7 minutes de ma vie
ephemere11
Ce matin, je me suis réveillée, comme tous les matins. De mauvaise humeur, un peu bancale, essayant tant bien que mal de sortir de mon lit qui me forçait à rester contre lui. J'ai repensé d'un coup, à tant de choses. Je repensais à mon enfance. C'est dingue comme j'ai grandi, oui je suis devenue grande. J'ai la force de réfléchir, j'ai des idées et des opinions bien fondées. Et peut-être que mes belles années sont derrière moi. Je veux dire, les années d'insouciance, où j'aimais aller me balader, où j'aimais jouer et où j'inventais tant de choses déjà. Des nouveaux jeux, des nouvelles recettes, des nouvelles occupations. Et je barbais tout le monde avec mes histoires débiles, mes écrits bancaux et mes chansons de gamine. Mais j'aimais être une enfant. Timide mais rebelle intérieurement, une enfant qui ressentait déjà tellement de sentiments. Souvent j'allais me promener en famille, c'était le début de ma vie. Là où j'explorais, où je découvrais un peu ce qui m'entourait et je me sentais si ridicule face au monde mais si curieuse également. Je me sentais en sécurité près des miens, sereine et protégée. Mais ça allait changer. Ce matin-là, en repensant à cette insouciance disparue, en me regardant dans la glace je vis d'abord cette adolescente perdue. Puis cette adolescente en quête d'aventures. Puis une fille banale.
On ne sait jamais ce qui nous attend, ce qui est prêt à nous tomber dessus et j'étais bien loin de me douter de ce qui allait arriver. J'ai toujours dit qu'on ne profitait pas assez des gens à qui on tient, qu'on ne profite pas assez de ces moments qui nous paraissent si banals. Et c'est vrai. Jamais on ne se gave assez de toutes les qualités, de tous les défauts, de toutes les facettes des gens qu'on aime. Et on s'en rend compte après. Une fois le temps écoulé. Une fois la pierre tombée sur notre tête. Et quand les évènements bouleversent tout ce qu'on avait prévu pour l'avenir, et quand il est impossible de changer les choses, et quand nous nous sentons impuissants. Autant de sentiments qui nous maintiennent la tête sous l'eau, qui nous empêche de se relever.
Ce matin-là, le cours de ma vie allait définitivement changer. Je suis allée dans la cuisine et je l'ai simplement trouvé, allongée au sol, inconsciente. Le nombre de choses qui nous traversent l'esprit à ce moment est inimaginable. Que dois-je faire? Que lui est-t-il arrivé? Dois-je appeler les pompiers? Puis-je faire quelque chose? Pour la sauver, pour l'empêcher de me laisser, pour nous laisser une dernière chance. Pendant 7 minutes je restai là, à la regarder. Si belle, si douce. Sans aucune trace de souffrance. Pendant 7 minutes je me suis sentie paralysée, et j'ai cru partir avec elle. Mon âme s'échappait de mon corps. Doucement. Je sentais tous les fragments de mon esprit, de mon intérieur, se détacher. Chaque parcelle de moi me quittait en même temps qu'elle. Je pouvais voir autour de moi, des centaines de milliers d'images, toutes plus belles les unes que les autres. Je me voyais, je la voyais, je nous voyais. Était-ce notre avenir qui s'évaporait ou notre passé qui venait me rappeler à quel point la vie était belle. Avant. Quand je suis revenue à la réalité et que son corps gisait devant moi, sans vie, je me permis de crier. Juste un son rauque, profond, et si puissant que je crus entendre mes oreilles se déboucher et puis bourdonner pendant un moment. L'avenir ne m'intéressait pas. Je ne me demandais plus ce qui allait se passer après. Après l'ouragan. Autour de moi il y avait seulement un tas de débris, un paquet de souvenirs. Il ne restait d'elle que son odeur fleurie qui flottait dans l'air, et qui se faufilait dans mes cheveux et qui enveloppait tout mon corps d'un tissu doux et soyeux. Comme ses bras, comme sa voix, avant, quand elle pouvait encore me parler de la vie en me serrant contre sa personne. Personne. C'est le mot, puisque j'étais seule à présent. Livrée à moi, livrée au monde. Et il aurait bien pu faire quoi que ce soit de moi, ce monde, du moment que je pouvais être avec elle. Ça m'était bien égal de tout laisser derrière moi, je voulais simplement la suivre. Peu importe où elle allait. Parce que je savais que c'était beau, je savais qu'elle avait le pouvoir de transformer un univers triste et maussade en un espace de couleurs, de bonheur. Rien qu'avec son rire mélodieux elle pouvait envoyer un pauvre au pays des riches. Et pour ça je l'ai toujours admirée. Pour ça et pour tellement d'autres choses d'ailleurs. Et je pense que si on m'avait laissé le temps, j'aurais découvert un tas d'univers grâce à elle. Un tas d'anecdotes.
Et maintenant qui suis-je? L'enfant de qui? Il reste quelle trace de celle qui m'a mis au monde? Celle qui m'a mise au monde et qui m'abandonne maintenant. Peut-être suis-je injuste, ce n'est bien sur pas de sa faute. J'imagine qu'elle aurait voulu parler à ses petits-enfants, à mon futur mari et faire des grands repas à boire et à chanter. Mais pourquoi ça ne se passe pas comme prévu? Pourquoi me retrouvais-je assise près d'un corps sans vie, sans mouvement, sans avenir? Pourquoi elle? Et je voudrais m'en prendre au monde entier. À la terre entière. Je veux balancer tout ce qui m'entoure, et mes cris camouflent les imperceptibles battements de mon coeur, qui se font de plus en plus faibles, de plus en plus distants. J'ai l'impression de ne plus faire partie de moi. D'être en dehors de mon corps, en dehors de ma vie. Et je la regarde encore, et je la vois. Les yeux fermés, le visage éteint. Je n'arrive plus à l'imaginer autrement et j'ai si peur d'oublier le son de sa voix, la couleur de ses yeux, la mélodie de son rire. J'ai peur d'oublier les expressions de son visage. J'ai peur d'oublier nos souvenirs si beaux qui me paraissent à présent si fragiles. Je ne veux dire à personne qu'elle est partie, je veux continuer à la voir, à l'admirer. Oh quelle est belle, que sa peau est douce. Je sens encore quelques afflûts de sa chaleur, sa main est encore tiède et je le serre si fort que je pourrais lui faire mal. J'ai l'impression de sentir sa présence, sa tête sur mon épaule. J'ai l'impression de l'entendre me dire "tout ira bien, ne t'en fais pas". Mais elle n'est plus là. Ce matin, ma mère est morte. Comme un métro qui passe, comme le chant d'un oiseau. C'était les 7 minutes de ma vie, si courte, si longue, si lointaine. Ce matin, ma mère est morte.
Waw
· Il y a plus de 9 ans ·dreamcatcher
La douleur doit être immense pour aller chercher autant d’émotions. C'est poignant. Vous m’avez fait revivre ce moment où elle est partie aussi... mais je ne vous en veux pas !
· Il y a plus de 9 ans ·erge
Pour tout vous dire, je n'ai jamais vécu ce drame, j'ai simplement essayé d'imaginer. D'imaginer cette douleur, et toutes ces émotions qui se bousculent.
· Il y a plus de 9 ans ·Je suis désolée
ephemere11
Ne soyez pas désolée. J'ai été touché ...mais pas coulé.
· Il y a plus de 9 ans ·Et finalement bien content que vous n'ayez pas vécu ce que vous avez imaginé.
erge
Jolie !
· Il y a plus de 9 ans ·Chronos
Bouleversant...
· Il y a plus de 9 ans ·ade