A moi, Eurodisney, à moi !

Thierry Kagan


Faut pas m'en vouloir si je chiale, Mademoiselle, mais vous me souriez comme à un enfant.

J'suis pas habitué !

Mademoiselle... Mademoiselle... Mademoiselle !!!

 

Putain, c'est une machine.

J'vais quand même pas me laisser attendrir par une machine !

 

Bon, elle est où, la queue ?

Y a les barrières, mais y a pas la queue !

Elle a fait un effort, la belle mère. Son cadeau, il est pas commun.

Mais les avantages, c'est pas suffisant. Faudrait les privilèges.

Et quand y a pas de queue, y a pas de plaisir.

Faudrait pouvoir passer devant quelqu'un. Là, y a personne.

Tout est briqué, les appareils sont prêts à m'envoyer dans les étoiles ou à me dégouliner de la guimauve mauve, mais y a pas de queue !

Et quand y a pas de queue, je me répète mais... quand y a pas de queue, y a pas de plaisir.

 

Tiens, un autre...

« Bonjour.

- Bonjour.

- Nous avons la même belle-mère ?

- Pas de raison.

- Belle  journée, hein ?

- Non plus. Comme vous voyez, il bruine et quand y a de la bruine, y a moins de plaisir.

- Dites, à propos de plaisir, ça vous dirait de... passer devant moi et juste quand le portillon se referme, je saute devant vous et je vous laisse sur le quai. Ca vous dirait, dites, ça vous dirait ?

- Bah, si ça peut vous faire plaisir.

- Oh, pas plus que ça, mais un peu quand même. Ca me fera une petite gourmandise. Voyez ce que je veux dire ?

- Pas trop, non. Mais si ça peut vous faire plaisir, encore une fois. Et à vous de dire, avant de me passer devant, une petite question : ça vous fait quoi de savoir qu'il y a un grand dictateur dans le parc, à l'heure qu'il est, en même temps que nous… »

 

Oh, non !

Je rêve.

Y a pas de deuxième gendre.

Y a même pas de dictateur.

Tout le parc est à moi et je suis seul !

 

J'ai fait sept fois la montagne russe et je ne me suis arrêté que grâce à la sécurité qui bloque tout au premier vomi.

 

Putain, tout seul !

 

La guimauve… j'ai mis le doigt dedans.

Puis la main. Puis le bras. Et c'est la première fois que mon bras - mon propre bras - m'a fait envie, comme ça : je l'ai sucé tout entier et j'en suis malade.

 

Putain, tout seul !

 

Oooh, un petit lapin ! Un petit lapin qui a perdu son troupeau.

J'suis pas si seul que ça, finalement.

Un vrai lapin avec la queue, les oreilles, les poils. Prêt à se reproduire. Enfin, j'espère pour lui, sinon, quel autre espoir que celui de terminer en civet pour décomposeurs ?

Oooh ! Pas farouche la bête. Viens donc là, mon minou. Enfin… mon lapin.

Ah ! c'est une femelle. Qu'elle est mignonne !

Et ça vous chie dans les mains pour dire bonjour. C'est adorable !

Dis-moi lapine : ça te dirait de faire un tour de grande roue avec moi.

En fait, t'as pas le choix !

Et hop, c'est parti ! Ravissant paysage, n'est-ce pas ?

Mais... mais... t'es pas une lapine !

T'es une fée... mais oui, t'es une fée !!!

Formidable ! J'ai toujours rêvé de faire un tour de grande roue avec une fée. C'est miraculeux !

 

« Ta gueule !

- Comment ça, ma gueule ? Qu'est-ce qu'elle a, ma gueule ?

- Ta gueule et saute !

- Comment ça, ma gueule et saute. Vous n'êtes pas une gentille fée ? Vous êtes une méchante fée. J'aurais dû m'en douter. J'aurais dû voir, quand vous étiez lapine : une gentille lapine ne chie pas dans la main de son secoureur. Mais si je saute, qui va raconter notre histoire. Notre rencontre. La rencontre du gars qu'est allé tout seul à EuroDisney, avec la lapine qu'est une fée qu'est pas gentille ? Hein ! Quoi ? Vous n'en avez rien à foutre et ma gueule et saute ! Bon, je saute. Oh, mais bien sûr, suis-je bête. Tu me fais marcher : c'est une attraction grandeur réelle. Live ! Pour les visiteurs privilégiés.

Que tu es taquine, ex lapine !

Et tellement live et privilégié que… ma gueule et saute.

Bon, je saute.

Une chance que je n'ai pas eu à payer ma place. Ca aurait fait cher le Paradis.

Ma gueule ? Bon, je saute, je saute. »

 

Et je tombe, je tombe...

 

Tiens un papillon !

Dis-donc, papillon : t'aurais pas dans l'idée de te transformer en bon génie, par hasard ?

Non ! Pas en génie… mais en... Peter Pan.

Quand... je veux ?

Bah disons, par exemple, avant que je ne m'écrase...

 

Tiens, dépose-moi là, juste après la sortie.

 

Tu veux que je te dise, Peter Pan : finalement, c'est pas si mal les chocolats industriels, comme cadeau de belle-mère.

 

 

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