Zéroville entre dans ton crâne et n’en sort pas
Le Bruit Et La Harpie
Ce bouquin allait me plaire, j’en étais certaine dès que je l’ai eu entre les mains. Pour preuve, il m’a été offert en double. Heureux hasard ou simple coïncidence, je me plains à croire que c’était mon destin de lire Zéroville.
Dès les premières pages, je tombe en pâmoison littéraire devant le personnage de Vikar, anti-héros par excellence. Une particularité, mais pas des moindres : sur son crâne sont tatoués les visages de Montgomery Clift et d’Elizabeth Taylor dans une Une place au soleil. Frénétique et impulsif tout en étant d’une indifférence totale à la plupart du reste du monde, Vikar refuse sa véritable identité, Ike Jerome.
Il ne vit, ne respire, ne se meut que pour et par le cinéma, comme s’il constituait la seule fuite évidente à son existence. Il le réussit si bien qu’il ne devient plus qu’un pion du cinéma, modelé en fonction des images imprimées sur sa rétine. Dans sa quête, une seule destination possible : Hollywood. Devant un freak pareil, j’avoue avoir été conquise sans me forcer.
J’ai pensé un instant que j’allais avoir droit à un nouveau McInerney ou Ellis : si je voue une admiration sans bornes à ces auteurs, j’ai été néanmoins satisfaite de constater qu’il n’en était rien. Steve Erickson invente son propre style, comme un grand et nous balade, à la manière de petits enfants.
L’écriture est très paradoxale : le chaos est présent à toutes les pages, un défaut d’attention pourrait être presque fatal tant les événements, scènes et personnages s’enchainent rapidement. Tout le long du récit, les « chapitres » sont découpés de manière hérétique, selon un nouvel élément du livre. Inattendu, neuf, ce rituel troublant d’exactitude et de ponctualité vient rappeler qu’il s’agit de littérature et non de la réalité, ce que l’on aurait pu oublier. Et soudain, au milieu des pages, le compte à rebours des chapitres commence, et on lit à présent en sachant parfaitement que la fin est proche.
Vikar est une incongruité totale, par son autisme et sa monomanie, un psychopathe borderline du cinéma. Les films viennent à lui naturellement, et ils les utilisent ensuite pour construire sa vie autour de leurs histoires, de leurs personnages, de leurs répliques.
Parmi la centaine de références de films, Vikar ne cite que ceux qu’ils voient au cinéma. Le reste, il se contente de le décrire, tout comme les groupes de musique et événements qui ont secoué l’époque du récit : les 60′s et 70′s (eh ouais encore cette époque-là, je cherche néanmoins à me faire soigner). Se bousculent sur le papier tous les acteurs qui passent par la tête de Vikar, dans un tourbillon irresistible qui donnerait presque le vertige.
Et cette phrase, cette phrase perdue au milieu du récit, qui nous apporte peut-être la seule réponse que l’on pouvait espérer sur Vikar, la seule qui compte :
« Tu ne trouves pas curieux, qu’il y ait vingt-quatre images par seconde de film? Que dans chaque seconde de film, il y ait le même nombre d ‘heures que dans une journée ? »
« Je ne sais pas, peut-être que quelqu’un me montre un chemin pour sortir de quelque chose. »
« Ou pour y entrer. »
« Suis-je possédé par le cinéma? demande Vikar »
« Ce n’est pas parce que tu aimes une chose qu’elle t’aime en retour. »
Contrairement à Vikar qui lit et relit le même livre détesté pour finalement se rendre compte qu’il l’adore (j’vous ai dit qu’il était un peu timbré), j’ai adoré ce livre et comprend désormais qu’il me faudra le relire et le relire encore avant d’en saisir parfaitement l’essence. Chapeau bas, Môôôsieur Erickson.
PS : pour le prix d’un article, vous avez deux couvertures différentes, je vous gâte !
« Zeroville » de Steve Erickson, Éditions Actes Sud, 352 pages, 22,80€