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PROJET DE VICE-PRESIDENCE AU SENEGAL

Le président sénégalais ne compte visiblement pas faire marche arrière dans son projet de succession dynastique. Et il vient de le prouver en faisant adopter en Conseil des ministres du 16 juin dernier un projet de ticket présidentiel. La probable adoption de ce texte par l’Assemblée nationale permettra au prochain président de la République issu de l’élection de février 2012 d’être assisté par un vice-président. Déjà contesté par les partis politiques de l’opposition, cette idée de choix simultané d’un président et son colistier est dénoncé par la société civile qui l’a assimilée à un « coup d’Etat institutionnel ». Car cette nouvelle expérience politique envisagée par Abdoulaye Wade intervient curieusement après l’apparent échec de sa tentative de préparation de son fils Karim à briguer la magistrature suprême via la mairie de Dakar. Rien de plus logique donc que d’établir un lien entre cette détermination à faire adopter une loi sur l’instauration d’une vice-présidence et la volonté déjà affichée par le chef de l’Etat sénégalais de passer le témoin un jour à son rejeton. Et ce lien est d’autant plus étroit que celui qui devra seconder le président, en plus d’être choisi par ce dernier, aura un statut qui fera de lui le successeur normal et légal du chef de l’Etat au cas où celui-ci serait défaillant. Etant octogénaire, le chantre du Sopi (changement en wolof), est sans doute convaincu que la probabilité qu’il puisse terminer normalement un autre mandat présidentiel est quasiment nulle. Il compte donc anticiper les choses en désignant par précaution son dauphin qui, même s’il n’est pas la personne même de son fils, veillera à ce que sa volonté soit faite. Gorgui impose ainsi à la classe politique et aux forces sociales sénégalaises une pilule dorée qui prouve une fois de plus qu’il a plus d’un tour dans son sac. Car, non seulement le pouvoir de Dakar use d’une stratégie subtile pour obtenir ce qu’il a légitimement perdu, mais aussi, aucune opportunité n’est accordée au peuple d’émettre, par référendum par exemple, son avis sur cette option gouvernementale. Mais une telle ruse politique doublée d’un narcissisme politique peut se révéler à la longue porteuse de multiples dangers. Des leaders sociaux ont, du reste, déjà lancé une campagne dénommée « Touche pas à ma Constitution ! » et dont le but est de contrer cette regrettable ambition nourrie par le président Wade, candidat à sa propre succession à la prochaine présidentielle. Ce qui porte à croire qu’un front unique mené par les opposants à ce très tortueux chantier n’est pas à exclure dans les prochains jours. Le même rempart qui a permis à Me Wade de quitter sa camisole d’opposant pour le costume de président, pourrait lui barrer la voie à une éventuelle réélection. Certains opposants avaient d’ailleurs justifié leur adhésion à l’idée de candidature unique de l’opposition par la nécessité de faire échec à ce sombre dessein poursuivi par le camp présidentiel. Bien que des candidatures individuelles aient déjà été rendues officielles dans les rangs de l’opposition, rien n’est définitivement joué, et cet empressement du régime de Wade à légaliser à l’avance son futur forfait pourra susciter un resserrement des rangs dans le camp adverse. Toute chose qui pourrait être fatale au régime en place, qui ne bénéficie, du reste, plus des mêmes préjugés favorables des populations sénégalaises qui fondaient sur lui un espoir de vrai changement et de développement réel. Que de révocations dans des circonstances très suspectes sous l’ère Wade, et dont le but était de protéger la carrière politique de Wade fils ! Les exemples les plus ahurissants sont ceux de son Premier ministre Idrissa Seck, du président du Parlement Macky Sall et de son ministre des Affaires étrangères Cheick Tidiane Gadio, alors reconnus comme étant des fidèles parmi les fidèles. Que de promesses non tenues dont la plus tristement célèbre demeure celle liée au conflit casamançais que le « monsieur sait et peut tout » avait promis avec force emphase de régler en cent jours ! Les Sénégalais sont donc avertis et ne se laisseront sans doute pas duper en assistant sans réagir à ce tripatouillage déguisé de la Constitution. A défaut de pouvoir convaincre leur président à y renoncer volontairement, ils lui feront subir sans doute une pression qui aura peut-être l’avantage au moins de le discréditer vis-à-vis des communautés africaine et internationale. La maturité et la détermination du peuple et de l’opposition sont telles que, même si le projet présidentiel passait comme une lettre à la poste chez le législateur, la mise en œuvre de sa finalité, à savoir la succession de père en fils à la tête de l’Etat, aura du mal à se frayer un chemin. Celle-ci pourrait d’abord être entravée par la difficulté que rencontrerait le père à trouver un fils spirituel qui jouerait le véritable rôle de fusible prêt à s’effacer en temps opportun au profit du fils biologique. L’équation a d’autant plus d’inconnues que l’émergence d’un « vice-présidentiable » charismatique elle-même pose problème. Ceux qui étaient censés coller à ce rôle ne sont plus en odeur de sainteté avec le patriarche, et l’éventualité qu’ils acceptent un tel deal antidémocratique est plus qu’improbable. Toutefois, connaissant la fertilité imaginative de l’homme fort de Dakar quand il s’agit de pérenniser son régime, il ne serait pas étonnant qu’à défaut de faire revenir à la maison un de ses enfants pas si prodigues que cela mais pourtant prodiges, il fasse émerger du cercle de ses alliés ou de son entourage un jockey politique. Si le Parti démocratique sénégalais (PDS), parti au pouvoir, tient parole en écartant Karim Wade du ticket présidentiel, ses contempteurs devront s’engouffrer dans cette brèche pour jouer leur va-tout et empêcher une double passe entre Wade, un vice-président et le fils du président. Pour cela, ils auront probablement besoin de l’appui de la communauté internationale qui semble apprécier la récente prise de position du président sénégalais sur la crise libyenne. L’occasion sera alors bien indiquée pour les opposants sénégalais d’inviter les Occidentaux à faire preuve de cohérence dans leurs agissements en invitant celui qui a traité Kadhafi de dictateur à se comporter d’abord en vrai démocrate chez lui avant de jouer à l’extérieur les donneurs de leçon en la matière. En tout état de cause, cette autre ruse de Gorgui est porteuse de multiples dangers pour la stabilité et la démocratie sénégalaises.

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