantier chaotique, et il est impossible que la liberté, si elle envisage de s'avérer un tant soit peu efficace, n'implique pas toujours un travail actif, lucide, généreux, gratuit, humoristique et sans arrière-pensée, pour réussir à prendre en compte des contraintes que de beaux discours tenus à autrui, et surtout à soi-même - toutes ces petites histoires que l'on sait fausses à l'instant où on les raconte, mais que l'on continue à se raconter pourtant parce qu'on leur prête des vertus soi-disant protectrices -, n'auront pourtant jamais le moindre pouvoir de dissiper.

    Au final il y a, comme l'avait bien vu Peter Sloterdijk dans une indigeste bouffonnerie philosophico, psycho, antropologico-littéraire rédigée à l'époque où il regagnait, après un détour par les ashram d'Osho, une Allemagne bercée par les premières notes d'une musique industrielle venant après les derniers rêves révolutionnaires du punk... Il y a, dans le renouvellement de l'impulsion cynique initiée par Diogène - ce génie qui se masturbait sur la place du marché sans aucune pudeur, et qui priait les détenteurs du pouvoir de déguerpir afin qu'il puisse continuer à profiter pleinement des rayons du soleil depuis le tonneau où il avait élu résidence -, il y a une puissance de vie et de créativité que ne sauraient bloquer ni la considération de la fugacité et de la fragilité de l'existence, ni celle du caractère tout naturel des divers processus de destruction bio-psycho-sociaux, ni celle de l'imperfection inévitablement inhérente aux diverses modalités de communication entre humains par laquelle une forme d'isolement reste la condition première de tout un chacun.

    Cette puissance, qui s'avère au final prendre place aux antipodes de toute forme de nihilisme, et qui dans les conditions actuelles du début de la phase terminale de la société occidentale post-moderne, est seule à même de conférer à la décadence généralisée l'odeur du soufre et la chaleur des flammes caractéristiques d'un "happy end" potentiellement envisageable pour l'agonie qui vient, reste inaccessible à ceux qui aiment se persuader qu'ils sont des gens bien, du côté du Bien et du bien-être, sains et libérés, ouverts à la diversité et à l'Autre, se croyant héritiers d'un mélange de sagesse spirituelle venue du fond des temps et des avancées civilisatrices de la raison, autant qu'aux pantins du spectacle dont les restes du cerveau inconsistant ont désormais fini de se disperser dans les méandres des réseaux sociaux, eux qui érigent leur propre futilité en nec plus ultra des valeurs hédonistes.

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