Wilko Johnson: 6 mois à vivre

Gyslain Lancement

Le mec annonce sa mort prochaine. Qu'importe soit le bûcheur qui rédige le communiqué de presse pré-mortuaire en ce crépuscule de janvier. T'aurais beau recevoir un SP d'un inédit d'Hendrix, avec le décès programmé de Wilko Johnson, l'année des bluesman va être merdique. L'année des bluesman, des fans de rock ou de ceux qui savent vraiment à quoi et à qui correspond le rythm'n'blues (au destin d'initiales atrocement atrophiées en "R'n'B"): Wilko Johnson, guitariste légendaire des Dr Feelgood. Les Dr Feelgood, personne n'osera vous dire que ce n'est pas grand chose. En trois albums ("Down by the jetty", "Malpractice" et le live "Stupidity"), ils ont donné du courage à tripotée de groupes qui ne sauraient même pas situer Canvey Island sur une cartographie du grand Londres. Et pour éviter toute confusion, il convient de traduire leur musique par "pub rock". Amusez-vous à changer deux-trois lettres à tout ça, placez vous à la fin des 70's et vous obtenez quelques années plus tard le "punk rock". Du pub à la rue, après une grosse traversée des flammes, on arrive à l'explosion. Mine de rien, de part ses bases minimalistes et excluant toute sophistication, ce mec-là a aidé à l'éclosion du punk, et le faire partir les poches pleines ne saurait le contenter. En revanche, passer du temps à l'écouter...

Perdu depuis des décennies dans une carrière solo discrète, personne n'a oublié son jeu de scène littéralement épileptique et ses compos tendues au sein des Feelgood. Je n'étais pas né en 74, 75 ni même 77, et pourtant la puissance du groupe est passée par mon ADN. J'ai maté Chorus en DVD - quand à l'heure de la messe, le cagneux De Caunes présentait les Feelgood à la France de Giscard sur une scène à même le sol - j'ai chiné du LP dans les brocantes obscures, j'ai parlé des heures aux quinquas qui ont eu le privilège de les voir à Orange en 75… pour aujourd'hui voir mon bonheur de connaisseur salopé par une pourriture de crabe. Atteint d'un cancer du pancréas sans jamais avoir vraiment adhéré au basique "milk and alcohol", Wilko n'en a plus que pour six mois. En espérant que ses dernières gammes ne seront pas son rôle somptueusement bref dans la série à succès Game of Thrones - oui le bourreau Ilyn Payne c'est lui - Johnson aura, comme tout nouvel adhérent au panthéon du Rock, le droit de réclamer une reconnaissance éternelle. Lui qui s'amusait à décrire les sempiternelles flammes des raffineries de Canvey s'en va s'éteindre avant elles. Notre ultime recours? Se jeter sur la dernière bonne réedition de "Down by the jetty" - enregistré en 74 en une seule prise et en mono contre l'avis de tous! - ou alors se ruer sur le net s'octroyer le formidable documentaire de Julien Temple consacré au groupe: "Oil City Confidential". Déjà garni de Ian Curtis (Joy Division), les cieux auront de quoi causer épilepsie, avec pas toujours les mêmes symptômes à traiter mais une envie crépitante de laisser un peu de fumée. He does it right.

Gyslain Lanzman

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