Accusé levez-vous !
breinmilliner
- Accusé levez-vous !
Derrière ses petites lunettes rondes, le Président du Tribunal des Auteurs Crétins, observe la petite chose recroquevillée sur le banc qui n'ose pas lever les yeux sur lui, auguste magistrat, et qui finit par déplier son petit corps parcouru de sanglots nerveux.
Encore, un ! Encore un qui a cru aux sirènes du succès facile, à la gloire sans effort, à la reconnaissance sans travail. L'homme de loi se pourlèche les babines intérieures.(Oui, ça ne se fait pas devant tout le monde ces choses là !) Il va encore pouvoir croquer de l'écrivaillon de bas étage… Souligner les manquements, la stupidité, l'aveuglement, le manque de talent, l'absence de travail…
- Ah non ! Là je m'insurge Monsieur le Président ! J'ai bossé comme un dingue pour pondre mon bouquin ! Des heures de recherches, d'écriture, de relecture…
Oh ! Mais elle a encore des dents la petite chose pitoyable et larmoyante, parfait, cela va pouvoir être saignant !
- Et pourtant des coquilles, il en restait après la publication, susurre l'avocat général avec un rire onctueux, navrant n'est-ce pas… un ouvrage imparfait proposé au public… honteux !
L'auteur fixe l'odieux personnage. Mais que lui rétorquer ? Le pire est qu'il a parfaitement raison, l'affreux ! Relire seul deux cents cinquante pages…. Forcément, des fautes de grammaire, d'orthographe, des redondances et autres maladresses, difficile de ne pas en oublier quand vous êtes encore trop absorbé par votre histoire…
Et le voilà qui reprend, narquois, quel empaffé !
- Et la durée du contrat, il ne vous est pas venu à l'idée de la discuter ? Valable jusqu'à soixante-dix-ans après la mort de l'auteur… Franchement, quelle idée !
Et il ponctue chacune de ses phrases d'un « tss-tss » qui hérisserait une huître dans le coma !
- Et la correction du bat, le bon à tirer pour les puristes, revenons à ces fameuses corrections…. A aucun moment vous n'avez posé la question, pourtant rien n'était indiqué sur le contrat proposé… Et pourtant, vous avez signé ce contrat, cédé vos droits sans parler du contrat sur les droits audio-visuels de votre œuvre… Sans demander la relecture et la correction par un professionnel mandaté et payé par l'éditeur, ni même un véritable plan pour la promotion de votre livre. Fallait-il que l'obsession de la célébrité vous habite pour ne pas vérifier ces évidences…
Et il secoue la tête le fourbe !
- Et la livraison du bat avec plus de six mois de retard, étrange ? Toutes ces excuses invoquées… Aucune ne vous a paru suspecte ?
L'auteur soupire puis ose :
- Mais de doute façon, il était trop tard, le contrat était signé et même si j'avais déjà des soupçons à ce moment là, je ne pouvais qu'attendre. Puis enfin le BAT est arrivé et là…
- Oui et là ? Insiste le Président.
- J'ai eu la preuve à l'ouverture du document. Les quelques fautes, aucune de corrigées. Je sais, c'était stupide de croire qu'elles pourraient l'être… un dernier espoir sans doute…
- Mais alors, pourquoi avoir renvoyé le Bat ? Insiste l'avocat général un brin sadique.
- Mais je n'ai qu'une parole moi, et j'avais signé un contrat en plus et même un droit de préférence sur la suite de mon histoire… Alors j'ai fait au mieux. J'ai demandé que le service technique déverrouille le fichier puis j'ai corrigé tout ce qui devait l'être sans toucher la mise en page comme cela m'avait été précisé…
- Tout ce travail, vous-même ! Souligne l'avocat général en levant les yeux au ciel.
L'auteur se fait minuscule, tord ses mains et son mouchoir trempé. Pas joli-joli le spectacle.
- Puis je l'ai renvoyé en me disant que peut-être, des lecteurs….
- Combien de temps l'éditeur a-t-il laissé votre ouvrage sur la page d'ouverture de son site ? interroge le président impitoyable.
- Quatre à cinq semaines…
- D'autres opérations « marketing », ironise l'avocat général.
-… Non…
- Pour combien de vente au total ? Insiste le magistrat du haut de sa balance.
- Trois, dont deux sont mes achats…
Quelques rires fusent. L'auteur se redresse vexée.
- Oui mais après, j'ai interdit à toutes mes connaissances d'acheter le livre. Je ne voulais pas que l'éditeur fasse du profit sur leur dos !
- Hum, toujours temps d'avoir un réflexe intelligent, remarque le Président. Bon, il est bientôt l'heure du déjeuner donc passons à la conclusion. Cher auteur, rien ne pouvant excuser la stupidité, je vous condamne à patienter dix ans minimum, histoire que la modification de la législation vous permette, peut-être, de récupérer vos droits. Et encore, si vous êtes assez malin pour en user... Pour l'heure, votre éditeur n'est pas du genre à gentiment accéder à une demande de résiliation et vu que vos moyens ne vous permettent guère d'engager une procédure même s'il ne respecte aucune de ces obligations, c'est tant pis pour vous ! De toute façon, on n'a pas idée d'abandonner sa création au premier venu !
Allez oust ! J'ai faim moi !
Nous sommes en 2005… date de publication de l'ouvrage…
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Et oui, je n'ai pas résisté à me moquer, de moi en priorité. Bon promis, je ferai une "expertise" plus sérieuse mais ô combien plus ennuyeuse du contrat et de ces conséquences, c'est en court mais ça me gave léger donc un peu d'air m'a fait du bien !
Brein Milliner.
publié sur : https://despointssurlesi.wordpress.com/category/sortir-de-sa-grotte/
Drôle et pas drôle à la fois. J'aime le style. Auto-dérision et causticité...et puis leçon aussi...
· Il y a plus de 9 ans ·lyselotte
Merci Lyselotte, ça n'était pas drôle à vivre, au présent, au fil des années c'est devenu une expérience "enrichissante" :), mais pas sur mon compte en banque, ben zut alors !
· Il y a plus de 9 ans ·breinmilliner
Bon à graver dans la mémoire :))
· Il y a plus de 9 ans ·erge
J'ai gravé pendant dix ans, c'est bon, c'est bien ancré dans ma mémoire, alors je partage avec les ami(e)s, c'est plus marrant :) !
· Il y a plus de 9 ans ·breinmilliner
lu et approuvé :)
· Il y a plus de 9 ans ·erge