15 AOUT

yl5

15 AOUT


Jeudi 15 août, peu après midi, comme chaque année nous entonnons, un gobelet gorgé de sangria à la main, la fête familiale chez le beau-frère qui a réussi dans la charcutuerie industruielle.

Arrivés dans la vaste propriété, Monique ma belle-sœur préférée, nous reçoit et alors je baisse légèrement les yeux.

"C'est la première fois que je vous vois bronzé." Cette juste remarque n'arrive pas à détourner mon regard du sol, plus précisément du décolleté pigeonnant de ses chaussures, les deux orteils intérieurs offrant entre deux collines de chair un sillon similaire à un canyon wonderbra ou au plan en contre-plongée sur la gitane, le haut lot, dans Fanfan la tulipe.

"Ben, euh ! Oui, on a réussi à revendre notre maison de campagne finnoise, et cette année nous avons visité le sud de l'Oise pour s'habituer au soleil."

"Même si tu ne crois plus au bon Dieu, allez, viens communier pour expier sûrement tes pêchés de l'année."

"J'y vais et je viens comme un pénitent orthodoxe jouissant de ses souffrances."

La sangria était musclée, je compris vite en plein soleil trouvant des cerises à l'eau de vie en guise de fruits, que l'on pouvait vite dire n'importe quoi.

Rejoignant l'autel avec son aquarium à fruits rouges reposant sur sa nappe lit de vin de table, nous vîmes les dégâts : la norme habituelle, c'est  3 tournées et en avant les fourchettes et les coudes pour finir extatique, beurkeux ou dans la piscine le slip sur la tête. Mais cette année dès le deuxième tour beaucoup avaient entendu la cloche.

Les sangriaphiles en position brouteur tondaient la pelouse tel un troupeau de moutons déjeunant sur l'herbe. Les enfants hilares, les mères sobres atterrées contemplaient ce spectacle bacchanalesque.

Quant aux miens, plutôt mes miennes, ma moitié coca-colaïnomane aidant en cuisine ignorait la scène alors que nos deux grandes creusant le sol pour faire le poirier sous le pommier montraient qu'elles avaient abandonné cette année le Kir breton premier âge.

Soudain Monique pouffa, l'effet retard de la boisson eut raison de la sienne, et moi itou, un rire incontrôlable nous envahit, interminable, nous menant suffoquant aux crampes des maxillaires. Souffrant le supplice du rire incontinent, à moitié asphyxiés, nous dûmes d'être encore en vie au plongeon dans la piscine qui brisa net nos drôles de contractions. Remis en sortant des flots, crachant l'eau chlorée de la tasse, nous nous hissâmes et soufflèrent sur la margelle. En me penchant je redécouvris les chaussures de Monique qui maintenant mouillées moulaient ses orteils et laissait deviner des ongles roses tendus.

Nouveau choc qui me renvoya entre les jupes de la mère dodue de mon père. Nous revenions en Versailles du Tréport et en passant par Beauvais, si j'osais, bien avant l'installation des Mac-Do, nous fîmes halte pour acheter des chaussures dans le magasin de Madame Lecœur.

Avec ses souliers fermés et la chaleur dans la voiture, ma grand'mère voulait acquérir malgré son poids, une sorte d'escarpin parisien, pas trop haut, surtout bien ouvert. Je m'assis sur le repose pied d'une vendeuse sans client, en attendant les multiples essayages. Les montagnes de boîtes refusées commençaient à former un jeu de parallélépipède ressemblant tant aux logements poussant à l'époque.

" Je vais faire quelques pas avec celles là," lança-t-elle se mirant dans le miroir placé de façon si pratique pour nous les petits. L'image de son pied passa au premier plan de la glace et mon regard fut attiré par les deux plus gros orteils boudinés jaillissant du décolleté pigeonnant de ces nouveaux souliers, formant à chaque pied une poitrine barbiesque. Un trouble inexplicable pour mes cinq ans s'installa, ainsi qu'une image digne de figurer dans mon ultime projection privée.

 "Ah ! Tu reviens à toi, cela fait deux minutes qu'on te croyait devenu dingue, tu construisais avec les canapés en saumon une espèce de maquette de Sarcelles en regardant dans l'eau de la piscine, et euh ! De plus ton pantalon est euh! Déformé." Ma moitié me ramenant à moi me permit de constater mon émoi mais aussi que la situation globale de la fête tournait à la phase deux des débordements.

Tels des chiens malades ceux des trois tournées vomissaient en chœur, ayant mâché à quatre pattes un beau carré de gazon.

" Aux grands maux, les grands remèdes,"  la grand-mère encore verte brancha le karcher et décapa le troupeau, mais sous la pression à peine ranimés ils retombèrent sur les gerbes maculant le parc.

On allait laver le linge sale en famille, l'alcool déliant les langues de celles qui n'en avaient pas bu, elles révélèrent les penchants  de leur moitié qui voyait double de plus en plus souvent.

Les rescapés en maillot de bain honteux mais riant bêtement au moindre pet de mouche et leurs compagnes se mirent à table alors que les enfants gagnaient la leur à l'écart.

Le calme ne dura pas cinq minutes, le grand-père, dur de la feuille, charcutier de tradition qui avait mené à l'écart les cuissons des cochons et des moutons, ignorant les faits avala d'un trait un grand verre du breuvage sans comprendre les gestes bredouillées par l'assistance.

En reposant son verre, il demanda que l'on débouche les vins malgré les protestations de la mamie qu'il renvoya sèchement en cuisine sous les vivats éraillés des soiffards.

En regagnant les fourneaux elle croisa une escouade de gendarmes que les voisins effrayés par les cris avaient appelé.

Sachant à qui ils avaient affaire les pandores étaient venus en groupe, heureux de trouver celui qui les fournissait en merguez ou saucissons genre bâton en échange du saut des nombreuses infractions commises par son Audi dernier modèle.

"Alors qu'est ce qui passe, ici," lance en rigolant le chef des visiteurs.

"Ah! Te v'là Roger, ça va depuis hier soir, il est bien passé le salami ! Merci pour le P.V., j'ai quand même établi un record à 240 devant l'église, ca changeait des tracteurs et des 403 dans ce village de Mayenne et  pour les gosses, ils croyaient voir passer Paris Dakar. Vous allez bien boire un canon et manger la saucisse pour éponger » répliqua le beau-frère.

Adjudant Lemille rigolard accepta la tournée surtout qu'il faisait chaud et il en profita pour engager la conversation pour savoir ce qui s'était passé.

"Alors Jean-Pierre, y'a de l'ambiance pour un quinze août, vous fêtez la sainte Vierge, ou l'achat d'une nouvelle usine ?"

Le beauf ayant repris provisoirement un semblant de conscience, mais toujours débraillé, en bon négociateur inventa illico un bobard mêlant pari, Lagaf, Hanouna, alcool, bref tout un univers commun les convaincant aisément de la normalité du débordement d'un allié objectif.

Un grésillement, et les uniformes regagnèrent leur traffic  les emmenant vers de nouvelles aventures, qui se terminèrent contre le lampadaire du bout de l'avenue, le cocktail ayant encore frappé.

Les plaignants sortis attendant le résultat de leur appel, stupéfaits de la conduite du service public, ne savaient plus qui appeler, de plus les accidentés devinrent menaçants, demandant aux témoins d'oublier la scène précédente sous peine de rétorsions.

La fête reprit, on passa à table et les plus valides apportèrent les traditionnels champignons à la grecque, sur lesquels on comptait pour diminuer la tension éthylique de l'assistance.

L'effet fut catastrophique, car pour blaguer une jeune cousine de retour des Pays-Bas avait mélangé des modèles genre psilocybe qui même séchés restaient redoutables.

Les convives, sauf la majorité des enfants et moi-même, rétifs à ce plat, commencèrent rapidement à connaître les effets curieux de ce hors-d'œuvre hallucidiogène les amenant au krach.

Le parc pour certains se remplit d'invités imaginaires dévoilant ainsi leurs phobies ou leurs désirs, mais tous ouvrirent leur tonneau offrant le vrai visage de leur personnalité.

Voyant la situation empirer, je décidai d'éloigner les enfants en les envoyant, se promener au bord de la rivière qui coule à deux pas, encadrés par les plus grands, qui me donnèrent l'explication de la situation.

Heureusement que les jeunes oreilles entendaient le fracas de l'onde sur le rocher émergeant qui fait le zouave, car psilo plus bibine agissaient tel un sérum de vérité, et allaient me procurer des révélations terrifiantes ou des confirmations de soupçons.

Seuls quelques petits cris poussés par le chœur des belles-sœurs, dus aux apparitions intempestives de biches, ou de Claude François,  interrompirent le concours d'aveu le plus glauque auquel participaient les beaux-frères puis le grand-père.

Cela commença doucement avec les fraudes fiscales, les clients arnaqués, les comptes à l'étranger, l'or dans les coffres, les travaux non déclarés.

Puis les aventures extraconjugales, et la j'appris que l'on comptait deux pédophiles, un zoophile, et que chaque belle-sœur portait des cornes.

Un avait l'habitude dans ses transports amoureux solitaires de se donner du plaisir avec une tranche de jambon de pays formant la double peau de sa paume tout en se pénétrant d'un saucisson de cheval, de vraies cochonneries.

Puis un avoua un homicide involontaire, enfin il avait renversé la nuit un motard, et comme il était un peu bourré il avait décidé de filer ni vu ni connu, il a apprit qu'il était mort quatre heures après et avait regretté de n'avoir pas pensé à téléphoner de sa voiture aux secours, mais il était tellement bourré, alors on doit comprendre.

Un autre qui avait servit dans l'armée deux ans nous narra sa campagne en Afrique et plus particulièrement au Tchad, quand il enflammait avec moins de cinquante litres d'essence un village de cent foyers, y compris la population.

L'arrière grand-père entonna un tonitruant « Maréchal, nous-voila » avouant l'origine de sa prospérité, due au rachat pour la francisque symbolique de la charcuterie de son concurrent, qu'il avait dénoncé auparavant comme résistant.

Il se vanta aussi d'avoir fourni les gendarmes pour acheter leur silence et un brevet de résistant à la libération.

L'arrière-grand-mère parlait comme dans les films muets imitant les vedettes de sa jeunesse.

Durant ce temps les cochons et moutons embrochés se consumaient dans l'indifférence générale.

Après ces épisodes mouvementés, les enfants réapparurent pour réclamer leur dessert, et trouvèrent les adultes endormis pour la plupart et hagards pour les autres.

Armé d'un couteau et d'une pelle, je m'occupai d'eux et leur expliquai que les grands étaient fatigués en raison de leur travail.

Les tartes distribuées, je partis avec les enfants effectuer une grande promenade en forêt.

 En fin de soirée, ramenant la jeunesse, nous trouvâmes les adultes revenus à eux, et ce fût les « au revoir » traditionnels comme si rien ne s'était passé.

 

« A Noël » se lancèrent les convives dont la plupart étaient incapables de se souvenir de cette journée mémorable.  

 

  • MAGISTRAL !
    CDC
    Je te SALUE :)

    · Il y a plus de 4 ans ·
    Ange

    Apolline

    • Merci, salutations honorées !

      · Il y a plus de 4 ans ·
      30ansagathe orig

      yl5

  • Ah ce 15 août !! Ce matin (le 16) en promenant ma chienne à 7h30, j'ai croisé deux hommes. L'un sobre, ou presque, soutenait un autre complètement "bourré", qui déclamait je ne sais quoi ! Jai vite bifurqué, même si le gars en question avait le vin gai, on ne sait jamais !!
    Une bonne chronique !!

    · Il y a plus de 4 ans ·
    Louve blanche

    Louve

    • Merci en vous souhaitant de meilleures rencontres !

      · Il y a plus de 4 ans ·
      30ansagathe orig

      yl5

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