À tire d'ailes

Nicole Bastin

Comme un oiseau en cage... Sauf que c'était dans mon salon !

C'est marrant les choses que l'on fait tellement souvent qu'on finit par les faire sans même réfléchir.

Ce jour là, avec Maman, on rentrait d'une expédition d'urgence. Il fallait remplir un peu le frigo qui, décidément, criait famine.

Hop, hop, les courses dans la cuisine.

Toc, Hermione au balcon avec sa mine de Chapeauté. Je la fais rentrer.


Passés quelques instants d'habitudes et de gestes automatiques, d'un coup avec Maman, on a compris.

Quelque chose n'était pas normal.

Il y avait des petites plumes partout. Tout était sens dessus-dessous.

Hermione qui grognait en rond, s'était arrêtée net. Elle fixait le plafond.


Bon sang! Un tout petit oiseau, un malheureux rouge-gorge était prisonnier chez nous.Il battait désespérément des ailes.

Par réflexe, j'ai regardé Hermione, qui a frémi fièrement des moustaches d'un air de dire «Hé, c'est pas moi!».

J'ai pensé que c'était peut-être vrai, qu'elle n'y était peut-être pour rien.


Elle n'y était peut-être pour rien, mais attention, passé le premier instant de surprise, elle a vite repris ses esprits, la filoute.

Elle a décollé à la poursuite du rouge-gorge.

Là, inutile de te décrire l'hystérie complète dans le salon.

Le pauvre oiseau volait dans tous les sens, Hermione à ses trousses. Déjà qu'il était paniqué à l'idée d'être enfermé, mais alors avec un chat-sseur sachant chasser...

Les lampes, les cadres, les papiers, tout y passait. Le courrier voltigeait.

Un pile de linge quelque part a volé en éclat.

Je ne savais pas quoi faire. Maman aussi était débordée.


Tout de même, on a fini par réagir. Je ne sais plus lequel d'entre nous a dit «Attrape Hermione!», mais l'autre a répondu «D'accord, toi, ouvre la fenêtre!».

Plus facile à dire qu'à faire...

Et puis ça n'a pas suffi. Le rouge-gorge avait encore besoin d'aide.

Il était tellement affolé qu'il se cognait partout. On s'est rendus compte qu'il était blessé.

C'est à ce moment là que Papa est rentré. Cap-tain Americaaa!

En un éclair, il avait compris la situation. Il est monté sur le canapé. D'un bond, il a attrapé l'oiseau. En le tenant fermement au creux de sa paume, Papa s'est approché de la fenêtre, il a tendu les bras au dehors et, d'un geste agile, il a vivement écarté les mains.

Pouf! Le rouge-gorge s'est envolé.


D'un coup, je me suis senti plus léger.

À le voir s'éloigner comme ça, à tire d'ailes, dans le ciel,

j'ai oublié le sang sur le sol, les plumes sur mes chaussures.

Je me suis dit que la vie, ce n'était pas si dur.

Je me suis dit qu'en fait, c'était bien.


TIMothée


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Illustration © Clément Picon, 2014.
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