A poil et à vapeur: Chuck Norris, un symbole de l'amérique reaganienne

Y K

1983. La guerre froide bat son plein, Ronald Reagan est président des Etats Unis depuis peu et il entend bien montrer à la face du monde que les States, c'est pas un pays de tafiole. On oublie un peu ces conneries de mesures sociales, on aide les entreprises et on se concentre sur l'armement histoire d'en mettre plein la vue aux russkofs. Un petit programme d'armement nucléaire Pershing par ci, 600 navires de guerres par là et hop, nous voilà en route pour une bonne guerre des étoiles.
Cette époque dorée constitue le terreau idéal pour voir naître une génération de héros représentatifs d'une Amérique conquérante. Peu bavards, le biceps alerte et la gâchette facile, ces types là supportent aussi peu l'injustice qu'une bière pas fraîche et dans un souci pédagogique évident se font un devoir de le faire comprendre aux innombrables méchants imperméables à ces valeurs nobles à coup de double kicks dans la face ou de rafales d'uzzis flambant neufs.
Parmi ces stars devenues aujourd'hui des légendes, un homme sort du lot : chevelure dorée et poil luisant, jean moulants et chapeau poussiéreux, pas tout à fait Dieu mais plus complètement humain, Chuck Norris est la star ultime du film d'action des années 80 tendance cow boy.
Un film de Chuck Norris, c'est un peu comme un shot de virilité concentrée : de la mitraille, des tatanes dans la gueule, de la bonne bière texane, du 4X4 américain (et pas ces saloperies japonaises), un soupçon d'amitié virile, de la donzelle dorée, le tout parsemé d'une bonne dose de poils et de poussière de cette bonne vieille terre texane, et vous obtenez le parfait symbole de l'amérique reaganienne.
Cet opus des aventures du chevalier poilu intitulé « Lone Wolf McQuade” (McQuade le loup solitaire), a ceci de spécial qu'on y retrouve un ennemi de taille : Mr Kung Fu en personne, David Carradine.
Le scénario, de par sa complexité, égarera sans doute les moins avertis d'entre vous, mais nous tenterons ici d'en décrypter les subtilités en le découpant par séquences:

1) Des méchants, dirigés par David Carradine (facilement identifiable en tant que méchant à la manière dont il se détruit la santé en fumant des cigarillos tout au long du film) et un nain fourbe (facilement identifiable en tant que méchant car c'est un nain) font du trafic d'arme dans le bled de Chuck Norris.
2) Chuck Norris, qui est un Texas Ranger solitaire et viril (donc crado) doit à la fois empêcher les méchants de vendre leurs armes à des peuplades sauvages d'Amérique Centrale (facile) et améliorer son image publique parce qu'un Texas Ranger, ça doit être un minimum clean (beaucoup plus dur).

En espérant que vous ayez compris ces complexités aussi inextricables que subtiles, voyons donc ce qui fait de ce film un joyau du genre de par son habilité à cristalliser l'essence même du film d'action des années 80.

- L'image des Etats Unis présentée est symbolique de cette époque de puissance ostensible : au Texas, les intellos ne pullulent pas, et on a tendance à tirer avant de réfléchir ; en gros on n'est pas des fiottes, si t'es pas content c'est pareil et pis c'est tout. Attention cela dit, les Etats Unis c'est aussi le melting pot : on retrouve avec plaisir un lot de minorités ethniques sympathiques, du coéquipier latino (avec lequel Chuck, qui est quand même un loup solitaire à la base, refuse de travailler au début mais finalement bon, allez…) au noir du FBI qu'on croit qu'il est naze mais qui au fait est super cool malgré sa coupe de cheveux.

- Chuck, de son côté, virilise sans relâche, en bon héros américain : barbu, le 4×4 boueux par principe, la bicoque isolée rangée une fois tous les dix ans, le frigo remplit uniquement de bière, bref, on sent le relâchement mâle d'un homme qui refuse le dictat de la société tout en conservant une volonté farouche de défendre ses valeurs. Ainsi en bon flic consciencieux, il s'entraine seul au tir chez lui dans des positions ultra impressionnantes et se révèle d'ailleurs remarquablement adroit, bien qu'on puisse légitimement se demander à quoi lui servent ces entrainement acharnés vu que pendant les combats, il ne vise jamais (mais tue quand même plein de méchants à chaque fois).
Niveau vie de famille, Chuck vit bien entendu seul bien qu'il possède une ex femme (dont on devine que la coiffure dût jouer un rôle non négligeable dans leur divorce) et une fille, qui sort avec un flic. Il se dégotte quand même une petite squaw pas de derrière les fagots avec laquelle il signe l'une des séquences les plus romantique du cinéma moderne lors d'une bataille d'eau se terminant par des étreintes torrides dans la boue, le tout magnifiquement filmé au ralenti.

- Les méchants de leur côté demeurent comme d'habitude une valeur sûre : il font du trafic d'arme, en lien avec des Etats voyoux, et meurent en général très facilement. Le nain fourbe n'a sans doute pas eu trop de mal à emmagasiner son texte, composé aux trois quarts de ricanement machiavéliques, de même que David Carradine dont les occupations principales consistent à fumer et tuer.

- On ne déroge pas à la règle du happy end: David Carradine, qui réalise l'exploit surhumain de combattre Chuck en pull jacquard sous 35°C, est désintégré dans une explosion multiple (il avait qu'à pas gifler la fille de Chuck, le gros plans sur les yeux plissés de ce dernier aurait dû l'avertir), le nain fourbe restera un nain fourbe jusqu'à la fin de ses jours et Chuck ne se rase pas la barbe ni ne lave son 4×4, donc tout va pour le mieux dans le meilleur des Etats.

- Au niveau technique enfin, on retrouve les éléments clés du film d'action texan : musique librement copiée collée d'Ennio Morricone, gros plans à outrance pour traduire des émotions fortes et contre plongées pour suggérer la puissance mâle de Chuck.

Au final, une perle, un bijou, un film à avoir dans votre collection nanaresque, autant pour la performance inoubliable de Chuck Norris (mais c'est un peu un pléonasme) que de par son intérêt socio historique.

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