« La chambre »

Rémi Bisson

Il me semble que le vent pénètre de sa force glaciale les épais murs de pierres de la chambre où je me trouve assis, recroquevillé sur une chaise en paille d'ocre usée, entre le lit et l'unique fenêtre à simple battant. Il me semble même que les voilages ondulent en une arythmie silencieuse.

Pourtant le ciel est bleu, auréolé d'un radieux soleil d'été illuminant toutes choses, et surtout, il n'y a pas un souffle pour agiter les feuillages des tilleuls en fleurs.

Ce n'est donc pas le vent d'un froid hivernal qui me produit ces tremblements. Ni ceux d'Annie inerte sur le lit.
 
Son corps ne respire plus depuis dix minutes, mais sa poitrine semble haleter. C'est son cœur qui se vide par de petits bouillonnements silencieux, maculant le drap qui le recouvre d'un rouge vif que sublime un rayon de soleil. L'odeur de son sang chauffé par cet unique rayon caressant son sein gauche, que le double vitrage amplifie, m'écœure maintenant. J'ouvre la fenêtre, absorbe une bouffée d'air parfumé des fleurs de tilleuls, et la referme aussitôt. J'ai encore plus froid. Je tremble d'au temps.

À l'intérieur, le mur exposé plein sud a, au fil du temps, été délavé et jauni par la lumière. Entre celui-ci et le lit, posé sur une table de nuit au tiroir cassé et fléchissant, se trouve l'arme de mon crime. Pas, à proprement parlé celle qui tua Annie, mais le mot griffonné qui prémédita mon geste.

Le soleil s'est légèrement déplacé, suivant les courbes de son corps, posant son rayon sur son bas-ventre. L'air chaud diffuse un autre parfum, plus intime, la rendant plus vivante que morte. Instinctivement, un désir charnel s'exprime en moi, empli des souvenirs qui lui sont associés. Je me saisis de nouveau du couteau ensanglanté afin de taire cette odeur de vice par celle du sang.

Je suis devenu un assassin. J'ai tué ma Reine, parce qu'elle ne me voyait plus Roi. J'ai tué Annie parce qu'elle m'a écrit comme épitaphe :
 
« Il y a tant de Rois et de Reines en ce royaume d'amour, que mon état me comblerait largement en suffisance si nous devenions à nouveau de simples sujets »

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