A la recherche du bonheur (3)

chloe-n

Je me suis mariée très tard. A 25 ans, tout comme celui qui est devenu mon mari. Je l'aime bien, c'est mon mari après tout, mais je ne suis pas amoureuse. Je ne sais pas ce que cela veut dire. Mais heureusement, je ne finirais pas vieille fille et je ne serais pas le mouton noir de la famille. Ma mère et la famille de mon mari (il a perdu ses parents très jeunes et a été, plus ou moins élevé par ses aînés) étaient ravis de se débarrasser enfin de ces deux bouches à nourrir. D'autant que celui qui est maintenant mon mari est le dernier d'une fratrie de 8 enfants. Bien que nous ne roulions pas sur l'or, notre mariage fut célébré un 15 août en grandes pompes : une robe de mariée somptueuse, 8 demoiselles d'honneur, et tous les pique-assiettes que pouvait compter notre île ! Vous pensez bien que je n'avais pas mon mot à dire à tout cet étalage tape-à-l'oeil.

Quatorze mois plus tard, je devenais maman pour la première fois d'un petit garçon. Mon mari partait toute la semaine travailler avec ses frères sur des chantiers, ne revenant que le week-end avec le peu d'argent qui lui restait de sa consommation de rhum, qu'il donnait à ma mère, plus responsable que moi selon eux pour gérer l'argent de notre foyer pendant son absence.

D'autant plus que lorsque la fin de la semaine arrivait en même temps que les hommes, ma mère et ma sœur en parfaites comédiennes, se tenaient le ventre, l'œil humide prétextant être tiraillées par la faim et mon mari se laissait duper. Encore un homme que ma mère avait réussi à se mettre dans la poche !

La semaine, les odeurs de friture me narguaient venant de la maison d'en face. Celle où vivaient ma mère et “sa” fille, juste en face de notre case. Moi qui n'avait pas suffisamment de lait dans mon sein pour nourrir mon enfant. Je n'avais juste de quoi acheter un peu de sucre, que je mélangeais à de l'eau pour pouvoir calmer sa faim. Les odeurs de cuisson me creusaient encore plus l'estomac, me rendaient folle de rage. Je me contentais de mon bol de riz avec pour seuls accompagnements ces arômes appétissants. Je n'osais rien dire. Qui me croirait ? Qui oserait contredire son mari, sa mère ? Je me taisais, je devais obéir à mon mari. Par chance, il ne me maltraitait pas. Car tous les hommes de ma belle-famille avaient la bouteille facile et malheur aux épouses si elles s'opposaient à leur conjoint.

Mon mari ne montrait aucun signe d'affection envers moi et encore moins envers notre fils. Il le considérait comme un fardeau : un estomac de plus à remplir. Comment un père ne peut pas aimer son propre fils ?

Pourtant, deux ans plus tard, un deuxième fils est arrivé. Puis une fille deux ans après. Mon mari dira bien des années plus tard, que si dans le temps, les familles étaient aussi nombreuses, c'est que nous n'avions pas la télé et qu'il fallait bien s'occuper pour passer le temps !

Vers la fin des années 60, nous avons vu beaucoup de nos proches quitter l'île pour tenter leur chance dans de grands pays comme la France, l'Angleterre, l'Australie,...

A la mort de son deuxième mari, ma mère a fait construire une belle et grande maison en béton, avec tout le confort souhaité. Ma demi-sœur a convolé avec un des nombreux cousins de mon mari et sont partis eux aussi avec leurs deux enfants sous le bras.

Mon Dieu, si vous saviez le nombre de cousins qui se sont mariés entre eux du côté de ma belle-famille… (©)

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