A la vie, à la mort!

Wilou Riamh

Je suis souvent tombé. D'une chaise, d'un banc, d'une table, d'un vélo... Je suis souvent tombé en miettes comme tombé en amour. Tout ce qu'il faut, c'est remonter. C'est ce qu'on nous dit souvent. Il faut oublier les petits bobos. Un peu de mercurochrome et hop, en selle!

Je vis dans une petite boite. Mon cerveau est un cliquet. Une horloge. Il fait tic tic tic tic, puis TAC! Je regarde mes voisins le matin, c'est un peu la routine, vous savez. On me lisse mes cheveux, doucement. Je regarde tout droit. Mes mains ne se crispent pas. Mes peurs restent mais ne s'expriment pas. Ne s'expriment plus.

On pourrait me remonter le cœur comme on remonte une montre. Clic clic clic. Et je pourrais vivre un jour de plus. Et ainsi de suite.

Chaque jour est identique. Mes voisins sont identiques. Je bouge un index. La main droite, et j'appuie sur le bouton. J'avance. Je voudrais prendre l'air, prendre mon envol. Mais je vis dans une petite boite et je ne pourrai jamais sortir. Et je mourrai dans une petite boite. C'est ainsi. Mais j'ai la rage de vivre.

Je sais comment ça va finir. On me l'a dit. Et j'ai lu sur le sujet aussi.

Et à midi, on me donne une paille. Je rêve de la fin, tout le temps. Je sais que mes poumons ne pourront plus assurer. Ils vont lâcher, tout comme le reste. Ils vont s'infecter, et je ne pourrai plus respirer, et on va me donner des antibiotiques, et on dira que de toute manière, il me reste trois jours à vivre. Mais je serai mort parce que je pourrais plus respirer, comme un mannequin qu'on étouffe. Cela commencera par un souffle encombré. Je suffoquerai, comme si j'avais la tête dans un sac en plastique. Je sentirais les mains noires de la mort me comprimer les poumons.

A la fin, ces mêmes mains me poseront dans mon cercueil, et alors que les amis pleureront, je descendrai sous terre, sans avoir conscience de tout ça. Mais je le sais aujourd'hui, alors ça revient au même.

J'appuie souvent sur le bouton, j'ai toujours envie d'aller vite, très vite. On fait souvent la course avec mes voisins. Dans nos petites boites de luxe, on nous donne un peu de rêve. On nous remonte chaque matin, on nous donne nos médicaments. On nous fait rire. Enfin on essaie. Moi je ne ris plus. Parce que je sais que c'est bientôt la fin. J'ai atteint l'âge limite, l'âge moyen, appelez ça comme vous voudrez.

Je me suis battu chaque jour, j'ai vécu des choses incroyables en rêve, j'ai dansé, j'ai surfé, j'ai joué au football, j'ai dragué, j'ai aimé, j'ai fait l'amour. En rêve, bien entendu.

Seulement en rêve. Mes voisins auront pour certains une longue vie. D'autres comme moi, vivent leur adolescence comme d'autres vivent leur retraite. A fond avant d'avoir le deuxième pied dans la tombe.

Je n'ai plus que ma voix pour m'exprimer. Et mes yeux pour observer toutes ces choses. Je n'ai plus qu'un doigt pour courir. Je regarde mes voisins, tout le temps.

Je ne suis pas désespéré, je sais seulement que bientôt, je quitterai ma petite boite. J'ai beaucoup aimé, j'ai beaucoup haï. J'ai souvent détesté ce fauteuil qui me sert de voiture.

On me remonte le cœur comme on remonte une montre. Mais je ne suis qu'une poupée qui sait que son heure est proche.

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