Y'a pas plus rasoir qu'un téléphone...
Mathieu Jaegert
Benoît avait saisi brusquement son rasoir électrique pour appeler le service après-vente. Son téléphone portable ne fonctionnait plus. Privé du répondant qui faisait soncharme, il n’était pourtant pas encore tout à fait aphone, émettant par intermittence quelques borborygmes étranges. Mais il n’obéissait plus ni audoigt ni à l’œil. Benoît, après un bref et rassurant examen ophtalmologique,s’était rendu à l’évidence la mort dans l’âme, quand son joujou, lui, avait rendu l’âme. Ce foutu portable n’était plus fichu d’aligner trois caractères. Troismois seulement qu’il l’avait ! Une bien mauvaise opération que l’opérateurindélicat l’avait poussé à réaliser. Il avait donc composé le numéro du magasinsur son rasoir. Non, les téléphones intelligents n’avaient pas le monopole desapplications et des usages multiples. S’ils étaient capables de prévoir letemps et de réchauffer le café, pourquoi un rasoir ne pouvait-il pas lui aussiprétendre à des activités plus excitantes, et notamment passer desappels ? C’était à ce moment précis que tout avait basculé. Peu coutumierencore de la manipulation, Benoît avait mis en marche le rasoir, ce qui avaiteu le don d’énerver son portable. Dans un dernier souffle, l’invention derniercri s’était manifestée par une alarme stridente signifiant que le niveau debruit recommandé par l’Organisation Mondiale de la Santé venait d’être dépassé.Le calme revenu, une autre sonnerie s’était déclenchée. Benoît l’avait programmée en guise de rappel. Prodigieux ce qu’on pouvait faire avec untéléphone portable ! Rassuré par le fonctionnement de ces applications, le jeune homme avait consulté sa montre. Il était 11h30, et c’était bien à cetteheure-là qu’il devait aller…Où devait-il aller déjà ? L’alarme, sur un airde Beethoven, sonnait encore, mais elle ne lui disait rien. Il avaitcomplètement oublié ce qu’il ne devait pas oublier, et précisément ce que lasonnerie était censée ne pas lui faire oublier. Benoît s’était pris la têteentre les deux mains et avait aperçu un message sur son poignet droit. Celui-cidétaillait les types d’alarmes et leurs correspondances. Beethoven indiquaitl’heure d’aller chercher sa fille chez la nourrice. Soulagé, Benoît n’avaitcependant toujours pas appelé le service après-vente, et il ne parvenait plus àarrêter son portable. Il sonnait fort, de plus en plus fort, ça en devenaitpénible.
Soudain, en nage, ils’était redressé dans son lit. Son téléphone, comme tous les matins à 7 heures,faisait office de réveil. Tout semblait aller très bien pour lui. Benoît étaitle plus heureux des hommes mal rasés. C’était la réflexion qu’il s’était faiteen se dirigeant vers la salle de bain, muni de son téléphone. Sa fille seréveillait doucement. Il n’allait pas tarder à connaître le niveau de forme deson portable. L’application « couche pleine » lui avait permis dedétecter ce que son nez ou son bon sens ne savaient plus faire depuis longtemps.Son mobile avait su scanner le flash code. De quoi le rassurer pour de bon.
Benoît s’était alorssaisi de son rasoir électrique et avait appuyé sur « on ». Une, deux,puis trois fois, en vain.
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Alarme à lames.
· Il y a environ 11 ans ·yl5