Vue d'en bas, une façon de voir les choses.

chris-mo

Un auteur raté reste un auteur. C'est l'histoire d'un homme qui voulait être écrivain.

Non je déconne. J'entends les cris : un rêve prétentieux et discutable pour un personnage qui n'a pas suivi le parcours académique requit qui aurait pu l'amener devant les portes de la gloire. Il est en plus à des années lumières de s'exprimer à la manière d'un Hemingway, d'un Exley ou d'un Kesey qu'il lira incessamment sous peu… comme presque tout le monde a lu tout et lira tout pour se donner bonne conscience. Des astres inaccessibles. Ce sont d'autres univers auxquels il n'aura jamais accès. Mais il croit qu'il peut le faire, le pauvre.

Il se prend pour un génie ou quoi ?

Joignez en annexe toutes sortes d'invectives bien pigmentées, arrosées de jugements habituels dont je vous épargne l'inutilité, qui pourraient accompagner les propos.

Si je parlais d'une mise à nu. Un regard vu d'en bas.

Pour être plus précis, j'ai envie de dire sur cette page discrète, qu'il est question des tribulations d'un gars moyen, sans boulot depuis des années, sans réel but, sans bagages. Taper un texte qui présente plutôt un instantané à propos d'un mec qui a ramé comme plein d'autres et qui s'explique comme il peut avec ce qu'il a. Son but est de parler égoïstement de – oui c'est cela — son point de vue d'en bas devant ce qu'il qualifierait comme son ennui profond. Il veut raconter une belle histoire, mais ne sait pas quoi dire, ni comment. Il pense écrire, car il a l'impression que c'est tout ce qu'il sait faire pour contrer son inutilité. Non, ne sortez pas les mouchoirs, c'est pitoyable, ce n'est qu'un texte, faites un sourire, rien de lamentable. Tout le monde peut s'exprimer, donc faut partager. Partageons. Partageons. Que ce fût dans une période avec ou sans chauffage, avec peu de festins, ou encore devant un Juge de n'importe quel tribunal, le tapeur de touche (bien foutues et aussi solides qu'un bout de plastique dur puisse l'être, pourvu que le clavier tienne le coup) se pose des questions. Une introduction banale, pour un sujet banal, c'est ce qui me plaît. La banalité de bas étage. Mon quotidien, ma routine, mon plaisir de baragouiner.

 

Pour éviter l'échec du réveil des sens, je comptai ne pas m'en tenir qu'aux lamentations vaines. Je me suis donc raccroché à un monologue écrit pour ne pas sombrer dans la catatonie journalière, dans la plainte noire annihilant toute possibilité de réussite quelconque.

Je suis un individu qui ne travaille pas et qui coûte à son état. C'est vrai que si j'écris des salades, je perds du temps dans la recherche d'un boulot. Disons que c'est une petite pause, une sucrerie que je m'octroie. Donc malgré les apparences, je ne suis pas une « paillasse » qui se contente de peu ou un pantouflard profiteur et fier de l'être. Je me considère plutôt comme un gars – au premier regard simple et même pas démuni — qui n'a pas honte.

J'ai lu « Travaux forcés » de Mark Safranko paru chez 13E Note Éditions, je ne sais plus quand, l'année dernière je crois, ou c'était en janvier ? Peu importe, ce qui y en ressortit m'explosa au visage. L'auteur exprimait très justement la sensation de résignation et d'errance qui m'envoutait. Cela arrive à moins d'être un surhomme. Il y a des heures de relâchement. Interviennent les pages blanches à l'occasion, mais surtout, les brochés bien remplis, des livres, des livres et des livres. C'est leur rôle : vous parlez, vous secouer la caillasse. M'éloigner de l'apitoiement sur notre sort, l'évasion, etc. Sans pleurs et sans reproches, c'est vrai, un chômeur est un chômeur avec tous ces clichés qui lui colle au basket comme chique sur table — faut forcer pour la décoller — j'en parlerai une autre fois.

Donc Monsieur Safranko, un Monsieur avec un grand M, car il a tout compris ; met le doigt sur la conscience de l'inutilité et l'obligation de se trouver une voie pour payer au minimum les factures de premier ordre. En plus de la confirmation du goût pour l'écriture, cela va s'en dire. En dehors de l'addiction à l'alcool, aux femmes et à la dope, ce livre décrivait très bien mon sentiment général devant l'incapacité de me trouver un emploi stable ainsi que les conséquences qui en résultaient. Voilà un passage de l'impression d'après lecture à propos de ce bouquin, laissé sur mon blogue un jour de l'année dernière me semble-t-il :

… Beaucoup d'amis et acharnés du « taf » rencontreront leur reflet dans ce roman miroir. La liberté un moment, le désespoir ou la honte parfois. Un sacré mélange. Cela me rappelle un entretien d'embauche. Je m'étais présenté pour un poste de magasinier-réassortisseur. À la vue de mon CV, après une longue discussion peu enrichissante, l'employé a mis le doigt sur mes multiples expériences de courtes et moyennes durées. Là où je me défendais comme étant un individu polyvalent, le gars m'a damné en définissant ma situation comme de l'instabilité. Et voilà, il cherchait quelqu'un pour une longue durée…
La longue durée ! Je suis en plein dedans, avais-je envie de répondre. Soit.

Néanmoins, la liberté m'avait gagné momentanément. J'évitais ce que je ne voulais pas. Me coucher avec l'écho des cris de collègues efficaces, des légionnaires du magasin, de caisses enregistreuses et de clients râleurs ou péteux. La honte de ne pouvoir apporter une bonne nouvelle et la pensée d'à nouveau se serrer la ceinture pour les mois à venir contra mon soulagement.

Il a fallu choisir parmi tous les passages révélateurs, marquants. Disponibles à chaque page. J'aurais dû recopier le livre entier si je m'étais contenté de mes notes. Une citation de Charles Bukowski au début du livre annonce le ton :

   « La seule pensée de m'asseoir en face d'un type derrière un bureau pour lui dire que je cherchais un boulot, que j'étais qualifié, c'était trop pour moi. Franchement, la vie me faisait horreur, tout ce qu'un homme devait faire pour avoir de la bouffe, un pieu et des fringues. »

J'y reviendrai plus tard. En attendant, ça me rappelle que je devrais un jour lire du Bukowski. Il y a toujours quelque chose à faire…
Dans l'immédiat, une mise en page.
Et demain c'est autre chose.

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