4 cartes de Tarot

marie-roustan

Quatre cartes de Tarot

Les flammes avaient des reflets d’un étrange vert cru, totalement irréelles dans ce foyer de briques à peine noircies par les flambées d’automne. La maitresse de maison, si blonde, venait d’y jeter négligemment quelques rognures de fil cuivreux, déchets de sa dernière sculpture. L’ombre de ce grand squelette ligneux enrobé d’entrelacs métalliques patinés à l’acide dansait sur la paroi de verre.

Spectacle insolite dans cette bibliothèque où les titres dissimulent le contenu fantastique de chacun des volumes. Trésors de créations ahurissantes, de montages photographiques livrant au lecteur un bestiaire inattendu, de loufoqueries issues d’un cerveau de savant fou. Le faux simulant le vrai, l’imposture criant l’absolue vérité, tout cela derrière le sourire énigmatique du photographe et sa gentillesse bien réelle, elle.

Simple spectateur d’un instant, je me sentais totalement hors du temps, hors de mon monde habituel, dans un monde où les communications électroniques accueillaient vos messages en quatre ou cinq langues au moins, et où, pourtant, les journées coulaient dans la liberté.

La jeune femme avait sorti un grand Tarot, où chacune des cartes évoque un épisode de la mythologie grecque. Je n’y connaissais rien en divination et tirai les cartes par jeu, sans me concentrer vraiment sur la question à formuler.

Simplement l’avenir, sans y croire, sans rien en attendre.

La main frêle retourna trois cartes savamment gravées : le sept d’épées qui figure Oreste immobilisé dans un cercle, le huit d’épées où Oreste se dissimule avant d’entrer dans le Palais, puis un bateau toutes voiles dehors, le Voyage. Une quatrième image s’offrit : la grande faucheuse noire.

Et, aussitôt, la tireuse de cartes me rassura :
– Cette carte symbolise aussi la renaissance !

Cette scène, je l’ai vécue il y a des années et je m’interroge encore, même en ce matin si lumineux.

Pourquoi la succession de ces quatre cartes me hante-t-elle depuis ce jour lointain ? Combien de temps vais-je encore vivre dans le secret et la dissimulation avant de pouvoir m’échapper et renaître ?

C’est vrai, je me sens immobile, ligoté, oppressé. Mais par qui ? Pourquoi ? Est-ce moi-même qui me livre pieds et poings liés ainsi à mon destin ? Est-ce par simple attentisme que je survit dans ce cocon douloureux ? À qui et à quoi, mon être encore juvénile est-il promis ?

Un soir, dans le secret de mon alcôve, j’avais préparé mon départ pour un voyage dont j’ignorais le but véritable. Je sais qu’il y en a un, celui vers l’île déserte que j’attends depuis des lustres. Si j’ai le courage de le réaliser seul, il m’ouvrira le monde. Il y en a un autre que je peux faire sans quitter ma maison, mais il est plus ardu encore à mettre en œuvre. J’ai l’illusion qu’on peut s’envoler facilement vers une île, mais je partirai avec difficulté, sac au dos, pour me perdre dans le petit bois derrière chez moi.

L’autre voyage, je le pensais mythique, avec un être aimé, sans arriver à croire qu’il pourrait être. Mon rêve de cette nuit me montre que la voie étroite, je vais la trouver : j’ai réussi à franchir un chaos de rocher immenses se transformant en plantes rares, venues d’une autre planète. Maintenant, je n’ai plus qu’à aller rejoindre ma douce amie et ses roses. Je sais qu’elle m’ouvrira les bras.

Mais oserai-je traverser la rue, si tôt ce matin ?

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