Voyage en train..

ocooper

« Ton adieu, je n’y crois pas du tout. C’est un au revoir, presque un rendez-vous… » Joe DASSIN.

Elle mit du rouge vif sur ses ongles, et ses lèvres. Un slim noir quelque peu usé par le temps, et un débardeur blanc. Pas de bijou. Rien d'extravagant. Elle se maquilla, comme elle le faisait chaque jour, d'un trait d'eyes liner noir sur les paupières et d'une vingtaine de coups de mascara. Ses cils parfaitement longs et courbés rendaient les autres filles jalouses.

En fond sonore, sa chaîne jouait La comptine d'un autre été de Yann Tiersen. Elle posa sa main sur sa bouche trahissant ainsi son chagrin et lâcha de petites larmes qui démolirent tout son travail. Devant son miroir, atrocement grand et révélateur, elle réalisa la profondeur de chacune des notes de piano qui résonnait dans l'espace confiné. Comme rattrapée par une réalité qu'elle s'obstinait à fuir, elle l'écouta en boucle jusqu'à ce qu'elle soit totalement prête. Elle avala la pierre qui s'était logée dans sa gorge, et quitta son palais. Il faut y aller, se répétait-elle. Et après quoi ? Ne plus jamais lui parler ? Elle devait le laisser partir, chose qu'elle n'avait, en 17 ans de vie, jamais réussi à faire avec personne. Elle pensa à son père soudain. Elle ne pensait pas à lui d'ordinaire, elle occultait son existence. Elle se revoyait à sept ans à la fête de fin d'année de son école, le jour où elle réalisa que ce n'était pas un papa comme les autres et qu'à cause de ça, elle ne serait jamais comme les autres elle non plus. Ce souvenir était l'un des plus douloureux de son existence mais elle ne le partagerait pas. Ce n'est que plus tard qu'elle arriverait à mettre des mots sur tout ça. Elle se dépêcha de le ranger, lui et tous ces mauvais souvenirs, dans une petite boîte.

Elle marcha le long de la route peu fréquentée qui bordait le village comme elle le faisait chaque matin. Le soleil se levait à peine, et la température lui était agréable. Sa respiration n'était pas régulière, sans doute dû à l'activité physique qu'elle réalisait et à ses poumons marqués de tâches de goudron. Elle fumait depuis déjà trois ans.

Elle trouva rapidement une place dans le train, toujours à l'inverse du sens de la marche. Son esprit constant de contradiction. Elle esquissa un sourire à son reflet dans la vitre sale à sa droite de manière à se donner du courage. Il lui était venu une idée durant le weekend dont elle n'arrivait décidément pas à se défaire : être faible et essayer de parler à Ryan. Pourquoi faudrait-il qu'elle le quitte à son tour, alors qu'elle ne cessait pas de penser à lui ? Tout le temps, sans pause, constamment. Elle en ignorait la raison. Elle tentait de l'oublier, ou du moins, de le ranger adroitement dans une petite boite comme elle le faisait avec tout le reste mais il était trop grand. Trop présent, persistant.

Elle déposa son gros casque blanc sur ses oreilles, chercha désespérément une chanson de circonstance et tomba sur Chasing Cars des Snow Patrols, enregistrée en live « At the Union Chapel ». Transcendant, paisible, majestueux. Elle appuya sa tête fort contre le siège, et s'endormit. Sa torture se lisait sur son visage même dans son sommeil.

Elle se réveilla sur la Chanson des vieux amants de Brel. Elle ne prit pas la peine tout de suite d'ouvrir ses yeux, pour ressentir chaque mot de cette mélodie qu'elle adorait.

 

« Oh mon amour, mon doux, mon tendre, mon merveilleux amour…

De l'aube claire jusqu'à la fin du jour,

Je t'aime encore, tu sais, je t'aime... »

 

Elle releva lentement ses paupières qui s'étaient habituées à l'obscurité et se redressa. Elle crut s'imaginer sa présence, son regard sur elle, et son odeur. Pourtant, il était là.

 

[...]

Il mit du gel sur ses cheveux ras, la même marque depuis six ans. Il contempla son visage fatigué dans un miroir de salle de bain ordinaire et passa un coup de rasoir sur sa barbe de trois jours. Il aspergea du parfum sur sa nuque et autour de son cou d'un geste futilement habituel, comme un rituel sacré de début de journée. Ses parents n'étaient pas encore réveillés, il n'osa pas allumer la télévision, ou mettre de la musique. Il se contenta des bruits de claquements de sa vieille maison vide. Aujourd'hui est le dernier jour de ce morceau de ma vie, se disait-il. Il ne soigna pas son apparence, ne prépara aucun discours. Il ne se mit pas en condition, il voulait en finir rapidement. Rendre et recevoir toutes les preuves de son existence, cela devait en finir tout de suite. Il était usé. Il prit la peine de fermer toutes les portes, et de laisser un mot derrière lui. Il aimait avoir des attentions pour ses proches, espérant qu'un jour, ils en auraient peut-être pour lui. Il monta dans sa voiture en claquant la portière d'un coup sec et franc. Il mit ses feux de croisements remarquant que le soleil n'était pas encore totalement apparu. Il parcourut les cinq minutes qui le séparait de la gare municipale, se gara à son emplacement habituel et patienta. Olivia avait l'air si sage. Si son buste ne mouvait pas, on aurait pu croire qu'elle était morte. Elle avait l'air si éteinte. Il ne résista pas à l'envie de s'asseoir en face d'elle. Il se disait qu'il partirait dès qu'elle se réveillerait et qu'elle n'en saurait jamais rien. Il souriait avec cet air niais qu'ont les gens amoureux, et ne s'en rendait même pas compte. Il repensa à toutes ces nuits, où il pouvait admirer ce visage presque parfait qu'on aurait dit dessiner au crayon.

Elle se réveilla brusquement et il ne bougea pas, finalement pas.

Fixement. Les mots auraient été inutiles. Le temps s'était arrêté, et plus rien n'avait d'importance autour, rien d'autre. Plus de rancœurs, plus de départ, et plus d'ultimatum. Plus de messages de ruptures, et de manque, plus rien.

Olivia brisa le silence en un moment de lucidité.

«  - Depuis quand tu es là ?

Assez longtemps, lui répondit-il d'une voix paisible. »

Elle sentit ses mains se mettre à trembler, et les cacha discrètement entre ses jambes. Plus rien n'avait de sens.

« - Je t'ai vu, et je me suis assis, reprit-il. Je ne sais pas vraiment pourquoi d'ailleurs... ». Il mentait.

Elle se dit qu'elle devrait ramener la discussion vers des détails plus terre à terre, car elle ne supporterait pas cette dimension dramatico-mélancolique.

« - Je t'ai ramené quelques tee-shirt, ta brosse à dent et le sac que tu m'avais offert. Il manque des choses que je n'ai pas réussi à retrouver, désolée.

C'était un cadeau.

Pardon ? Lui lança-t-elle, surprise.

Le sac. C'était un cadeau. Garde le. »

Elle aurait dû lui répondre « donne le à ta nouvelle pute » mais elle se retint. Elle ne voulut pas gâcher ce qu'elle croyait être leur dernier moment et lui obéit en un sourire de remerciements.

De son coté, il cherchait un sujet pour enrichir la fin du trajet et pas seulement. Sans le vouloir vraiment, il rendait la situation plus difficile. Mais parfois, les mots sortent du cœur directement.

«  - Je ne sais pas quoi te dire. Je sais par contre, que cette situation n'est pas évidente à vivre pour toi. Comme pour moi, n'en doutes pas. Les attitudes à adopter après une rupture ne sont pas toutes faites, je crois qu'il va falloir improviser. J'espère que ça ira. »

Elle acquiesça d'un signe bref et tourna le regard vers le paysage qui défilait. La course était bientôt terminée.

«  - J'aurais tellement à te dire. Quand on était ensemble, parfois, on ne parlait pas pendant des jours entiers, et maintenant qu'il faut se dire adieu, j'aurai vraiment beaucoup à te dire, dit-elle avec toute la tragédie qu'elle se refusait.

Je suis désolé qu'on en soit arrivé là. »

Il déposa un baiser sur sa joue et s'enfuit parmi la foule. Le train arriva à destination quelque seconde plus tard.

Olivia remit son casque, en oubliant d'enclencher sa musique. Elle plongeait dans ses pensées, n'arrivant pas à s'en défaire, elle revivait la situation qui venait de s'achever en refaisant les dialogues et en imaginant une fin plus belle. Une fin qui ne sonnerait pas comme une fin.

  • C'est un des chapitres d'un petit livre que je m'amuse à écrire. Merci pour les compliments c'est encourageant !

    · Il y a plus de 12 ans ·
    Cory kennedy 1 54

    ocooper

  • Un texte vraiment bien calibré aux critères de l'édition. Une narration très maîtrisée et une chute très bien amenée, vraiment bravo !

    · Il y a plus de 12 ans ·
     14i3722 orig

    leo

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