Adeline, reine de la nuit

Sophie Marchand

la femme est un homme comme les autres (écrits de jeunesse)

L'océan est plutôt calme ce jour là, l'écume lèche gentiment ses pieds nus.
Adeline apprécie cette marche sensuelle entre sable et eau et pense aux trois messages qu'elle a trouvés le matin même.

Celui de Dolorès, sa meilleure amie : « En ce moment, je travaille pour une boîte de nuit sur la côte d'azur, on est en train de leur installer un logiciel de gestion. T'imagines, hier soir un Pakistanais a consommé pour 22000 euros, non je ne me trompe pas dans les zéros, ils étaient une dizaine à siroter deux grandes bouteilles qu'ils n'ont même pas finies et pas de burqa avec cet homme là, tu penses bien, juste quelques poupées russes ».

Adeline rage «fric et religion, deux mamelles tétées par l'être humain pour jouir du pouvoir et qui mettent le monde à feu et à sang» puis paradoxalement « je t'en plumerais bien un ou deux comme ça… » mais bon, trop vieille et pas poupée russe, de toutes façons elle s'en fiche du fric, juste besoin pour payer sa liberté, pas matérialiste non plus, elle n'aime pas s'encombrer de tous ces objets que certains exhibent avec fierté.
Enfant, elle rêvait de vivre sous une tente sur des tapis, avec un ou deux coffres pour tout mobilier, elle se voyait montant à cru des chevaux qui l'auraient transportée au milieu des steppes et pourtant, maintenant elle passe son temps à acheter et vendre toute une camelote d'objets plus superflus les uns que les autres ; peut-être plus pour très longtemps d'ailleurs pense-t-elle avec une légère angoisse, sa petite entreprise commence à battre de l'aile et il va falloir qu'elle trouve rapidement une idée pour rebondir, sinon c'est le bouillon assuré se dit-elle en shootant dans une vague.

Adeline est une terrienne mais l'eau la berce, l'apaise, elle s'arrête deux minutes, le temps de sortir un agenda de son sac et de noter à la date du jour « penser à venir vivre ici quand je serai vieille ».

Le second message vient de la douce Marguerite, elles échangent de temps en temps depuis qu'elles se sont croisées sur le vol Paris Hong Kong, elle lui écrit qu'elle veut ouvrir un gîte avec son ami ; ça laisse Adeline perplexe, elle voit mal cette femme s'ancrer quelque part ou alors elle s'est trompée sur elle, elle a envie d'en savoir un peu plus.

Puis elle a ouvert le mail de Lucas avec un petit pincement d'émotion. Cet homme, elle l'a rencontré l'hiver dernier à Venise quand elle était au plus mal ; leurs messages rares se croisent, plutôt laconiques, ils se livrent peu, dans une sorte de jeu du chat et de la souris, sans vouloir non plus casser le fil comme s'ils se gardaient en réserve pour un futur hypothétique.
Où est-il déjà ? ah oui au Bénin, et si elle allait le rejoindre, il l'a d'ailleurs invitée, elle pourrait arriver comme ça sans crier gare et le surprendre dans son quotidien, il n'aimerait peut-être pas ou au contraire il adorerait. Adeline joue quelques minutes avec cette idée qui lui plaît.
Elle décidera plus tard, demain est un autre jour.

Le soleil s'est couché, jusqu'au dernier moment elle a espéré le rayon vert comme un signe optimiste du destin mais il n'est pas au rendez –vous alors elle rentre doucement à son hôtel.
Quelques heures plus tard, elle n'arrive toujours pas à trouver le sommeil alors elle décide de sortir.
Une demi-heure après elle est devant une boîte de nuit d'où s'échappe de la musique « boum boum » juste ce qu'il lui faut pour lui vider la tête et remplir son lit.

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Elle se glisse entre les danseurs, plutôt jeunes dans l'ensemble puis se dirige vers le bar et avale 2 ou 3 shooters.
La musique finalement est plus agréable qu'elle n'aurait pensé. Elle se décide à danser, cela fait longtemps qu'elle n'en a pas eu l'occasion et son corps en a envie, pas trop de mal à trouver le rythme.
Adeline croise le regard de quelques hommes, mais rien de très excitant.
« Pas grand chose à moudre » comme dirait son amie Dolorès, des groupes de jeunes en goguette qui rigolent entre eux. Ce n'est pas ce soir qu'elle va tomber sur le grand amour ! Ce n'est pas non plus ce qu'elle est venue chercher ici.
Quand elle relève les yeux, il est là, elle ne l'a pas vu arriver. A peine plus grand qu'elle, un sourire sur les lèvres comme s'il arrivait en terrain conquis, il commence à lui débiter des banalités, elle répond par monosyllabes puis s'éloigne. Quelques minutes plus tard il revient à la charge. De nouveau elle s'écarte, un danseur s'interpose entre eux et lui fait un clin d'œil manifestant qu'il a remarqué le manège de l'autre, elle le remercie d'un sourire.
Il l'invite à prendre un verre qu'elle accepte.
Peu de temps après, elle décide de partir, la conversation qu'elle a eue avec son « sauveur » lui a fait du bien, finalement c'est ce dont elle avait besoin, parler et écouter puis elle dit qu'elle est fatiguée et qu'elle va rentrer ; elle lui a promis de revenir le lendemain soir mais elle sait déjà qu'elle ne tiendra pas sa promesse.
En se dirigeant vers la sortie, elle croise le regard de l'autre homme et pressent les ennuis à venir. Elle s'attarde un peu dans les toilettes puis quitte la boîte, son hôtel n'étant pas très loin, elle est venue à pied.
Elle marche d'un bon pas et ne l'entend pas arriver, elle sent simplement quelque chose de pointu et froid contre son dos et lui qui lui dit « Maintenant tu vas faire ce que je te dis »
« Dans tes rêves » pense-t-elle pendant que son cœur s'accélère, elle bande ses muscles et se retournant en un éclair, projette son poing américain et atteint la mâchoire, elle entend un craquement, il crie et s'affaisse.
Elle se met à courir et quelques minutes plus tard essoufflée et le cœur battant la chamade, elle atteint son hôtel.


Quand elle est dans son lit, elle se détend enfin et a une pensée pour son papa qui lui a appris à se battre au milieu de quatre barrières de cordes.





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