1 2 3 soleil

Marie Emilie Alaphilippe

Condiments stimulants, l’épice et le sel de Paris se nichent au cœur de chaque croisement

De rue ou de gens.

Quand on se promène sur les grands boulevards, se bousculent d’autant plus foisonnants les bouleversements.

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Un soir à la Fourmi – quelques amis enchaînent les verres et les ragots universitaires, l’occasion d’apercevoir les affinités électives ou les Amour fou. Clôture des ouvertures par des baisers au coin des bouches de métro. Le dernier train est parti. La nuit a les bras ouverts et engage aux étreintes. Il y a des crêpes à toute heure dans les boui-bouis fumant aux hublots coulissants.

Sur la crête d’une crêpe huez fort un nocturne – l’heure s’y prête justement ; votre corps, beaucoup moins, lui déjà occupé à tenter d’écluser le litre de vin dont il est malhabile à faire quoique ce soit de bien.

Redescendez vers le boulevard. Droite. Tout droit. Stop ! Karaoké. Vodka caramel. Ambiance décharnée et attendue, tragique. Vaguement, une chanson, hurlée tout près de la bouche d’un garçon, comédie musicale genre Dix Commandements et aucune pudeur, aucun jugement, aucune considération pour les oreilles de mes voisins, aucune retenue envers mes désirs de voisins, aucune attention à mes pairs moins avinés, ni à mes avis rapiécés. Les actes commencent à peser lourd – pour sortir se rafraîchir, conversations déconcertantes très cohérentes avec une fille à peine connue et deux mecs qui bandent. Embrasser l’inconnue – qui négocie l’entrée gratuite dans le salon rose et noir d’à côté – et rire au nez des deux autres, parce que, votre truc, c’est le grand blond, là-bas. D’ailleurs, il n’a rien contre ; mais si vous pouviez cesser d’embrasser cette fille et lui réserver tout contact buccal, il aimerait mieux, quand même. Toujours la même histoire, en somme.

Pigalle, saoule.

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La cartographie parisienne n’est pas très précise dans votre esprit banlieusard. Pigalle, vous y êtes allée, mais en pas de bourrée – la géolocalisation des intersections est passée haut par-dessus vos jambes.

Ce soir-là, un chevalier au membre armé vous prend à la bouche de métro. Son revêtement flamboyant d’amant décidé tombe à pic, car l’attente vit apparaître un bel émigré espérant l’autographe final d’un numéro de mobile, d’une adresse mèl valide, d’un baiser langoureux ou d’une fuite vers des cieux. Rien de tout cela, noble étranger, je n’ai pour toute offrande que ma surprise de votre doux regard, que mon sourire prêt à tous les hasards, et mes oreilles attentives pour le décryptage de votre verbiage exotique – et néanmoins lassant. Pardon, mais j’ai rencard.

Cheminant à votre rencontre sur le terre-plein central, les souvenirs vous éloignent du bras chevaleresque soupçonneux : les façades flashent des images jamais revenues à la conscience, vous rafraîchissent des histoires fades et poisseuses de corps à corps sans grâce ni faim, de face à face surexcités par l’angoisse de passer à côté des bonheurs cousus de clichés. Vous en êtes pourtant chamboulée – aspirée à la renverse dans les pièces vidées de cette vie, dont les murs renvoient l’écho déformant de la promesse d’un immense bonheur toujours presque atteint. Un seuil d’amplitude vibratoire rare ; mais un seuil – ce palier où l’on espère que le voisin soit celui qui nous fera entrer, mais jamais vous-même ne lui donneriez la clé. Chacun chez soi, les bouteilles seront bien cassées.

Il a le bras solide, celui qui marche à vos côtés. Il a vécu ses pièces, ses seuils et ses échos, pas les mêmes lieux, pas le même nombre. Vos quatre pieds à plat vous guident dans une impasse parfaite. Elle a des BAINS dedans, des pavés, des arbres, une chouette cour au bout. Quand on se retourne, on voit Paris, très loin, très petit dans l’embrasure d’une porte cochère à fière allure – Pigalle, à peine. On oublie. On pourrait vivre ici, mon amour fou ? Combien ça coûte, ce bonheur-là, pour nous, tu crois ?

Trois pommes plus loin les Trois Baudets attirent tout votre enthousiasme musicamical. Une guitare de breton y délivre les secrets d’une soirée réussie fantastique et d’une vie poétique épanouie, dans les paradoxes et les festoiements d’amis réjouis. Un Perrier, pas de dîner. Pas besoin de s’attarder quand on s’étale à chaque pas de tous ses pieds en plein épicentre humain.

Pigalle, à jeun.

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Soleil. Marche. Après-midi, fin d’été début d’automne – indien, il paraît. Déboulant des rues par dizaines, des nuées d’âmes en nous se ruent. Légère elle allait vers. Surprise d’être arrivée où elle ne savait pas aller. Seule.

Pigalle.

Quel prochain ?

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