2 - La disparue

blanzat

Ivan Graillon, Conseiller Principal d'Education, dont le titre se résume parmi nous à « CPE » pour les frileux et « Graillon » pour les rancuniers, a fait escorter notre classe, la 6ème F, dans la salle d'étude, au rez-de-chaussée, par deux de ses surveillants. Qu'on excuse ma trivialité si je les nomme tels qu'ils sont, c'est-à-dire des pions.

Nous formons un groupe hirsute de jeunes filles décoiffées et affolées, et de garçons excités et griffés. Quant à Madame Crochet, son allure contraste fortement avec ses habitudes économes. Si ses doigts sont toujours croisés sur son giron, et son pas régulier, il faut bien reconnaître des traces de panique dans ses cheveux gris ébouriffés, ses yeux écarquillés, ainsi que les griffures sur le dos de ses mains.

Le collège est une sorte de cube dont chaque arête se prolonge par une cage d'escalier. Il a pour nom officiel « C.E.S. Paul Féval », bâtiment moderne de 30 ans d'âge. Les salles de classe s'alignent sur ses bords, tandis qu'en son centre s'ouvre un grand escalier desservant les trois étages. Au rez-de-chaussée se trouvent les bureaux des pions et du CPE et de l'autre côté d'un hall immense et bas, les salles d'étude.

Celle où nous sommes parqués est à l'aplomb de la salle 317 où nous nous trouvions quelques minutes auparavant. Je peux voir dans plus d'une paire de pupilles la crainte d'un nouvel assaut. D'autres noient leur angoisse dans le récit essoufflé de leur aventure avec force de bruits de bouche et de grands gestes pour illustrer leurs propos.

« Silence ! » fait Graillon d'une voix de stentor tandis qu'il franchit la porte de l'étude. C'est un jeune homme dépassant les plus grands d'entre nous d'une bonne tête, mais épais comme une allumette, avec la pomme d'Adam qui lui tire la peau du cou. Ses yeux se devinent derrière des verres à double foyer, et ajoutent à son prognathisme un côté intellectuel déficient. Entre autres signes distinctifs, notons encore sa manie de se gratter la paume de la main gauche avec les ongles de sa main droite dès qu'un problème survient. D'aucuns y voient la démangeaison d'un germe de fainéantise devant tout surcroît de travail. Un passionné de médecine a diagnostiqué un prurit oisif.

« Silence la 6e F ! »

Les commentaires finissent par cesser, mais les sanglots continuent d'agiter quelques épaules. Dans le calme retrouvé, les pions adressent le cahier de présence au CPE qui s'y plonge comme dans un livre saint. C'est Simon De Carvalho qui en a la charge cette semaine, et je suis surpris qu'il ait eu l'idée de le prendre avec lui au moment où nous quittâmes la salle 317 dans le désordre le plus complet. Dès les premiers jours qui ont suivi la rentrée, il m'avait semblé détecter en lui un brin de couardise et une certaine propension au sauve-qui-peut. J'avais tort, car il n'a pas failli à son devoir. Malheureusement, ce genre de dévouement aux institutions est souvent la marque des souffre-douleur, ceux qu'on appelle les fayots et dont les cheveux servent à essuyer les fonds de cuvette.

Le cahier à hauteur des yeux, Graillon se racle la gorge ostensiblement et entreprend de faire l'appel. Nous échangeons des regards entre nous devant une telle absurdité.

« Qu'il est bête celui-là, y a p't-être des blessés, on aurait pu se faire crever un œil ! » s'indigne David Biron à mi-voix.

« Ah ouais un œil crevé… » dit Cédric Lorca d'un air songeur.

« On devrait être soignés » s'indigne Cathy.

« Et qu'on nous peinturlure de mercurochrome ? Merci mais non merci ! » s'emporte Virginie Caillaux.

« Une volée de corbeaux nous est tombé dessus… » commence David Biron.

« Des corneilles » précise Hadrien Venceslas.

« M'en fiche, il a vraiment que ça à faire Monsieur Poil-dans-la-main, l'appel, mais quel abruti ! »

« SI-LEN-CEU ! »

Graillon commence l'inventaire. Chacun répond présent à l'appel de son nom. La scansion alphabétique se déroule avec la lassitude habituelle de part et d'autre. Ce retour à un exercice familier ramène un peu de discipline, et de soulagement pour certains. La reprise d'un semblant de normalité est de courte durée.

« Trousset ? »

Pas de réponse.

« Trousset ? »

Echanges de regards et pas de réponse.

« Christelle Trousset ! Elle était notée présente ce matin, qui l'a vue ? »

Une angoisse monte parmi les filles. Virginie, qui est toujours assise à côté d'elle en cours, se perd dans des pleurnicheries incompréhensibles. Graillon envoie ses pions faire le tour du collège à la recherche de l'élève, puis tente de tirer au clair le galimatias qui sort des pleurs de Virginie. Elle ne se souvient plus si elle était avec elle en sortant de la salle 317, elle se rappelle qu'elle avait rejoint le mur en même temps que Madame Crochet. Puis elle l'a perdue de vue dans la cohue. Il lui a semblé la voir après le départ des oiseaux, mais elle n'en est pas sûre.

Pendant ce temps, l'un des pions est revenu en assurant que Madame Ancelin, la gardienne dont le logis surveille les allées et venues à l'entrée du collège, n'a vu aucun mouvement au cours de la matinée. L'autre pion arrive avec un bracelet scoubidou dans la main. À sa vue, Virginie s'écrie qu'il appartient à Christelle.

« Où l'avez-vous trouvé ? » demande Graillon avec une certaine sagacité.

« Au pied du bâtiment, sous les fenêtres de la 317 » répond le pion.

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