8h57 Voie 12 - Paris Montparnasse

Shudrack

Cent mètres de course pour une complicité éphémère

La fille à talons forçait mon admiration.
Le grand blond, lui, reprenait bruyamment son souffle alors que de son torse athlétique s'échappait une odeur de citron exaltée par l'effort des deux cents derniers mètres.
Appuyé contre la porte et tandis que dans mon dos les gouttes sillonnaient et chatouillaient le creux de mes reins, j'observais mes compagnons de course. Et ce faisant , posant mon regard successivement sur chacun d'entre eux je m'apercevais qu'ils faisaient tous de même. Nos regards amusés se croisaient à mesure que nous haletions presque en symphonie.


Le petit trapu avait très vite retrouvé un rythme normal.  Ses jambes courtes avaient battu le quai, comme sur un tapis roulant, il accélérait pour que le train se rapproche de nous. Il m'a semblé que ni son costume bien taillé et bien ajusté ni sa sacoche n'avaient bougé, l'ensemble restant particulièrement propre , solidaire et figé tout au long de son sprint. Malgré la moiteur et l'effort, sa peau d'un noir profond était restée sèche. Maintenant, casque logé dans les oreilles, il était ailleurs et déjà son regard se perdait loin sur les voies. Il semblait le moins concerné de nous cinq.


C'est pourtant lui qui avait donné le signal, il avait signifié à nous autres que « c'était possible » et avait entamé cette course matinale. Nous étions quatre à l'avoir suivi, portés par l'assurance qu'il avait tout bien calculé et que dans sa foulée rien ne nous échapperait.


Difficile de savoir ce qui de «S'il l'a,  je peux l'avoir » et de «J vais pas laisser partir ce train juste devant moi » l'avait emporté pour susciter chez nous une telle croyance.


Casque vissé sur la tête, la jeune fille à la peau caramel s'était assise quasiment à mes pieds pour mieux reprendre son souffle et se jeter sur whattaps, et Insta. Sans doute voulait elle, comme moi, partager son aventure . Sur sa nuque et son front venaient perler une légère humidité.


Il semblait que nous partagions tous une complicité joyeuse et imprévue. Celle du groupe qui réussit à sauver tous les siens sans qu'aucun ne reste sur le bord du chemin... quel joli sentiment humain, nous avions été comme une équipe juste un matin sur la voie 12 de la Gare Montparnasse.

Nous  étions là nous 5 sur la plateforme du dernier wagon. Le bruit du train qui démarre couvrait à peine le bruit de nos poumons en phase de récupération. C'est à peine remis de notre course que déjà nous arrivions à destination.


Un dernier regard amusé échangé à cinq. Et mon imagination déjà  faisait de nous des supers héros des transports. La fille chaussée de talons en amazone prête à remonter les quais , le jeune black à l'intuition affûtée qui savait qu'on pouvait le faire , le grand blond qui s'était posté pour retenir la porte si d'aventure l'un des cinq y arriverait de justesse. La jeune fille caramel me semblait être une magicienne tant elle s'était montré agile virtuose en slalomant dans l'escalator. Et moi distribuant les rôles.

Il est 9h09, une nouvelle course commence.


Shudrack - octobre 2018

  • il est des moments, comme ça, dans la vie ! Des moments de complicité éphémères, mais je trouve cela formidable comme votre écrit !

    · Il y a plus de 5 ans ·
    Louve blanche

    Louve

    • Comme je dois trouver quelques sujets pour un atelier d'écriture, je vais soumettre votre idée, chacun écrira selon son imagination et ensuite je lirai votre texte, si vous n'y voyez pas d'inconvénient, bien sûr. Merci et bonne journée.

      · Il y a plus de 5 ans ·
      Louve blanche

      Louve

    • avec plaisir. bonne soirée

      · Il y a plus de 5 ans ·
      Shudrack by maxaw

      Shudrack

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