4

mrnws

Assise là, dans ce coin du café, elle sentait l'excitation mêlée à de la peur lui monter le long des jambes. Elle n'avait pas rencontré une nouvelle personne depuis longtemps et elle avait hâte de découvrir qui se cachait dans ce corps. Elle avait déjà pu se faire une petite idée de lui grâce à l'aide qu'il lui avait apporté, mais ça ne lui suffisait pas. On pouvait montrer tant de choses qui n'étaient en fait rien de nous.

Adèle jeta un rapide coup d'œil aux autres tables. Peu d'entre elles étaient occupées, mais toujours par des personnes seules. A l'heure actuelle, elle aussi semblait seule, mais dans quelques minutes ce ne serait plus le cas.

Elle risqua un regard vers le comptoir : Liam faisait la queue au milieu d'hommes et de femmes pressées d'aller travailler. Si elle ne l'avait pas croisé sur la place, peut-être qu'elle aussi ferait partie de cette foule.

Tout en regardant la baie vitrée face à elle, Adèle se perdit dans ses pensées. Elle se rappela ces soirées à tchater pendant des heures avec des garçons, à qui, pourtant, elle ne pouvait adresser deux mots de suite en face à face. Elle n'avait jamais été particulièrement attirée par les garçons, en fait, ils lui faisaient plutôt peur. Il y avait toujours quelque chose d'inquiétant dans leur façon de la regarder et de lui sourire. Elle essaya de faire défiler dans sa tête la liste des garçons avec qui elle avait espérer qu'il se passerait quelque chose. C'était peine perdue, son cœur d'artichaut la faisait fondre pour tout le monde.

Elle sursauta quand Liam posa leurs deux tasses sur la table.

- Excusez-moi, je ne voulais pas vous effrayer.

- Non, ne vous excusez pas. C'est moi, j'étais… dans la lune.

Ils échangèrent un sourire et Adèle perdit le compte de tous ces sourires échangés. Le sourire était leur moyen à eux de discuter, c'était leur discussion secrète.

Il glissa la boisson d'Adèle vers elle et elle se pencha pour en renifler l'odeur. Il était parti avant même qu'elle lui ait commandé sa boisson, à croire qu'ils se connaissaient depuis longtemps et qu'il savait exactement ce qu'elle souhaitait boire. Elle se demandait ce qu'il avait bien pu choisir pour elle.

Il avisa son mouvement vers l'avant et laissa un moment de silence s'installer pendant qu'il s'installait à table avec elle.

- A mon avis, vous êtes du genre à boire du chaï latte.

Elle leva la tête, la bouche entrouverte tant elle était bluffée. Bien sûr, ça faisait longtemps qu'elle ne s'était pas rendue dans un café pour boire une boisson chaude, mais celle qu'elle préférait c'était bien le chaï latte. Elle risqua un coup d'œil vers sa tasse à lui, avec l'espoir de découvrir ce qui se cachait à l'intérieur. La couleur brune ne lui était d'aucune utilité, malheureusement. Ça pouvait être tant de choses.

- Dans le mille. Et vous, qu'est-ce que c'est votre genre ?

- Chocolat chaud aux épices.

Elle balança légèrement la tête tout en souriant. Dans sa liste de préférences, après le chaï latte, venait le chocolat chaud, notamment celui aux épices.

Une drôle de sensation lui parcouru l'abdomen, mais elle l'accueillit avec reconnaissance. Il faisait bouger quelque chose en elle, et c'était exactement ce qu'elle recherchait dans une nouvelle rencontre.

Ils gardèrent un moment le silence, ne sachant pas trop comment ouvrir cette conversation. Après tout, ils ne s'étaient adressés que deux ou trois mots avant aujourd'hui et ils tournaient toujours autour de leurs chutes. Quelques minutes passèrent à tapoter leurs tasses, en les levant de temps en temps vers leur bouche.

Etrangement, elle ne se sentit pas particulièrement mal à l'aise. D'habitude, si une discussion ne se déclenchait pas automatiquement, elle en venait à penser que ça ne servait à rien de forcer le destin. Aujourd'hui, en revanche, elle sentait que quelque chose était différent et qu'ils n'avaient pas besoin de combler ce silence qui filait entre eux, du moins pas tout le temps.

- Si vous avez traversé cette place deux fois en une semaine, c'est certainement parce que vous ne devez pas habiter très loin, commença-t-elle.

- Je pourrais vous dire exactement la même chose.

- Mais c'était moi d'abord.

Ils se fixèrent quelques minutes avant que Liam ne lève les mains en signe de paix. Il y avait quelque chose dans sa façon de bouger qui l'illuminait et le rendait gracieux.

Pour l'écouter parler, elle appuya son menton sur l'une de ses mains et tourna son visage vers lui. Elle n'essayait pas particulièrement de le séduire, pourtant elle le vit rougir alors même qu'il commençait à parler. Du moins, c'est ce qu'elle avait cru. Il garda le silence quelques minutes supplémentaires, avant de lui sourire.

- J'habite à deux rues d'ici, dans un studio. On voit l'intégralité de la ville tellement il est haut. Quelle idée d'habiter au 10ème étage. Mais c'est un endroit agréable et calme. J'ai peur de le dire, mais je crois bien que je vis dans une résidence pour sénior.

Un éclat de rire franchit ses lèvres sans qu'elle ait pu le retenir. Ils eurent tous les deux l'air surpris et elle baissa les yeux, gênée. Tel le gentleman qu'il était, il ne dit rien et poursuivit son histoire comme si de rien était.

Liam vivait dans un petit studio au dixième étage d'une résidence calme. Il avait une vue d'enfer sur un parc et adorait passer par la place où ils s'étaient rencontrés alors même que ça rajoutait du temps à son trajet jusqu'au travail. Il était un natif de Prague, même si ses parents avaient déménagé durant son enfance pour s'installer loin de la ville. Il travaillait en tant que libraire dans une petite et ancienne structure qu'Adèle ne connaissait pas.

Elle était soufflée par toutes ces informations qu'elle apprenait sur lui. Si elle avait du parler ainsi d'elle-même sans avoir eu un modèle, elle n'aurait jamais dit autant de choses. Parler d'elle et se vendre ce n'était pas vraiment son truc ; comme si ça pouvait être le truc de quelqu'un. Elle ne savait jamais quoi dire d'intéressant à son sujet et elle n'osait jamais en dire trop, de peur que l'on découvre ses failles.

- A vous. Dites-moi tout sur vous.

Elle sentit une bouffée d'angoisse affluer dans sa tête. Qu'allait-elle bien pouvoir dire pour qu'il pense qu'elle était à la hauteur ?

Elle ne réussie pas à réfléchir avec son regard qui lui brûlait la peau. Tant pis, elle improviserait.

- Je ne vis pas très loin non plus, comme vous avez pu le soulever. J'ai la chance d'avoir un appartement avec des cloisons, ce qui est non négligeable à Prague. Je vois tous les toits des bâtiments du quartier ainsi que les étages les plus hauts, parce que, tenez-vous bien, moi aussi j'habite un étage très haut. Mais j'aime beaucoup ça, notamment pendant la période de Noël. J'ai passé pratiquement toute ma vie à la campagne. Je ne suis arrivée à Prague qu'à la fin de mes études, parce que je suivais ma meilleure amie. Ça m'a permis de trouver un travail plus facilement et j'ai toujours été heureuse de ce choix.

Elle jouait avec la serviette en papier qu'il avait apporté en même temps que leurs boissons. Elle sentait que si elle en disait plus, la marée de mots ne pourrait jamais se tarir. Elle lui jeta un coup d'œil et remarqua qu'il l'écoutait très attentivement ; ça l'aida à continuer.

- Je tiens une petite boutique au centre-ville, qui regroupe les créations de petits créateurs locaux. Et j'adore ça. Ça me permet de suivre toutes les saisons et notamment de proposer de jolies choses magiques pour Noël.

Elle se tourna vers lui et il lui souriait de manière chaleureuse. Une nouvelle fois, un silence se fraya un chemin entre eux. Ce n'était toujours pas de ceux qui donnent la chair de poule.

Liam vérifia sa montre et eut un mouvement de surprise. Il leva les yeux vers Adèle qui lui sourit, sans montrer qu'elle était interloquée. Il but rapidement la fin de sa tasse et commença à se lever.

- Je suis vraiment désolé, il se fait tard et il va absolument falloir que j'aille ouvrir la librairie.

- Bien sûr, excusez-moi. Je ne voulais pas vous mettre en retard.

Ils furent tous les deux rapidement debout et tout aussi rapidement habillés. Ils sortirent ensemble pour affronter le froid piquant de l'extérieur. Elle le remercia infiniment pour la boisson, qu'il avait refusé qu'elle paye.

Ils échangèrent un léger signe de la main avant de partir chacun dans une direction opposée. Elle enfonça ses mains dans ses poches avec un petit sourire quand il la rappela.

- Adèle ?

- Oui ?

Elle se retourna face à lui en souriant, même si elle allait être terriblement en retard au travail et que la fermeture de la boutique serait donc décalée, elle aussi.

- Est-ce qu'on ne pourrait pas se tutoyer ? Nous ne sommes plus vraiment des étrangers à présent.

Elle souffla tout en souriant et hocha la tête. Bien sûr qu'il serait ridicule de continuer à se vouvoyer alors même qu'ils avaient pris soin d'exposer leur vie à l'autre, dans ce café.

- Parfait. A bientôt, alors.

Ils échangèrent un dernier sourire avant que chacun reprenne son chemin.

Signaler ce texte