~6~Le temps d'un été, de Paris à Beyrouth...~6~
ines-saade
Cela fait maintenant une semaine que Layla est prisonnière dans son studio. Ses parents ont réussi à la rejoindre mais il s'en est fallu de peu pour que leur voiture explose sous une bombe.
A eux quatre se sont joints les quelques voisins qui n'ont pas eu le temps ou le courage de fuir. La situation du pays est de plus en plus critique. Les explosions et les tirs ne s'arrêtent pas. Les civiles commencent à manquer de vivre, Layla s'inquiète pour sa fille.
Cependant, au milieu de ce chaos ambiant, tous savent que c'est le prix à payer au nom de leur dignité. Pour leur Terre, leur Nom, il faut résister. Layla sait que deux possibilités s'offrent à elle : rester dans son pays et lutter auprès des siens, auprès de l'âme de son amour, ou partir pour offrir un avenir serein à sa fille. La deuxième option est, finalement, la plus raisonnable à ses yeux et puis, elle pourrait partir en France chez son cousin maternel, installé depuis près de dix ans à Paris.
C'est ainsi qu'en ce mois de juillet, Layla et sa famille s'envolent pour ce pays inconnu qu'est la France. Sur la route de l'aéroport, le spectacle est désolant, ils ne reconnaissent plus aucun quartier de leur ville tant chérie. Tout n'est que débris et poussière. Ils ne peuvent contenir leurs larmes et, à voix basse, comme pour rassurer leur terre mère, ils font la promesse de revenir. De revenir et de reconstruire, car ce cèdre est éternel.
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-Mesdames, messieurs, ici le commandant de bord, je vous prie de bien vouloir rejoindre vos sièges et d'attacher vos ceintures. L'avion se prépare à atterrir à l'aéroport Charles De Gaulle. Il est 10heures20 heure locale et la température extérieure avoisine les 23 degrés. L'équipe vous souhaite un agréable séjour et espère vous revoir.
La mère de Layla, Nour, déteste les avions. Elle fait partie de ceux qui craignent tout ce qu'ils ne contrôlent pas, ce qui lui a souvent valu le surnom de Margaret Thatcher ! Elle est soulagée d'atterrir mais comme sa fille et son mari, elle a peur de l'avenir.
Naïla, elle, du haut de ses deux ans, n'est consciente de rien. Assisse sur les genoux de sa « téta » elle n'arrive plus à tenir en place. Elle n'a pas réussi à fermer l'œil depuis leur départ de Beyrouth ce qui la rend grincheuse et hyperactive. Nour réveille délicatement son mari et sa fille, elle leur chuchote que l'avion atterrit, «Ouvrez les yeux, voici notre nouvelle vie qui commence».
Au fond d'elle-même, elle sent son cœur se resserrer, son pays lui manque déjà, comment pourra t' elle recommencer sa vie à zéro, loin de ceux qu'elle aime, loin de son village ensoleillé, de ses belles plages, de ce beau ciel immaculé, de ces montagnes enneigées et surtout, de ses frères fiers et braves ? Elle ne peut plus faire marche arrière, sa fille a besoin d'elle à ses côtés, elle doit se battre pour Layla et surtout pour Naïla !
A l'aéroport un grand brun aux yeux verts les attend. Rayan, le cousin de Layla, vit dans une petite ville en banlieue parisienne depuis 10 ans. Il est venu pour ses études et n'est jamais reparti. Dans sa ville, Courbevoie, il loue un petit 3pièces avec sa femme Amani et leur petit garçon Hayden. C'est avec une joie immense qu'il retrouve sa tante et sa famille qu'il n'a pas revue depuis si longtemps.
Tous ont les traits marqués par la fatigue et l'angoisse. Layla a tant changé. Quand il a quitté le Liban, elle n'était qu'une petite fille de dix ans encore toute frêle et bien décidée à être docteur. La voilà mère à présent. Ses longs cheveux noirs et bouclés, son teint mate et ses yeux immenses couleurs turquoise lui confèrent un aspect irréel. D'elle, se dégagent une beauté atypique et une grâce innée. Pourtant, il ne peut s'empêcher de ressentir cette tristesse que reflètent ses yeux.
Elle a le regard vitreux et le sourire de ceux qui, au fond d'eux-mêmes, souhaiteraient s'en aller.
Leurs regards se croisent, il baisse les yeux, gêné.
Layla sent ses joues s'enflammer, elle comprend qu'il vient de lire au plus profond d'elle-même.
Elle a honte d'avoir pensé, cinq secondes plus tôt, à la mort ; sa mort.