Acon ou Sous l'écorce, l'ami

koss-ultane

                                         Acon ou Sous l’écorce, l’ami

     On faisait souvent le reproche à Maurice d’être une tête de con, mal aimable avec les adultes et terreur des enfants. Une grosse voix tonitruante, un désintérêt naturel pour la chose enfantine, gène de Maurice que l’aimerait inoculer à tous les pédophiles, et un agacement à fleur de peau envers les nains braillards et capricieux de quelques horizons qu’ils vinssent, faisaient qu’il recherchait peu la compagnie des marmailles et réciproquement.

     Contraint de rester en tête à couettes avec la petite Margot Pontier, sept ans et autant de dents, il l’avait circonscrite au salon sur lequel toutes les autres pièces et couloirs donnaient. Ainsi, pouvait-il la surveiller de ses gros yeux globuleux et injectés de sang sans manquer de vaquer à ses tâches quotidiennes desquelles il était hors de question qu’il se détournât pour qui que ce fût. Sa grande maison, pour lui seul depuis des années de veuvage épanoui, ne l’avait pas plus ouvert sur le monde que soixante et dix ans d’irascibilité.

     Un orage devenu tempête enrageait dehors de ne pouvoir entrer. Vestige d’un temps où ses congénères régnaient sur cette parcelle comme à peu près sur tout le reste de la commune, un pommier fatigué et esseulé luttait dur. Ses dernières roubignolles fripées ventilées aux quatre bourrasques, le frêle et rainuré fruitier parut mimer une danse orientale avant de s’inviter dans le salon tel un apiculteur affalé, la moustiquaire éventrée pour masque. La petite fille, qui hypnotisait la télé de ses grands yeux, poussa un cri perçant et courut se réfugier dans les jambes d’un Maurice exorbitant encore un peu plus ses globes cruels et oculaires. Il passa une tête féroce et moustachue dans la chaotique pièce puis se rua vers la porte-fenêtre sinistrée et repoussa le dessouché en quarante jurons.

     Malgré une carrière essentiellement outre-mer et principalement marocaine, il n’avait jamais pu saquer les immigrés, ce n’était pas pour accueillir un déraciné au salon. Il ferma ce qu’il restait des volets puis retourna à la cuisine en claquant la porte de communication derrière lui. Comme un symbole. Il s’essuya de la rincée qu’il venait de prendre sur le carafon en rigolant du refuge animalier choisit par la petite Margot. Elle était entrée dans la gigantesque mangeoire à oiseaux qui était en attente de réparations depuis qu’un voisin chasseur l’avait allumé d’un coup de tromblon moderne, séquelle d’une guirlande d’apéros célébrant la réouverture du carnage annuel légal. On apercevait alternativement une couette puis l’autre selon l’angle d’inquiétude de la petite. Maurice se pencha et lui tendit une paluche épaisse et pré-parkinsonienne. Il lui sourit découvrant des chicots, réclames vivantes du PMU, verts et plus souvent dans le désordre qu’en arc de triomphe. Dehors les éclairs et le tonnerre se disputaient la vedette arbitrés par un zef à mélanger les kératines bovines et les réputations écornées des cocus de la région. Maurice emmena Margot jusqu’à la voiture dans le garage attenant à la maison. Il la fit monter à l’arrière accompagnée de son gros nounours Anatole celui qui rit quand il rigole. Le vieil homme se cala au volant, chauffeur improbable. Il ne lui arracha pas même un sourire. Voulant motiver leur récente et incongrue délocalisation, Maurice planta son regard dans le rétroviseur pendant au plafonnier et professa à la jeunesse : “Ton Papa ne t’a jamais dit que l’endroit le plus sûr pendant un orage c’est la voiture parce…”

     On retrouva une purée aux deux corps sous la bille de bois de sapin de quelques tonnes tombées sur la maison, côté garage, réduisant l’ensemble à une fine couche d’aggloméré de quelques millimètres. Le lendemain, la mangeoire à oiseaux, certes éventrée car polyplombée comme décrit sus avant, était toujours refuge fiable, debout, elle.

     Et à toi, vieux con, personne ne t’a jamais dit que pendant une tempête c’est à la cave qu’il faut se calfeutrer ? Connard.

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