Zones blanches.

Christophe Hulé

Et le curé de se resservir du vin de messe devant les ouailles habituées.

Le sermon va encore être bien arrosé.

- « Mes biens ch… ch… chers ... »

Les bigotes ont réservé le banc du premier rang, et gare à celui ou celle qui romprait l'interdit.

Faut dire que les rangs sont bien dégarnis comme les cheveux de la plupart des paroissiens.

Sauf à Noël évidemment où le curé fait abstinence, le jour le plus long, il essaie en vain d'avancer l'heure de la messe, mais les bigotes ne sont pas dupes.

Ce sera 22 h et pas avant.

Vu l'ampleur du sacrifice, plus personne ne prend le risque de l'inviter pour le gueuleton.

Alors il reste avec sa bonne, comme on dit, ce qui se passe au garage …

Mais personne n'irait le dénoncer à l'Évêque, vu qu'y a plus de boulangerie, et surtout de bistrot, on garde le curé.

L'hôpital étant très loin, le dernier médecin de famille parti depuis des lustres, il faut quand même assurer les enterrements.

Au temps du COVID, les militaires installaient des hôpitaux sous toile, et on vidait le surplus par avion, enfin pour ceux qui pouvait espérer un aller retour.

« Ici il n'y a  rien » (Lavilliers).

Les quelques vieilles et vieux, pas trop fourbus, remplacent les services de pompes funèbres, chacun  met du cœur à l'ouvrage, se sachant la prochaine ou le prochain.

A quoi servirait donc le réseau dans ces contrées où l'on vit encore comme au Moyen-Age ?

Les quelques paysans, si leur reste quelques hectares non envahis par les péri-urbains, vendent leur maigre récolte et fabriquent des fromages.

La clientèle est rare, car chacun a son potager.

Quelques touristes égarés, qui ont pris la très mauvaise sortie, sont invités, moyennant finances, proportionnelles à l'état et la marque de leur véhicule, pour un repas champêtre, voire un logement chez l'habitant s'il est vraiment très tard.

Et tout le village s'y met.

Les corniauds paieront le prix fort, mais garderont à jamais le souvenir de leur passage dans ce petit coin de paradis rustique et hors du temps.

Au grand bonheur de ce petit village d'irréductibles gaulois, certains reviennent en pèlerinage, ou font marcher la meilleure des techniques publicitaires : le bouche à oreille.


Comme les réserves d'Indiens, le village est devenu un must, comme disent les gogos du monde entier.

On a perdu le curé entre temps, mais l'Évêque ne sait plus à quels saints se vouer devant l'avalanche de candidatures.

Le Vatican a eu vent de ce phénomène, des émissaires du Pape ont été délégués.

Mais l'État, qui jusqu'ici n'avait rien fait pour ces pauvres bougres, n'entend pas laisser passer l'affaire, des zones pittoresques où installer des start-ups et expérimenter le concept de décroissance.

Et que croyez-vous qu'il advint ?

Ce petit coin de paradis, où l'on acceptait la mort prématurée comme fatalité, où l'on manquait de tout mais se réjouissait de rien, où l'on vivait paisibles et solidaires, ce petit coin exploité par ceux qui n'ont, et n'auront jamais, rien compris, est devenu une entreprise en liquidation judiciaire.

Bonne nouvelle, les gens intelligents ont suivi toute cette affaire et réhabilité le village d'origine en ne pensant qu'aux valeurs, autres que financières.

La Terre est redevenue ce qu'elle aurait toujours dû être.

Mauvaise nouvelle, Dieu projette d'envoyer des émissaires en délégation.

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