A MOITIÉ TU ME PLAIS

franck75

A MOITIÉ TU ME PLAIS

Tout a commencé par une scène de ménage ; une scène des plus banales chez un couple qui affiche quinze années au compteur. Quinze ans c’est bien pour un vin, ça le bonifie en général, mais dans le cas du mariage, c’est plus qu’il n’en faut pour que ça tourne vinaigre…

Catherine et moi ne faisions pas exception à cette triste règle.

Ce soir-là, nous étions allongés sur le lit et nous venions comme chaque mois environ de faire l’amour. Enfin, je dis faire l’amour parce que je suis bien élevé… En réalité le besoin sexuel, seul, avait présidé à notre brève étreinte. Je m’apprêtais à me rendre aux toilettes, le cœur chargé d’une vague amertume, quand celle qu’en des temps immémoriaux j’appelais « mon lapin », me posa cette question : « Dis-moi, Franck, est-ce que je te plais ? »

Désarçonné, je n’eus pas le temps de produire l’une de ces réponses diplomatiques dont j’avais le secret. « A moitié, tu me plais », dis-je simplement. Dans un sens c’était un compliment puisque Catherine ne me plaisait plus du tout. Mais je m’attendais de sa part à une réaction forcément furibarde où les mots de « salaud » et de « pauvre mec » le disputeraient à ceux guère plus flatteurs d’ « ordure », d’ « amant merdique » ou de « sale con »… Des toilettes où je m’étais réfugié, j’attendais stoïquement le déluge d’insultes, mais rien. Rien qu’un bruit sourd.

Catherine s’était jetée par la fenêtre. Morte sur le coup. Un septième étage ça ne pardonne pas.

Je me suis mis en ménage six mois plus tard avec Chloé. Alors Chloé, il faut absolument que je vous en parle. Une fille adorable. La vérité m’oblige à dire que c’est la nièce de Catherine. On a échangé nos numéros à la sortie du cimetière et on n’a plus cessé de se voir depuis. Elle a vingt-deux ans. Elle ressemble beaucoup à Catherine au même âge. Quand je le lui dis, ça la fait beaucoup rire. Je l’appelle « mon lapin », je lui fais sans cesse des compliments sur son physique, sa manière de s’arranger. Pour s’amuser au début, elle mettait les vêtements de Catherine, puis elle y a pris goût. Elle ne met plus qu’eux aujourd’hui. Jusqu’aux effets les plus intimes. Un soir qu’habité par un désir fébrile, je m’employais à la déshabiller, j’ai reconnu chez Chloé cette culotte à pois portée par ma femme la veille de sa défenestration. « Tu es gonflée quand même ! » lui ai-je sussuré avant de plonger entre ses cuisses.

J’adore cette fille, j’adore Chloé. En y repensant, je crois qu’il y a toujours eu quelque chose entre nous. A sept-huit ans déjà, elle venait s’asseoir sur mes genoux et elle frottait son nez contre le mien à la manière des esquimaux. C’était assez gênant, et sa mère s’en était ouverte à sa sœur, Catherine. « C’est juste un jeu, avais-je rassuré mon épouse, cette petite est affectueuse, on ne peut pas lui en faire grief… »

Aujourd’hui, cette même petite l’a complètement remplacée. Elle vit dans son appartement, elle dort dans son lit et elle couche avec moi, son veuf…

A ce moment de mon récit, je suis très embêté. Bien conscient que vous, auditeurs, attendez légitimement une suite et une fin, je dois vous avouer qu’hélas, je n’en ai pas. D’habitude, une phrase en appelant une autre, je me fraie sans trop de difficultés un chemin vers le point final, mais là rien. Que dire ? Qu’écrire ? Le blanc.

Je suis bien conscient que cette histoire n’est pas très morale et que je n’y tiens pas précisément le beau rôle. Conscient aussi que cette fille, Chloé, est une bien étrange personne. Je n’ignore pas non plus que derrière cette idée de liaison avec une très jeune femme, il y a certainement chez moi la crainte du vieillissement, de l’extinction du désir, de la mort aussi peut-être, mais bon, ça n’arrange pas mes affaires… J’ai beau chercher, je ne vois aucune issue plausible à cette situation de départ.

Je ne sais pas, on pourrait imaginer que Chloé veuille venger sa tante, qu’elle va au choix me poignarder dans mon sommeil, me couper les parties génitales, m’inoculer le sida… En même temps, elle me manifeste un attachement qui ne date pas d’hier, et puis pourquoi m’en voudrait-elle ? Je n’y suis pour rien, moi, dans la mort de ma femme. Je souffrais autant qu’elle de ce mariage calamiteux.

On peut concevoir aussi qu’à un moment donné, je nourrisse une culpabilité confuse pour ce nouvel amour. Je me dirais par exemple « Voyons, Franck, tu n’as pas honte ? Comment peux-tu coucher avec une fille aussi jeune ? au surplus ta nièce par alliance… Pourtant je me vois mal tenir ces propos, même à part moi.

Je pourrais aussi, par un tour de passe-passe, retourner la morale de l’histoire, du genre, le héros, moi, désespéré par la mort de son épouse n’a de cesse de la ressusciter à travers une femme qui lui ressemble – le jeune âge de cette dernière n’étant que pur hasard. Il l’habille comme son amour perdu, il lui fait prendre ses manières… On peut imaginer qu’il lui donne bientôt son prénom… Mouais, j’aurais l’impression de pasticher un vieux Hitchcock.

Ah si, il y aurait bien la sœur de Catherine qui déjà, quand sa fille était enfant, ne voyait pas d’un bon œil notre complicité. Elle s’appellerait Odile – j’ai horreur de ce prénom – elle aurait les cheveux courts, des lunettes, un gros cul et elle serait chef de produit dans un groupe d’agro-alimentaire. Elle m’en voudrait de lui avoir pris sa fille, et aussi d’être pour quelque chose dans la mort de sa sœur. Un jour, elle débarquerait chez moi et m’obligerait sous la menace à ingérer un litre de désherbant. Les entrailles en feu, je me jetterais alors par la fenêtre comme les jumpers du 11 septembre, et Odile glapirait de joie.

Pas terrible. Rien que d’y penser, j’ai envie de me cacher sous la table.

En fait, je dois bien me l’avouer, la seule chose qui m’intéresse dans cette histoire, c’est ma relation avec Chloé. Je m’en fiche de ma femme, surtout dans une fiction. Que pèsent quinze années de mariage foireux face aux tétons dressés d’une jeune amante ? Dans la vraie vie, ça ne m’arrive pas tous les jours de coucher gratuitement avec une fille de cet âge. Alors pourquoi se gêner… Et si ça en incommode certains, je suis prêt à lui donner dix-huit ans à cette idiote, et même seize ! Qui pourrait m’en empêcher ?!

Je n’aurais pas dû choisir ce thème. Je ne le sentais pas. Je m’en rends compte maintenant, je me suis mis à nu, c’est lamentable.

J’aurais dû écrire un truc sur les beles-mères, ou une connerie sur Sarkozy, tiens… c’était sans risque.

Oui, vraiment, lamentable.

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