"Vous cherchez une fille?"

sunderland

En bas de chez moi, une pute. Assez jeune, brune à cheveux longs, frisottants; pas une beauté fracassante mais pas une mocheté non plus. Elle a fait le choix de ne pas enfiler la panoplie de la pute mais je vois immédiatement qu'elle est de la profession. Je passe devant elle, sans rien dire. L'air, ce soir, est doux. Je suis sur mon bout de trottoir, je regarde vaguement à droite et à gauche. Ca roule encore pas mal sur les boulevards, à cette heure-ci. J'entends sa voix, dans mon dos. "Vous cherchez une fille?" Rien d'allumeur. Intonation naturelle, franche et tranquille. J'aime autant ça. Ainsi, on perd moins de temps en palabres, en théâtralité. La honte n'a rien à voir, c'est juste que j'ai la tête ailleurs. Tout ce que je trouve à lui répondre, c'est "euh, non merci, je vais juste manger une pizza au doner du coin". Je suis un grand séducteur. Je m'éloigne tranquillement, je vais vraiment faire ce que je viens de dire. Je peux même vous préciser que ce sera une pizza au thon. Malgré tout, un départ d'érection m'alourdit le fondement. Rationalisons. Est-ce une indépendante, ou le mac attend-t-il dans une bagnole, un peu à l'écart? J'aperçois d'autres putes sur le trottoir d'en face. Elles tapinent en binôme. Elles, par contre, elles ont la panoplie. Je regarde l'heure. Les cinq-à-sept sont passés, c'est déjà le travail de nuit bien que le jour n'ait pas encore tout à fait disparu. J'entre au kebab. La petite serveuse me fait un sourire, je lui demande comment elle va. Elle me répond qu'elle va bien. C'est une autre forme de théâtralité mais je la trouve tout de même charmante. Je me pose. Pizza au thon, oui. Un peu d'huile piquante? Oui, merci. Boisson? Un coca, s'il vous plaît. Merci.

Merci.

merci merci merci merci merci merci merci merci merci merci merci merci merci merci merci merci merci

Je suis un garçon poli.

Après le coca, je descends un thé turc. Sourire, toujours. Mais un vrai de vrai, j'en ai la conviction. Je règle, repars. Retour au bordel, le mien. Il fait un peu plus sombre. Devant moi sur le trottoir, à vélo, un jeune Black hésite devant une cocotte (je suis un des derniers à les appeler comme ça), l'autre s'en fout, ou alors elle sélectionne, je ne sais pas, je la vois juste répondre d'un petit signe de tête distrait, le nez à peine levé du portable. Gestion de l'agenda? Le type s'en va. Je passe devant la fille, je ne lui dis rien, elle ne me regarde pas. A l'intersection de ma rue, j'attends qu'un flot de voitures soit passé, puis je traverse. Je retrouve la fille d'en bas de chez moi. Elle me reconnaît, je lui offre un petit sourire. Moi aussi, j'hésite, j'ai presque envie de me livrer à une énième provocation et de lui déclarer tout de go qu'en fait de nanas, je vis seul et passe beaucoup de temps à me branler sur internet. Mais je m'abstiens. En revanche, je lui dis de faire attention à elle, de prendre soin d'elle. Elle me répond doucement "vous inquiétez pas".

Je continue mon chemin, il ne me reste plus que quelques pas à faire. Je chantonne Harvest Moon.


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