13/11/15

mamselle-bulle

22h30: Je rentre chez moi après des retrouvailles avec une amie. Une soirée riche en discussion, confidences, en vin blanc et daïkiri fraise.

Je suis là, sur mon petit vélo avec l'air froid qui me gifle le visage. Sereine.

Je prends mon temps et traverse le quartier Saint Leu et ses bars, son ambiance festive et un sourire se dessine sur mon visage.

Je me dis que c'est chouette de vivre. Et qu'il faut savoir apprécier les moments simples de l'existence. Je me sens bien. Frigorifiée mais bien.

Un peu plus loin je croise des inconnus, je vois des gens s'éloigner des terrasses de café, pour beaucoup au téléphone, pour d'autres avec de l'eau salée sur les joues. Je ne comprends pas.

L'espace de quelques secondes, je me demande si il ne s'est pas produit quelque chose. Et puis je chasse ces pensées de ma tête pour éviter que mon côté cérébral se mette en route et casse le positivisme dans lequel je suis. Là. Maintenant.

J'accélère, rêvant de la chaleur de mon nid douillet. J'entends mon portable sonner et me dis qu'il peut bien attendre que je sois arrivée.

23 heures: C'est sans voix que je vous écris. Sans voix mais pas sans mots. Ils sont nombreux à se bousculer dans ma tête depuis ce vendredi.

Mon côté cérébral s'est remis en route. Plus puissant et tenace qu'avant.

ça défile dans mon esprit agité. Je ne comprends pas. J'ai l'impression d'être hors de toute réalité. Déni.

Quelques minutes auparavant j'ai traversé la porte de mon appartement et j'ai senti la chaleur m'envahir. Puis je me suis rappelée que mon portable avait sonné alors je l'ai sorti et là j'ai lu...

Plusieurs personnes avaient tenté de me prévenir. Et j'ai lu, une fois, deux fois, dix fois. J'avais du mal à y croire alors j'ai allumé la télévision.

Et là je suis restée figée devant, debout, droite comme un i, le coeur qui bat vite. Et j'ai pas arrêté de dire “putin c'est du délire”.

Et puis d'un coup, j'ai pensé à mes proches, aux personnes que je connais qui vivent là bas. Et là, la panique m'a envahit. Comme tout humain, j'ai d'abord pensé à ma gueule, pardonnez moi pour ça.

L'angoisse ne faisait que croître quand j'ai vu que plusieurs ne répondaient pas. Et puis ils ont fini par tous me répondre qu'ils étaient sains et saufs. Et égoïstement j'ai poussé un long soupir de soulagement.

Et puis après, je me suis confrontée à l'horreur du truc. J'entendais des mots comme “prise d'otage”, “fusillade”, “explosion”. Je n'en revenais pas. Je n'en reviens toujours pas.

C'est du délire... C'est ça. Je vais me réveiller.

Tant d'innocents. Toutes ces familles endeuillées. Toutes ces personnes qui ont perdu un ami. Un frère. Une femme. Un fils.

Quel est le sens ?

Il faudrait qu'on m'explique. Il faudrait que ça cesse. Il faudrait rester solidaires. Il faudrait répondre à tout ce déferlement de haine et de barbarie par de l'amour. Des tonnes d'amour.

Il ne faudrait pas que la solidarité qui règne à chaque coin de rue depuis vendredi tombe rapidement dans l'oubli.

On nous donne un défi. On vient nous rappeler combien être solidaires est important. Unis face à l'adversité.

Ensemble on sera forts.Ce sera dur mes amis, ce sera dur. J'en vois certains qui déjà font l'amalgame. J'ai envie de leur dire, de leur répéter, de ne pas tomber dans ce piège. De leur expliquer qu'il ne faut pas tout confondre car ces personnes ne sont pas des musulmans, ce sont des assassins de l'humanité.


22h30 : Je rentre chez moi après des retrouvailles avec une amie. Je suis là, sur mon petit vélo avec l'air froid qui me gifle le visage. Sereine.Je me dis que c'est chouette de vivre. Et qu'il faut savoir apprécier les moments simples de l'existence. Je me sens bien. Frigorifiée mais bien.

23h : Une heure auparavant je prenais moi aussi un verre dans un café, comme d'autres ailleurs... ça aurait pu être moi. ça aurait pu être elle. ça aurait pu être toi. Ou toi. Ou tant d'autres...

Mon coeur se fige. Quelques minutes auparavant j'ai traversé la porte de mon appartement et j'ai senti la chaleur m'envahir.

Mon coeur se fige. Les larmes de compassion coulent sans interruption.

Je suis humaine. Nous sommes humains. Mon coeur se fige. Nous sommes humains.

  • Oui, ça aurait pu être nous ! On est soulagés, on est égoïste et c'est humain. Mais on pleure sur tous ces malheureux, leurs familles. Beau texte très émouvant !

    · Il y a plus de 8 ans ·
    Louve blanche

    Louve

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