Nuit de chien
zab1881
NUIT DE CHIEN
- Attaque ! Attaque ! Tue-les ! Putain, tue-les !
Un énorme chien vient de planter ses crocs dans la cuisse de mon compagnon et la toile de son jean dégoutte déjà de sang frais.
Nous avons dîné Place Clichy et remontons doucement le boulevard vers Pigalle, riant encore d’une proposition lancée par l’aboyeur d’un sex shop.
- Pour trois entrées, on vous fait un prix !
Le troisième, c’est l’enfant qui arrondit mon ventre depuis bientôt huit mois. Le type semblait si content de sa blague que c’était mignon, pas sordide.
Il y a quelques minutes, j’ai râlé contre un minuscule caniche abricot qui s’est jeté sous mes pieds, menaçant de se faire écraser tout en me faisant tomber.
La propriétaire du mini chien se tient donc devant nous, encadrée de deux molosses dont le mordeur au sang.
- Tue-les ! continue-t-elle de hurler dans le temps suspendu de pure terreur qu’est devenue la soirée.
Ses yeux sont injectés de sang, sa bouche écume de haine.
- Toi, t’as de la chance d’être enceinte ! poursuit-elle soudain devant l’évidence, provisoirement masquée, sans doute, par l’épaisseur de la nuit et la taie d’alcool mauvais qui lui brouille la vue.
Une haie de flics remonte le boulevard, se dirigeant vers nous; mais ils sont loin encore, et n’entendent rien de nos appels désespérés :
- Au secours ! Police !
La femme semble indifférente à ces cris.
- Fallait pas insulter Pupuce ! C’est criminel de s’attaquer à des bêtes !
Elle paraît convaincue que l’amour de sa ménagerie justifie la tuerie qui se prépare; le premier chien, en effet, n’a rien desserré de son étreinte, le sang imbibe maintenant toute la jambe du vêtement, tandis que son jumeau halète sauvagement, les yeux rivés, dirait-on, sur nos carotides. Après quelques secondes de sidération, notre colère enfle, au mépris de la prudence.
- On n’a rien fait à votre caniche, madame, soyez raisonnable, merde, vous vous rendez compte que…
- J’en ai rien à foutre de ton gros bide, connasse ! Mes chiens sont plus importants que …
Elle a aboyé, mais n’ose finir sa phrase…La brigade de flics s’est matérialisée dans notre dos, miracle d’urbanité bienveillante.