XII - Elférad : Et si ça commence à sentir le brûler...

astiacle

-Les gars, vous venez dans ma chambre ce soir ? J'ai un truc à vous dire.

Ils étaient déjà installés pour le cours et Lyert se pencha au-dessus de sa table pour demander :

-C'est quoi ? Un truc intéressant ?

Elférad garda le nez sur son livre :

-Vous verrez.

Le ton qu'il employa fit disparaître l'insouciance des visages de ses amis. Neghttris allait insister, mais un nouvel événement détourna leur attention. Qegh venait d'entrer dans la salle, pieds nus. La jeune fille passa une main dans ses cheveux fauve aux pointes marrons, pour les écarter de son visage en sueur. De toute évidence, elle avait couru, alors même qu'elle avait encore le temps d'arriver. Le fait de marcher pieds nus l'aura inquiété. Devant la salle qui l'observait, elle salua l'enseignant, se tourna vers ses camarades en disant avec dignité :

-Messieurs, dames.

Elle alla ensuite s'asseoir le plus naturellement du monde. Leur professeur ne put s'empêcher de faire remarquer :

-Excusez-moi, mais, où sont vos chaussures ?

L'adolescente fit mine de ne pas comprendre :

-Mes quoi ?

-Vos chaussures. Vous n'avez pas de chaussures.

Elle eut un rire léger qui ne trahissait aucune gêne :

-Bien sûr que si.

L'homme sembla hésiter un instant sur la marche à suivre, puis décida de commencer le cours. Alors que les surveillants se mettaient en place, Qegh jeta un regard par-dessus son épaule pour apercevoir Lyert et ses amis. Elle le foudroya du regard en lui faisant un doigt d'honneur. Matior retint un éclat de rire :

-Elle va te massacrer, mon vieux.

Lyert haussa les épaules :

-Même pas peur.

Neghttris se tourna, l'air intéressé :

-Comment t'as fait pour lui piquer ses chaussures ?

Lyert eut un sourire suffisant :

-Je vous ai dit que je pouvais avoir n'importe quelle fille si je voulais.

Cherchant une page blanche dans son cahier, Elférad envoya sans se retourner :

-Tu les a payé combien ?

Lyert fit la moue pendant que les deux autres éclataient de rire, ce qui leur valu un regard d'avertissement d'un des surveillants. Matior continua malgré tout :

-Alors ? Comment t'as fait ?

-Facile en fait. J'ai attendu devant le couloir et j'ai fini par apercevoir Reni.

Elférad qui écoutait d'une oreille distraite demanda :

-C'est qui ça ?

Lyert fut surpris qu'il pose la question :

-Bah, son héritière d'or. Enfin, tu ne t'en souviens pas ? Elles étaient toujours ensemble à l'école.

L'adolescent ne fit pas l'effort d'essayer de se souvenir et se contenta de dire :

-Peut-être, ouais.

Lyert continua :

-Bon, je tombe sur elle et il y avait fort à parier qu'elles étaient dans la même chambre. Je lui ai demandé un coup de main.

Neghttris demanda encore :

-Et elle a demandé quoi en échange ?

-Des gâteaux.

Matior s'insurgea :

-Quoi ? Nos gâteaux ?

Elférad se racla bruyamment la gorge et Matior se reprit :

-Quoi ? Les gâteaux que notre héritier d'or préféré nous commande dans sa gracieuse générosité ?

Lyert hocha la tête, honteux :

-Désolé. C'était un cas de force majeur.

Neghttris ricana :

-Tu t'es surtout fait avoir. Si tu crois qu'elle ne va pas partager avec Qegh, en échange de ce petit désagrément.

Lyert se décomposa :

-Merde, tu crois ?

-Ça tombe sous le sens.

Elférad se tourna vers eux avec humeur :

-On peut se concentrer sur le cours ? Merci.

Ils le regardèrent avec étonnement avant de plonger le nez dans leur livre.

Contrairement à leur habitude, lorsqu'ils se retrouvèrent dans la chambre, ils restèrent silencieux, attendant sagement qu'Elférad se décide à parler. Celui-ci resta prostré, les bras autour de ses jambes, appuyé contre le bureau. Neghttris finit par se tourner vers Gzadien en espérant qu'il réussirait à lancer la conversation. Notant les regards désespérés qu'on lui lançait, le jeune homme finit par dire :

-Tu veux que je sorte les notes, Elf ?

Cela le fit réagir.

-Ouais, vas-y. Bon, écoutez.

Il leur raconta les événements des derniers jours et les laissa parcourir les différents papiers qu'ils avaient recueilli. Il conclut en disant :

-Gzadien pense qu'il nous faut un nouveau point de vue pour avancer.

Neghttris fut le premier à parler une fois que tout fut dit :

-On va récapituler. Donc, ses notes sont envoyés par un certain Dorase qui a été menacé pour le faire. C'est qui ce gars ?

Le couple haussa les épaules. Elférad précisa :

-On ne sait pas. Son clan n'est pas lié aux nôtres.

Neghttris continua :

-OK. A partir de là, on a plusieurs options. Un, ceux qui envoient ces lettres l'utilisent parce qu'il le connaisse.

Matior fronça le nez :

-S'il le connaisse, ils auraient dû savoir qu'il balancerait tout à la première occasion.

Neghttris claqua des doigts :

-C'est vrai. Donc, option deux, ils l'utilisent parce que c'est le plus pratique pour eux. Trois, Dorase jouait la comédie.

Ils se tournèrent vers le couple qui se repassait leur entretien avec le garçon. Gzadien dit :

-S'il joue la comédie, il faut qu'il débute une carrière.

Elférad approuva :

-Je ne crois pas qu'il faisait semblant.

Lyert conclut :

-Alors, c'est l'option numéro deux. C'était pratique de l'utiliser lui... mais pourquoi ?

Neghttris effaça la question d'un geste de la main :

-Avant de nous lancer dans les suppositions, énumérons ce dont on peut être sûr. Les menaces lui sont arrivées par courrier.

Matior tenta de suivre :

-Ça veut dire que c'est quelqu'un de l'extérieur.

Neghttris leva un doigt pour ramener l'attention sur lui :

-Pas forcément. Un élève peut très bien envoyer un courrier à un autre élève. Tant qu'il a le nom et le clan. Le fait qu'il y ait en plus le numéro de la chambre confirme que c'est un élève. Même nos parents ne connaissent pas nos chambres et le service refuse d'envoyer les lettres qui y font référence.

Gzadien sourit :

-Je suis bien content que tu sois là. On y voit plus clair.

Elférad resta concentré :

-On a un élève pour qui la présence de Dorase est la plus pratique. Je ne vois pas trop ce qu'on peut en faire.

Neghttris continua :

-On peut se demander aussi, pourquoi s'adresser à Gzadien ? Ce n'est pas un héritier d'or et, sans vouloir t'offenser, ta famille est loin d'être recommandable. On aura plutôt tendance à les fuir.

Gzadien fit signe qu'il avait bien conscience de la véracité de ce qui était dit et laissa leur ami poursuivre :

-La seule chose que cela pourrait signifier, c'est que c'est lié à ta famille d'une manière ou d'une autre et en aucun cas avec Elf.

Elférad se redressa :

-Tu penses que l'on cherche à atteindre sa famille à travers lui ?

L'adolescent hocha la tête :

-Je pense à une vengeance. Ça ne m'étonnerait pas que ta famille se soit ajoutée quelques ennemis depuis...

Il se tut en regardant Elférad. Une atmosphère de gêne tomba soudain sur la pièce. Gzadien fut celui qui brisa le silence. Passant une main dans le dos d'Elférad, il demanda doucement :

-Tu crois que ta famille pourrait tenter quelque chose, après toutes ces années ?

Elférad observa l'assemblée :

-Je ne crois pas, et vous ?

Lyert et Matior échangèrent un regard avant de dire :

-Franchement, je ne pense pas.

Neghttris reprit la parole :

-Je ne pense pas forcément à eux, mais depuis, la famille de Gzadien a changé de clan, quoi, deux, trois fois ?

Gzadien eut une mimique comique pour signifier que c'était à peu près ça.

-Ça peut venir de là. D'une manière ou d'une autre.

Lyert reprit :

-Un élève qui veut se venger ou dont le clan veut se venger. D'accord, ensuite ?

Neghttris montra les feuilles :

-Ensuite, la teneur des messages. Ils font passer ça pour une relation contrariée... et là je bloque.

Ils lâchèrent tous des soupirs contrariés. Matior saisit Neghttris par les épaules pour le secouer :

-Non, tu ne peux pas nous laisser tomber, réfléchis, réfléchis.

Neghttris ne put que répondre :

-La seule chose que je vois, c'est qu'ils aient tenté de les faire rompre, mais ça me paraît un peu faible.

Elférad haussa les épaules :

-En même temps, en utilisant Dorase comme intermédiaire, c'était déjà pas malin.

Lyert récapitula à nouveau :

-Donc, un élève stupide qui veut se venger en utilisant Dorase. J'en reviens à ma première question. Pourquoi lui ?

Neghttris prit un instant de réflexion :

-Je pense que c'est le fait que sa chambre soit proche de la votre qui le rendait intéressant. Il doit être dans la même classe que lui. Ils ont dû se parler, peut-être même se retrouver pour travailler et c'est comme ça qu'il aura vu dans quelle chambre vous étiez.

Comme tout le monde réfléchissait à toutes ces informations, Neghttris s'empressa de préciser :

-Tout cela ne sont que des suppositions, hein. J'ai tout faux si ça se trouve.

Gzadien lui dit :

-Moi, je trouve que ça tient la route. Avec tout ça, je peux repartir en quête d'information. Il va falloir que je retourne parler à Dorase.

Il fit une grimace à cette idée. Elférad se tourna vers lui :

-Tu n'as qu'à me dire quand, je viendrais avec toi.

Le jeune homme refusa d'un signe de tête :

-Je préfère pas. Si c'est après moi que l'on en a, on va éviter d'ajouter d'autres cibles au tableau.

Le haut-parleur commença le décompte et les amis se levèrent pour se séparer. Avant de partir, Lyert se souvint soudain :

-Ah, je peux te prendre des biscuits ?

Elférad lâcha :

-Si je dis non, tu fais quoi ?

-Je pleure très fort.

-Vas-y.

Lyert hésita :

-Vas-y quoi ? Pleurer ou les gâteaux ?

-Les gâteaux.

Le garçon se dirigea vers l'armoire par petits bonds joyeux. Il repartit avec une réserve qu'Elférad jugea exagéré, mais il le laissa filer sans rien dire. Gzadien vint le prendre dans ses bras :

-On va se coucher ?

Elférad observa avec attention le visage souriant. Il savait qu'il était inutile de vouloir le persuader de le laisser l'aider dans ses recherche. Alors, il se résolut à dire :

-Tu me tiens au courant de tes trouvailles, hein ?

-Évidemment.

Il l'embrassa, mais Elférad ajouta encore :

-Et si ça commence à sentir le brûler...

-Je t'appelle au secours et tu viendras me sauver.

L'adolescent approuva en ajoutant :

-Puis, je te mettrais mon poings dans la figure parce que si on en arrive à ce point là, c'est que tu n'auras pas été prudent.

Gzadien le serra fortement :

-Promis, promis. On va se coucher maintenant ?

 

Des coups frénétiques à leur porte les réveillèrent. Ils se redressèrent aussitôt, prêts à tout.

-Elférad ? T'es là ?

Gzadien fronça les sourcils :

-C'est qui ?

Elférad eut besoin d'un instant pour replacer la voix sur un visage :

-Xutik ?

-Oui, c'est moi. Ouvre.

Le garçon s'empressa d'enfiler un caleçon pour se rendre à la porte. Il entrouvrit, juste de quoi pouvoir dévisager l'adolescent avec mauvaise humeur :

-Qu'est-ce que tu veux ?

-T'aurais pas une fleur ?

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