Vogue la galère!

Jean Claude Blanc

retour sur mes sommets où subsistent encore durs à cuire qui craignent pas la misère alors que des fiers à bras jouent à Paris-Dakar, détruisant tout sur leur passage; qui sont les vrais sauvages?

                                Vogue la galère !

Vieux dur à cuire traine sa besace

Ras la casquette des jours qui passent

Chez lui se chauffe à la glace

Aimerait bien prendre ma place

Pour avoir encore cette audace

Malgré cette neige qui l'agace

Sur le chemin faire la trace

Afin de chasser ses angoisses

 

En son hameau seul, désolé

N'a plus que sa femme pour l'épauler

Pas très vaillante elle non plus

Pas vraiment planche de salut

Se tiennent ensemble calfeutrés

Un brin de de tendresse, intimité

Avant de rejoindre l'éternité

N'apprécient guère ce sale hiver

Tellement traitres ces congères

Car à leur âge de misère

Sûr se retrouver 4 fers en l'air

 

Un mur de pierre nous sépare

Pas question de faire bande à part

On se rencontre par hasard

Non pas pour se tenir crachoir

Juste un coup de main, jamais avares

Et en retour un verre à boire

A se le lamper sans entonnoir

De la bonne gnole, authentique poire

Même si les visites sont rares

(Sauf le toubib, saint homme de l'art)

On n'en fait pas toute une histoire

 

J'en fais partie de ces séniles

Pouvant pas être plus tranquille

Pourquoi se faire de la bile

Pour nos enfants qui pas débiles

Sont partis vivre à la ville

Nous plantant là, momies fossiles

Où notre santé tient qu'à un fil

Par les commères qui aboient

Considérés hommes des bois

Ça nous va bien, c'est notre loi

On s'en réserve tous les droits

De leur répondre chacun chez soi

 

Tellement frisquettes les journées

Qu'on ouvre à peine les volets

De toute façon, notre compte est bon

Tombe un déluge de flocons

Même inutile prendre la pelle

S'en remettra, vu l'horizon

Des tas de nuages s'amoncellent

La preuve on est pris de frissons

Même si dans l'âtre, luisent les tisons

Parait que je suis jeune, dégourdi

Juste un instant ça me réjouit

En vérité plus qu'en sursis

Avant d'atteindre le Paradis

Le corps alerte, c'est bien gentil

Selon ces pauvres décrépis

C'est sans compter sur mon esprit

Si cafardeux durant la nuit

A morfondre dans mon lit

 

Pas de bon ton, de le montrer

Qu'on n'a que les larmes pour pleurer

En ce pays, faut se respecter

Y va de notre dignité

Crever à la tâche, serait parfait

Et c'est pourquoi dans notre patelin

Lorsqu'on pressent venir la fin

On reste seul dans notre coin

Dissimulant notre chagrin

Pour pas que s'en mêle le prochain

Si charitable ce brave chrétien

En amitié, lointain cousin

Risquerait d'en faire tout un foin

Trop se lamenter, serait malsain

Déjà assez de son turbin

Pas moribond ce rude ancêtre

De sa mémoire encore maitre

Simple habitude, enfile ses guêtres

Se rendant à pieds à quelques mètres

Pour consulter sa boite aux lettres

 

Comme quoi y'a pas que les sportifs

Pour affronter ce givre vif

Prenant son temps, déjà héros

Malgré l'allure d'un escargot

(Comme les derniers seront les premiers

Sert à rien se précipiter)

Ces quelques pas, plus qu'un exploit

Que sa mamie ne pipe pas

Pourtant la langue bien pendue

Miraculeux, le sien adroit

Pour elle qui est si mal fichue

De rhumatismes, porte sa croix

 

Aller au bourg pour le casse-croûte

Presque pas possible, pas le mois d'août

Malgré que soit sablée la route

Sortir l'auto, ça leur en coûte

N'ayant que moufles et moumoutes

 

Ça attendra qu'il fasse meilleur

Y' a des réserves dans le charnier

L'épicier passe de bonne heure

Demain faudra pas le louper

De toute manière va klaxonner

Pour pas l'entendre, faudrait être sourd

Achalandé, vaut le détour

A oublier topinambours

Brèves clartés, longues léthargies

A se coucher jusqu'au printemps

A regarder ce temps pourri

De quoi se faire du mauvais sang

Devant ce poêle récalcitrant

Dire que la poudreuse, c'est vivifiant

En font des boules les enfants

Pour nous d'ordinaire tout est blanc

On s'en lasse vite, pas très marrant

 

Alors se vident nos maisons

Plus de boulot dans la région

Mais faut se faire une raison

S'agit de survivre pour pas un rond

Maigre retraite, bonne occasion

De s'avaler quelques canons

De la piquette du Forez

Qui culmine à 9,5 degrés

En faut des litres pour se saouler

Peu onéreux, pourquoi se priver

 

Mon vétéran qu'a des ulcères

(Pour pas finir dans la bière…)

Ne tourne qu'au café au lait

Trempant dedans, tartines beurrées

Et de madeleines à la cuillère

Pas compliqué à digérer

Question cancer, il est paré

Pas besoin de drogues, somnifères

Pour roupiller à satiété

 

Chronique d'ici, où je suis né

M'en fais le chantre, le compère

Mon existence pas précaire

Ça me suffit de versifier

De mes anciens, suis solidaire

Eux qu'en ont chié, leur vie entière

Peut-être péquenots, mais visionnaires

Sachant à quand il faut semer

Ces graines magiques, changées en blé

Pour la farine du boulanger

Qui à son tour va la modeler

Tourte de bon pain pour déjeuner

 

Mon vieux si riche, sans avoir l'air

Ne périra qu'usé sur Terre

Homme de courage, discret, sincère

Qu'une croix de plus au cimetière

Auprès des siens, craint pas l'enfer

De ce pays qui désespèrent

De voir leur domaine en jachère

 

Entre compagnons, aucun tourment

Déjà contents d'êtres vivants

C'est tellement dépaysant…

Voir ces bruyères ventées sans cesse

On se les vante, ruraux modestes

Heureux d'y prendre la clé des champs

Où la nature fait des prouesses

Pour résister à cette peste

De destructeurs qui la dépècent

Sans état d'âme la moleste

La restaurer, n'est qu'un prétexte

Pour les touristes qui sans complexe

A coups de 4X4, la mettent en pièces

Que restera-t-il de notre espèce

Vouée à un destin funeste

 

Mon dur à cuire, plus ça le blesse

Plus souhaite gagner étoiles célestes

Son exigence vaut bien une messe

M'a inspiré ce sacré texte

D'homme averti, nul me conteste

Plus le moment de faire la sieste

Ça mène tout droit à la paresse

21ème siècle, manque d'adresse

Glorifiant plus vertus agrestes

Bien au contraire les agresse

S'en accapare d'une main leste

C'est nous qu'on paye, lui qui encaisse

Pour terminer ce manifeste

Consciencieusement et sans mollesse

J'ai peur que l'humanité régresse

Comme tous ces repentis l'attestent

Trop plein de richesse, profonde détresse   JC Blanc décembre 2017

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