ZWOLG
johnnel-ferrary
ZWOLG
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« Tribulations. Anonymats. Conspirations. Thèmes abordés sabordés. Réflexions hâtives, rejet, déchets. Mots. Inscriptions dans la mémoire active. Fragmentations sur huit disques durs. Impossible retrouver matrice. Point. Je. Problème de base. Moi. Qui ? »
L’autre me regarde d’un air con. Je dois avoir le même aussi. Ce message nous est parvenu sans aucune explication distincte. Il s’est écrit sur mon écran sur les autres membres de la navette reliant Pluton à la Terre. Etant le plus vieux de la bande, et puisque j’étais depuis des années le commandant de bord de cette navette qui commençait à se faire reluire par la rouille, il me fallait de suite, prendre une décision. Effacer chacun des mots ou les mémoriser au risque de se prendre un méchant zworg qui allait rendre caduque notre système de navigation et les autres composants électroniques ? J’ai donc dis à mes collègues et subalternes que cela m’emmerdait beaucoup.
- On le laisse et arrivé sur Terre on se zigouille, dans le cas inverse, on rentre à la base tranquille et j’efface cette merde informatique.
- Et si jamais cette aberration voulait nous signifier un message d’induction périmée ?
- Tu les connais bien toi, les messages d’induction périmée ?
- A dire vrai, non, seulement par ouïe dire…
- Donc tu fermes ta gueule, dis-je au co-pilote, et tu retournes à tes fourneaux pour nous piloter en manuel.
- Bon, après tout, c’est toi le boss pas vrai ? Dans ce cas, démerdes toi avec ton propre conciliabule.
Oui, je suis seul à décider. Je me souviens dans ma jeunesse, d’un vieux film où une navette allait sauver un navire spatial et s’est retrouvé avec des créatures à la con. Certes, ce n’était qu’un film, seulement aujourd’hui, c’est une réalité particulièrement difficile car c’est la mienne. J’ai regardé les autres membres de l’équipage.
- Foutez le camp, je dois rester seul.
Aucun d’eux ne pipa mot, ils s’en allèrent et je me retrouvais le cul serré sur ma chaise de commandant. C’est dans ces moments là que tu te dis combien tu regrettes d’avoir eu des études parfaites, toujours premier, pas la moindre égratignure dans mes carnets scolaires ! Et dire que le cancre de la classe répare les navettes sur la base lunaire, se fait un max de pognon et se tape les plus belles gonzesses de la côte alors que moi dans cette fournaise intellectuelle, je me mijote des maux de crâne. Et si c’était un zworg et que si j’en étais sûr et certain, je te le balancerais dans la poubelle, seulement voilà, et si ce n’était pas un zworg ? Un appel au secours, mon cul, tu peux toujours attendre, je ne suis pas une ambulance cosmolite, mais un navire marchand, qu’on se le dise une bonne fois pour toute. Vide, certes, mais un navire marchand malgré tout. Et puis non, je pense à ce film sur un vieux DVD que possédait mon arrière grand-père, et heureusement qu’il avait aussi un lecteur sinon, que dalle pour la vision d’un tel machin qui ne me faisait pas rire du tout. Je relus ce message en essayant de vouloir comprendre son sens caché, son sens dépossédé de tout ce qui me paraîtrait obscur. Peut-être un disque dur externe et un autre computeur pour en dessiner la trame ? Je possède un disque dur acheté aux puces de pékin, c’est un appareil pas cher et moche comme ce n’est pas possible. Des fleurs jaunes, un fond multicolore, un bruit de grésillement intempestif dans les oreilles lorsqu’on le met en fonction. Si c’est un zworg, au moins, je le brûlerais facilement et adieu le message, par contre si c’est un véritable appel de détresse et que je n’ai pas répondu, j’aurais droit à cinq points en moins sur ma notre trimestriel. Un risque à courir moi qui me fout de cette note car seul mon fric m’intéresse. Cette histoire me gonfle la vessie, et voilà que j’ai envie de pisser. Et dire que je suis devenu commandant de bord d’une navette marchande ! Si j’avais su à cette époque…
- Conspirations et des Tribulations en Anonymats. Conclusion…défaite !
Tiens, voilà que le message continu. Impossible de retrouver la source vu que nous sommes dans un navire marchand et non un aéronef conçu pour la guerre. Soudain, sur l’écran, ma propre gueule comme si je me voyais dans un miroir. Et je me parlais à moi-même tout en étant un autre. Absurdité complète.
- Salut, je crois que tu devrais te raser, çà ferait plaisir à ton épouse…Et à tes deux maîtresses mon salaud !
Quoi ? Une épouse et deux maîtresses ? Mais vas jouer aux billes ducon, je n’ai l’une ni les autres, heureusement pour moi.
- Et tes gosses, tu les oublies ?
Alors là, je suis resté assis et ce n’est pas plus mal sinon je serais tombé à la renverse. C’est moi dans mon écran, je me parle et je me raconte ma vie qui n’est pas la mienne ? Ceux qui font çà, je leur tire mon chapeau, c’est très fort dans la connerie. Une main sur mon dos me fait sursauter. La navigatrice en second.
- C’est vous Commandant, vous nous préparer un petit film comique pour votre anniversaire ?
- Non Kerna, cela est une suite au message reçu. C’est ma tronche et ce n’est pas moi. Amusant pas vrai ?
- Bof, c’est un peu tordu ces messages.
- Je suis de votre avis. Les effacer, il y a des risques, les garder, des risques aussi. Je suis dans le merdier le plus complet sauf si des crétins me font une plaisanterie de bas humour, et dans ce cas, ils auront mon poing sur le nez ! je vais cogner dur et il y aura du résiné dans les bureaux de la base. Cà va saigner dur, vous pouvez me croire.
- Eh la môme, tu veux qu’on baise ce soir, ma femme s’absente…
- Mais c’est pas vrai, çà recommence, hurlai-je de dépit.
- Capitulations. Régression. Totalitarisme vaincu. Perdition navette moins quatorze temps horloge base…
J’ignore pourquoi, mais je ressentais le danger venir. Où, quand, comment, de quelle façon, impossible à le visualiser mais il était là, bien présent. Et cet autre que je suis, manipulateur de touches de clavier d’ordinateur, que pouvait-il en penser ?
- Rien, me répondis-je, je claque des doigts sur les touches en les pianotant, et toi tu es localiser dans un espace qui n’est plus le tien !
- Comment çà, explique un peu ?
- Vous n’êtes plus sur le trajet que prévoyait la compagnie marchande, mais ailleurs.
- Ah bon ? Et de quel espace il s’agit, Monsieur Moi ?
- Et bien, Monsieur Moi te le dit Commandant Moi, vous êtes prisonnier d’un espace clos dont nul ne peut en sortir. Il ne possède ni intérieur ni extérieur. Désormais, cet espace insondable est celui de mon écran cathodique sur lequel s’affichent vos âmes perdues ! Et le pire, c’est que moi-même étant toi du même coup, je suis devenu le prisonnier de ma propre prose ! Nous sommes coincés dans le labyrinthe du temps, ni passé, ni futur mais à l’intérieur de ce présent infini. C’est cela le zwolg, le ghetto de l’auteur cloué à jamais avec ses personnages sur une croix virtuelle dont il n’est d’ailleurs pas le créateur.
- Tu veux dire que nous ne voyageons pas en direction de la Terre qui est notre planète d’origine ?
- Et bien non, regardes tes instruments de bord, et tu comprendras.
- Et toi, tu es où alors, en sachant que tu es tout aussi moi que je le suis pour toi ?
- Je suis dans une pièce sans aucune issue, plafond, quatre murs, un plancher. La luminosité me vient de l’écran qui n’est relié à aucune source d’énergie ? Je viens de m’en apercevoir, je ne comprends pas ce qui arrive. Don d’ubiquité sans doute ? Être là mais aussi partout ?
- C’est donc cela le…ZWOLG ?
- Oui, une sorte de bogue qui retient toutes les informations en son sein d’où aucune ne peut en échapper.
- Mais c’est de la folie ce phénomène, répliquai-je à l’autre qui est aussi moi.
- Oui, me suis-je répondu, bien sûr que c’est de la folie, une bévue dans un texte, un lapsus dans la parole, il est à supposé que l’enclave virtuelle est plus forte que celle imaginaire car de cette dernière, tu peux t’en échapper ! Celle-ci, impossible.
- Mais alors, que veut dire ce mot, ZWOLG ?
- Il est simplement le contraire du mot GLOWZ qui est lui-même le contraire du premier, cinq lettres dont l’essence est de ne peut en posséder qu’une, celle qui réside en lui-même. IL EST, et rien d’autre. Nous le subissons, et soudain, il éclate devant nos regards et nous enfonce dans la médiocrité de cette inconnue que recherchent des mathématiciens chevronnés. Sans jamais conclure à la loi que le gouverne, et qui pourtant, nous oblige à ne point l’enfreindre.
- Donc, virtualité aux vertus absconses ?
- Oui, tu as trouvé la phrase juste et précise.
- Merci.
- C’est normal, nous sommes un dans l’histoire.
- Mondes parallèles ?
- A n’en pas douter, bien que je me demande si oui ou non, ceci appartient au réel qui se meut aux alentours ? De moi ou de moi, qui est la réalité ?
- Le moi du vaisseau, le moi de l’auteur ?
- Alors, qui sont les personnages annexes dis moi ?
- Des lecteurs, des lectrices, des machines, des êtres humains redéfinissant l’âpreté du virtuelle conjugué par la réalité de la matière ? Je n’en sais rien.
- Moi non plus, mais alors, que devons nous en conclure afin de parachever ce récit ?
Et bien oui, le zwolg à cette particularité : c’est un mot vide, creux, sans âme et que nul ne peut donner de définition, d’où son implication dans un tel récit. Et pourtant, il faudra bien lui offrir une conclusion car dans le cas contraire, il ne commencera et ne possèdera aucune fin ? Il deviendra une phrase anodine dans le crépuscule d’une nouvelle illusoire, j’en crains déjà le dénouement. Après tout, les livres ne sont rien d’autres que des moments choisis par l’auteur, des phrases que l’on jette dans un panier pour qu’elles s’associent entre elles et se terminer dans l’histoire d’un personnage ? Mais là, s’imbriquer dans le « sans issue » dite précarité d’une monopolisation globale de l’histoire, la folie devient l’issue, le chemin à s’en réduire pas et pensées. Et si je terminais ce récit par la destruction du vaisseau, et moi comme interné dans un asile psychiatrique ? Bien venue cette fin tragique auteur/personnages vous ne croyez pas ? J’ai enfin réussi à le détruire le zwolg en me détruisant aussi, mais cela était nécessaire…
- STOP ! Vous n’avez pas le droit de détruire ce récit et vous détruire, merde ! Vous avez des fans non ? Alors, que vont-ils devenir sans vous qui devenez un auteur aussi has been que vous l’êtes devenu ? Qui prendra votre place, qui ?
Une question simple contre un silence normal. Bref, je retournais sur mon clavier alors que je retournais aussi à mon vaisseau. Moi auteur et Moi commandant étions à nos postes respectifs. L’un et l’autre et en même temps, pianotant sur le clavier mais aussi sur les manettes du vaisseau, j’allais affronter le zwolg qui tôt ou tard, referait surface. Ce que j’ignorais, ici ou ailleurs, car ne l’ayant pas lu, le livre dont la réponse affichait le silence, se trouvait dans cette pièce plongée dans la frayeur d’un matin d’automne. Trop près de moi, à ma portée si facile, un simple livre entaché par le temps et l’humidité. Je le pris et blessant mon regard sur la première page, je lus.
« Au début bien que n’ayant ni commencement ni fin, ZWOLG ! De toute éternité, ni temps ni espace, alors il feula comme un fauve emprisonné. Un cri dans l’inutile raison, puis vinrent l’espace et les sphères tournoyantes et cela, autour d’un axe imaginaire. Furent ainsi créés les mondes d’où s’échapperaient la seconde du malheur et du bonheur. Du feulement vinrent étincelles en lumières de feu, de ricanements sournois lorsque se figèrent les pôles du nord et du sud. ZWOLG toujours, des ténèbres sur les abîmes, du vide au cœur des sphères, passé, présent et futur accrochées aux cadrans des horloges non inventées par des êtres complexes. A qui le refus de naître se faisait dans un miroir sans teint, ZWOLG unique, de lui en voulut le souhait. Après seulement, il y eut la lumière et la nuit, le soleil si lointain et gigantesque, la Terre cultivée prête à l’emploi, et la lune dont charrient marées et vents brusques. Univers, solide en son espoir, et le désespoir lorsque la loi est enfreinte de plaisir ! Il y eut de l’eau, de la terre, de l’air et du feu, des empreintes aussi laides que belles, des mots d’amour échangés entre des êtres idolâtres. Seulement, il conçu la chair et l’esprit, le verbe et le chiffre pour peu que ses clones en vint à lui succéder. Duperie à lui-même, il en convint, alors décision prise, d’où ces mots clefs sur un écran cathodique afin de m’en parler. Il n’y eut ni commencement ni fin, mais la chose promise et rendue que nul ne pouvait approcher. Un nom sans signifiance aucune, ZWOLG mais aussi GLOWZ, lecture de droite à gauche, de gauche à droite. Tout se trouvait là, comme un empire conçu par des moines belliqueux qui n’ont de cesse de guerroyer entre voisinage. Alors, je refermais le livre car peut m’importait le silence du feulement, j’étais la conclusion suprême de l’infini, à savoir l’homme qui ne puis se gouverner dans sa duperie de finesse libertaire. Je me croyais libre, j’appartenais à la mort, je croyais vivre, je m’exposais à ma propre fin. Toute naissance est le fruit de l’absence à venir, rien ne t’appartient puisque ton destin ne s’écrit ailleurs qu’en toi-même. Naître pour mourir, et en cette nuit de noël fragilisée par la neige devenue glace, je voulus sortir par la porte. Non qu’elle soit fermée de l’extérieur, mais qu’elle n’existait que dans mon imaginaire. Tout comme ce vaisseau qu’il me fallait commander. Solitaire face à la machine, j’abdiquais enfin car me sachant perdu d’avance, l’échec et mat me rendaient plus fragile encore. Je venais de perdre la partie devant le zwolg qui une fois de plus, arrachait la gloire dans son feulement de dédain. J’éteignis l’ordinateur et jeta ce livre dans la poubelle. Là, à mes cotés, la porte de la chambre, ouverte. Le dehors m’attendait certainement, mais au-delà de cette porte, qui s’y trouvait ? Une belle nuit de noël ou les cloisons d’un cargo interstellaire marchand ? Je verrais plus tard, il me fallait dormir car le temps venait de clore la première heure de ce vingt cinq décembre. Et si jamais le Père Noël frappait à cette porte, je n’ouvrirais pas de peur d’y rencontrer ZWOLG tel ce fauve montrant ses crocs. Et puis, j’avais envie de dormir et vous souhaiter une bonne nuit à vous et à vos familles. A très bientôt qui sait...?
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Johnnel BERTEAU-FERRARY est né le 19 janvier 1953 dans le 13° arrondissement de PARIS.