28/11/2014

valulea

Leçon du jour

La musique s'est éteinte, plus de batterie dans l'Ipod. Je garde le casque audio pourtant, comme une envie de passer incognito. Comme si ça pouvait m'isoler de ce personnage à côté de moi. De cette femme. L'odeur qui en émane, c'est comme une torpille qui vous pique le nez, qui vous gratte la gorge et vous perfore les poumons. Quelque chose de puissant en somme. Le genre de petit détail qui vous amène à observer, à l'affût d'autres petits détails. C'est ce qui vous attire à vous intéresser au personnage, à trouver des réponses à la question du comment : COMMENT est-ce possible. A ce point, c'est comme une œuvre d'art qu'on aurait travaillé, façonné au fil des jours, des semaines. Peut être même des mois.

Elle zone sur son Iphone, fouille dans son sac. Ce ballotin de cuir qui sort d'une autre époque, dont sort tout un tas de trésors, dont ressort de nouvelles senteurs agressives. Je peux y apercevoir un paquet de Gauloises, ça les autres passagers l'auront surement deviné. Elle extirpe un Ipad, et tire sur un bout de ficelle en caoutchouc. Elle fourre les écouteurs dans ses oreilles et lance un épisode de "Plus belle la vie". Toujours en s'activant sur son Iphone. Ses ongles sont sales, on y voit un liseré de crasse noire sous chacun d'entre eux. Mes collègues me disent souvent que je n'ai pas d'odorat. Ce qui est vrai. Globalement quand quelqu'un sent mauvais au bureau - mon chef entre autre - je ne sens rien. Ce soir je n'ose même pas imaginer ce que ça serait si à ma place il y avait l'une d'entre elles. J'en ai des frissons dans la mâchoire. Ses cheveux sont sales. Gras, fins et entremêlés ; tellement sales qu'un début de dreadlock s'est formé derrière son crâne. Je me demande si les gens autour le sentent. La sentent. Et à quel point. C'est grave. Un bel irrespect de sa propre personne, et des autres passagers.

Leçon du jour pour ceux qui n'ont pas de bon sens ou d'éducation :
Se laver avant de prendre le train.
MERCI MADAME.

Quelqu'un semble réussir à dormir, le nez tourné vers nous. Un exploit sans nom. Dès que je commence à m'habituer, une nouvelle bouffée, plus pesante que la précédente, me parvient. C'est terrible. J'ai faim mais je suis écœurée. Au fond de moi je prie pour que le prochain arrêt soit symbole de libération. Dijon, quelle belle ville. Même une surdose de moutarde serait moins désagréable. Pourvu que. Sinon c'est Besançon, l'arrêt suivant, le mien. Pensons à du positif. Du fromage qui pue, ça j'aime. J'ai faim.

Son billet est rangé dans le filet sur le siège de devant. Il attend le contrôleur sagement. Lui il s'en fout le billet ; le contrôleur par contre, pas sûr qu'il vienne jusqu'à nous. Il devrait bien lui mettre une amende tiens. Pour atteinte à la pudeur, ou pour mise en défaut du confort des passagers. Sabotage des ventes du wagon bar - personne n'a envie de manger avec ça dans le nez. Perte d'exploitation sur les prochains trajets - au moins en covoiturage on peut ouvrir les fenêtres.

Très à l'aise, elle ne semble pas gênée par sa propre odeur. Elle rabat sa jambe gauche sur son genou droit. Mon casque est toujours sur mes oreilles. Comme si l'altération d'un sens pouvait aider à en altérer un deuxième. Vain espoir. Je découvre une bottine en cuir tellement usé qu'il en réchappe du noir et du beige. Son blue jeans est pourtant propre, d'un bleu foncé, un peu trop grand. Peut être qu'il est neuf tout simplement.

Dijon approche, des gens se lèvent, mais pas elle. Mon nez recherche de l'air frais et se rapproche de l'aération du train, sous la vitre. Mauvaise idée, il s'y est accumulé autant de microbes que sur cette femme. Et ils ont proliféré bien sûr.

Le nez scotché sur son Ipad, elle renfile pourtant sa veste. Plutôt pas si mal d'ailleurs, noire et classique, soft mais pas crado. Dijon, c'est l'annonce. Dans quelques instants je saurai. Les gens sont déjà debout dans l'allée, un classique. Premier debout premier chez soi, si seulement.

Je regarde dehors.
Il fait nuit noire, et le miracle se produit.

Quelle délivrance
... en attendant le prochain voisin, s'il y en a un.

Deux minutes passent, le train redémarre.

J'ôte mon casque, mes oreilles sont engourdies mais je revis. Ma faim est passée, pour l'instant. Je me masse le cartilage auditif, et m'empare du TGV Magazine. Le voyage peut commencer. Le siège d'à côté est paisible.

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