A bloc

À bloc

Déjà plusieurs mois que je te gonfle. Tu ne m'en veux pas trop, après tout c'est toi qui l'as voulu.  Ça ne se voyait pas beaucoup les premiers temps mais plus les jours défilent plus j'ai l'impression que tu as du mal à me supporter, plus ça te rend malade. Ne t'inquiète pas, encore trois petits mois et tu seras libéré - quoi qu'en vérité, ce serait plutôt moi l'évadé.

Au début, je me sentais plutôt bien mais je dois dire que vos disputes incessantes de ces dernières semaines me perturbent. Mes coups de protestation n'y changent rien, tu trouves même ça carrément mignon. N'empêche, quand je pense à la dispute d'hier, ça promet pour l'avenir. Qui de Charles ou d'Antonin remportera la bataille ? J'espère ni l'un ni l'autre, tous deux sont aussi laids et je serai la risée de tous affublé de tel prénom. Ça lui a fait mal que tu ne veuilles pas rendre hommage à son père : après une heure de négociation ratée, il est parti en furie hurlant que tu étais une sale c... - mon très jeune âge ne me permet pas de répéter ce passage - égoïste. Bon, vous êtes à cran tous les deux, c'est normal, mais par pitié ne vous disputez plus devant moi, ça me rend malade. Vous ne voulez pas d'un bébé malade, non ?

Je me demande à quoi tu ressembles. Je t'imagine grande, blonde, élancée et avec des lunettes. Oui, une femme qui écoute Biolay et Delerme à longueur de journée porte forcément des lunettes. Gaffe à l'indigestion tout de même, naître bébé bobo, sans façon. Il ne faudra pas m'en vouloir non plus si plus tard je me mets à la danse plutôt qu'à la boxe : ce matin j'ai eu le droit au dix-septième visionnage de Dirty dancing, plus les pleurs qui vont avec, évidemment. Je crois que c'est un peu de ma faute ceci-dit, une histoire de dérèglement hormonal ou un truc dans le genre.

Tout ça pour dire qu'il ne faut pas que tu t'inquiètes. Je suis ton premier et je sais que tu stresses beaucoup, que tu te demandes si tu feras une bonne mère, si tu sauras veiller sur moi. J'en suis persuadé. Et même si ces trois derniers mois vont te paraître long, moi je saurai apprécier tout ce temps passé à te connaître. Hélas, Dieu est espiègle, il ne crée pas la vie sans l'oubli. Je sais qu'à la première bouffée d'air j'aurai perdu tout ce que je sais de toi. Ce n'est pas très grave je le récupèrerai plus tard. Tout ce que j'aurai besoin de savoir à ce moment là - l'amour infini que tu me portes sans me connaître - je le lirai dans tes yeux quand tu me serreras dans tes bras pour la première fois.

Je vais me reposer maintenant. Il faut que je prenne des forces, que je grandisse et pour ça je vais devoir te gonfler encore un peu. Je sais que tu m'en veux mais je ne m'inquiète pas, dans plusieurs années, pour te venger, pour m'embêter, quand tu en auras l'occasion, un peu toi aussi, tu me gonfleras.