ZAKÂT POUR UN POKER MENTEUR

Isabelle Revenu

Ivoire et os en dedans, manteau d'oubli en dehors, je me blinde comme je peux.

Par mes anfractuosités, je laisse entrer les blessures d'escarbilles  dans de savants filtrages.

Biscornu, je distille avec patience ces petits riens qui m'attachent à une autre peau que la mienne.

 

Je suis dé encombrant, à l'ivoire déjauni par la main d'un joueur indifférent. Un nombre premier, un nombre qui dort au fond d'une malle oubliée sous la soupente d'un grenier déserté entre poubelle émaillée bouffée par la rouille et vespasienne ébréchée au rebut.

Je ne sais pas qui m'a laissé là, dans cet endroit où personne ne s'en vient et d'où nul n'en repart.

 

Les grands petits riens créatifs et quotidiens qui passaient jadis sous la porte sans pène ne sont que des lointains souvenirs. Les toiles d'araignée empoussiérées esquissent des silhouettes chevelues aux vasistas étoilés de rose et de fêlures crasseuses. Le soleil y passe comme il peut, réchauffant par à-coups brefs le fond de la malle des Indes. Mais moi, j'y ai toujours froid.

J'attends un courant d'air frais qui indiquerait que la porte s'ouvre, qu'un pas lourd ou léger fasse vibrer les lattes endormies du plancher vermoulu. Ou un signe, un mot de mon saltimbanque absent. 

 

Je suis un nombre premier qui n'est plus divisible que par moi. Un entier un, un premier composé-décomposé, un demi lé. Une demi clé. Une faute de mode, de temps, de conjugaison. Et de goût.

Dégoût ...

 

Il n'y a pas si longtemps, je vivais au grand air nourrissant mon ivoire usé d'air et de rimes libres. On me qualifie  d'étrange, de mystérieux, sans place déterminée comme les algorithmes ou finie comme les suites logiques. Ambigü, sans règle et non planifiable, infini dans l'immensité des nombres pairs et impairs. Surtout impairs car c'est ma spécialité. J'en commets et pas des moindres. Ce n'est pas une vue de l'esprit - si j'en avais eu de l'esprit, je ne serais pas ici - c'est factuel.

C'est sans doute pour cela que l'on m'a remisé, seul, croupissant au fond de ce grenier sans vie dans une malle sans vie. 

 

Cette nuit, je suis soluble dans mes larmes pour le reste du temps. 

 

Silence

Hiver

Froid

Un vilain gâchis sans fin et sans fond comme la vieille malle où j'habite à présent..

Une dérencontre ...

 

Je ne suis plus qu'un nombre bon dernier, un amputé à la face effacée dans la mémoire de mon double trouble.

Risible

Invisible

Défait.

Désormais les jeux sont faits.

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