09h11

09h11.

Je pleure dans mon chocolat au lait.

Pas parce que j'y ai mis trop de Poulain et que je suis en train de m'étouffer avec la poudre. Mais parce que j'ai mal à mon humanité. Hier soir, une personne foutrement intelligente et profondément humaine m'a fait remarquée qu'il n'y avait plus grand chose à faire pour l'humanité justement. Qu'aujourd'hui la jalousie était le moteur principal pour beaucoup d'entre nous. Que l'on ne se rassemblait que plus facilement quand il s'agissait de refuser ou supprimer des droits aux autres, que pour tous ensemble en gagner.

J'ai presque 32 ans.

J'ai vu des gens se rassembler pour en empêcher d'autres de s'aimer.

J'ai vu des gens prendre les armes et tirer sur tout ce qui bougeait.

J'ai vu des gens sur les réseaux sociaux débattre pour savoir qui méritait notre empathie, qui méritait une balle perdue, un coup de couteau dans la carotide selon ses origines, selon son métier.

Charlie Hebdo.

Le Bataclan.

La Syrie.

La Palestine.

Orlando.

Le Super U au coin de la rue.

Georges Wolinski.

Chloé Boissinot.

Alan Kurdi.

Ibrahim Abou Thouraya.

Jerald Arthur Wright.

Arnaud Beltrame.

Existe t'il une échelle pour mesurer quelle vie perdue est plus dramatique qu'une autre? Devons - nous forcément choisir à qui tendre la main? Qui mérite que l'on appuie sur la gâchette? Ne s'agit-il pas ici du père, de la soeur, de l'ami, de l'enfant de quelqu'un?

J'ai vu des gens se réjouir de la mort d'un homme pour une histoire de véganisme, pour une histoire de politique, pour une histoire de Dieu, pour une histoire de point de vue...

J'ai vu des gens qui n'ont pas su marcher main dans la main pour une femme qui a échappé il y a 60 ans à des monstres et a fini par en croiser d'autres, juste au sein de son foyer.

Mireille, je vous embrasse.

Je n'ai aucun mot à mettre sur ce qu'il s'est passé.

Rien qui ne justifie l'acte de vos assassins.

Rien qui ne justifie ceux qui ont cautionné.

À 17 ans, je descendais dans la rue bien naïvement pour barrer la route à un vieux con ankylosé dans sa haine. Jessica, Samira, Rachid, David, Sandrine ou Ahmed. À l'époque, la plupart d'entre nous s'en foutait. À 17 ans, on vit ensemble. On s'aime et on imagine que la vie c'est ça. Marcher ensemble pour mieux avancer. J'ai vu émerger les réseaux sociaux. Quand on se battait pour faire entendre sa voix, ces derniers nous offraient la possibilité de liens instantanés. D'un bout à l'autre du monde. Plus de frontières. On en a fait un déversoir à haine. Au milieu de nos selfies, des photos de nos gosses, de notre premier barbuc de l'été, un fil d'actualité, une fenêtre ouverte sur les pires atrocités. J'ai fini par ignorer.

Quand est survenue l'attaque du Super U, tout juste si j'ai eu un frisson. D'une banalité. Quand Mireille est décédée, tout juste si ça m'a serré la gorge. Demain ce sera une autre qui fera la une du Parisien et du Huffpost. "Alerte info" qu'ils lancent ces enfoirés. Ce n'est plus une alerte. C'est notre quotidien.

J'ai presque envie de laisser couler.

Je sais pas quoi dire.

Je sais pas quoi faire.

Puis ce matin, je me suis souvenue que j'avais des gamins. Que j'avais ajouté du plus à notre humanité. Que je ne pouvais pas me taire. Pas ignorer.

Si vous lisez ces lignes un jour, je vous demande pardon.

Pour tout ce que l'on vous a laissé.

Pour tout ce qu'on vous a pris. Pour tout ce que l'on a pas su vous transmettre.

Et pour tous vos potes qui n'ont plus le courage de marcher.

Je vous souhaite de comprendre tout le sens des mots de ce grand homme, Victor Hugo : "C'est par la fraternité qu'on sauve la liberté".

Je vous souhaite d'être frères. Je vous souhaite d'être libres. Je vous souhaite de réussir là où nous avons échoué.

Stone Marten

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