A mon frère
Fionavanessabis
Si j'ai mille sœurs, de frère, je n'en ai qu'un.
Cette année, il a eu mon âge d'il y a quatre ans.
Si j'ai mes cicatrices,
de son côté, la balafre est belle.
C'est toi le colosse vers qui je lève les yeux. Tu as l'immensité du chêne qu'on devine dans le jeune plant. Car tu es aussi ondulation fragile au gré du vent, roseau pensant.
Je sais tant de tes pensées que tu ne partages pas, je sens ta larme invisible couler.
Et je ne peux que te prendre par le bras, deviser avec toi, faire quelques pas, ici et là,
T'aider à digérer la noirceur qui s'est installée sans qu'on l'invite, sous le pansement, sous la peau, dans l'âme, cherchant à l'infecter
De sa disgrâce,
cherchant à entraîner toute âme qui vive
Dans sa chute.
Frère,
bras dessus bras dessous ton pas sera plus sûr
Appuie-toi
car il est épuisant d'être colosse
contre vents et marées
viens
laisse ta sœur te bercer
de ses contes
te reposer
là où la vie t'avait laissé
tu n'as pas failli
c'est elle qui t'a manqué
ouvre seulement l'oeil
respire
n'aie pas peur
la bête noire dort
dort en chacun de nous
mais un seul coup d'oeil
un seul rai de lumière
et elle sera pétrifiée par sa propre puanteur
prends garde seulement à toi
oublie tout ce que tu peux
tout l'accessoire qui nous fait trembler sous son poids;
et puis souviens-toi
sans toi mon frère je serai murée dans ma tour d'ivoire enfant solitaire
sans toi je n'aurais pas appris à rompre le pain pour deux
sans toi m'aurait manqué
la tendresse partagée
deux places pour un cerisier
l'un sans l'autre à qui nous serions-nous mesurés ?
pour qui aurions nous distribué les cartes, qu'aurions-nous misé ?
tendre bagarre pour grandir et respirer
plouf plouf ce ne sera pas moi c'est toi
à toi maintenant !
Je me croyais fauve féroce puisque j'étais l'aînée
Mais pas assez
Il te resta de la place pour trébucher
Je me croyais bouclier
Mais qui boucle quoi pour qui et comment on la boucle dans un sauve qui peut général ?
Il en faut du temps pour que la boucle se boucle
Petit frère au cœur si grand
Si je porte le monde comme un enfant sur les bras
Tu le portes sur ton dos Atlas de misère et ça ne me rend pas plus légère
Comment t'entraîner dans la course patiente
Eveiller ton odorat aux fragrances subtiles et aux miracles
Quand tu respires encore les dernières vapeurs vitriolées d'une liqueur sans vie
Je ne sais
Je ne sais que te prendre le bras
Te dire la main sur l'épaule, je suis là,
Et n'être que foudre pour qui te perdit
sur ce sentier-là
Mon frère
Ton cœur et le mien se sont serrés aux mêmes endroits
Ta quarantaine prend vie
Mords dedans à pleines dents et ne lâche plus rien
Qui ne soit liquide et poison
Mon frère d'armes
Il est grand temps
Désarme
Je te sais doux, sois doux comme un frère avec mon propre frère,
Je te sais sensible à tout, à l'eau, à l'air, aux gens,
Cher Samson à la tresse coupée,
Cher poisson mal à l'aise dans ce drôle de bocal
Cher géant qui se cogne au coin des meubles
Ne fais pas ta mine de papier
Toi le maître des saveurs
Toi qui sais tout cuisiner
Allie-toi à ta nouvelle mouture
Et pour ta quarantaine
mon frère puise dans ces inépuisables ressources
ces ingrédients secrets
Et régale-nous de tout ton charme
Sois ton propre second
Pour que s'exerce ton talent
Et que l'exquis en toi se révèle
Au menu de ta nouvelle saison.