AFFAIRE CLASSÉE

suemai

La racaille l’observait. Il en fixa deux ou trois, qui baissèrent les yeux.

Flynn, appelé d'urgence, posa un regard froid sur son équipier Slagart, étendu et abattu de trois balles dans le dos. Il lui ferma les paupières, puis, fouillant sa poche revolver, s'empara de son porte-monnaie. Il en sortit vingt dollars : son gain de leur pari de la veille. Il remit le porte-monnaie en place.

Roulant à faible allure, il stoppa à hauteur de Craig avenue. Il sortit de la voiture, écrasa sa clope et entra au Credosland : «un de ces bars contrôlé par l'une ou l'autre des mafias du quartier.» Tout en servant un client, Sweeter le regardait s'approcher. Il en suait.

— Même chose Flynn ?

Il acquiesça du regard. Il sirotait son verre, tout doucement, dos au comptoir.

La racaille l'observait. Il en fixa deux ou trois, qui baissèrent les yeux. Flynn fréquentait, de plus en plus régulièrement, le Credosland, ce qui inquiétait la clientèle. Il se mijotait un truc louche, pensaient-ils tous.  

Il régla la note et aperçut Gritchen tout au fond de la salle. Il s'y rendit. Son mac déguerpit aussitôt. Il la prit dans ses bras, la regarda un instant et l'embrassa. La cinquantaine de clients, de réputation douteuse, se contentaient d'observer. Excepté un jeune, pas au courant des usages, qui s'avança. Il n'eût pas le temps de dire ouf… qu'il se retrouva au sol, pratiquement défiguré. Flynn s'essuya les jointures à même la veste d'un type près de lui. Le gars le remercia quasiment.

***

Flynn savait ce qu'il faisait et surtout pourquoi il le faisait. Birsby lui devait un petit quelque chose. Il emprunta l'escalier vers le sous-sol. Deux gardes du corps, plutôt baraqués, lui demandèrent d'attendre. Ce furent leurs dernières paroles. Flynn rangea son feu. Il ouvrit  la porte du pied. Deux types se couchèrent immédiatement. Birsby, comme toujours apeuré, tenta d'entamer la conversation. Flynn le regarda silencieux. Il s'assit sur un coin du bureau du grand patron et alluma une gitane. Il lui souffla la fumée en plein visage et sortit de sa poche un papier. Il le déposa très doucement, sous le regard ahuri de Birsby, qui le contresigna.

— Alors, t'es certain Flynn!? Ça va foutre le bordel.

— Tu signes, j'paye, t'exécutes sinon…

Il déposa un second papier. Birsby s'empressa d'y marquer son nom à nouveau et, après s'être entailler légèrement le doigt, y laissa se rependre quelques gouttes de sang. Une fois coagulé, un type entra, ramassa le tout et sortit. Flynn posa son regard sur le tiroir de gauche, entrouvert.

Birsby passa un gant et s'empara d'un flingue, un magnum. Il lui logea trois balles dans le dos. Flynn s'écroula. Comme convenu, on transporta son cadavre dans la ruelle attenante au bar de Starington, on déposa l'arme bien en vue. Puis Birsby contacta anonymement les flics en se calant dans son fauteuil, il entendit l'ambulance et la police arriver.

***

Le juge chargé de l'affaire ne mit guère de temps à rendre sa décision, considérant l'arme du crime, qui appartenait à Starington et portant ses empreintes, et le papier que l'on retrouva dans la veste de Flynn où il était écrit :

«Slagart et moi avons décidé de nettoyer le quartier. Starington est notre première cible. Birsby, notre indic, pourra en témoigner. Avec un peu de chance, nous ferons le grand ménage. Sinon, en cas de coup dur, nous espérons que nos familles profiteront pleinement du dédommagement et de la pension prévue à cet effet. »

On fit témoigner tous les propriétaires des bars voisins, qui nièrent avoir un quelconque rapport avec cette affaire. On les soupçonna d'entretenir des relations suspectes avec Starington, voire de complicité. Ils firent l'objet d'une surveillance resserrée. Starington fut condamné à la réclusion à perpétuité. Birsby quitta la ville et partit le plus loin possible. Le papier portant sa signature le confondait comme seul auteur de ce règlement de compte. Le sang constituait une preuve irréfutable des deux assassinats. Un ami de Flynn le conservait, avec ordre de le transmettre à qui de droit en cas d'«irrégularité.»

***

Le lieutenant Williams relisait le rapport du juge, ainsi que tous les documents s'y rattachant. Il savait pertinemment que les inspecteurs Flynn et Slagart détenaient, depuis un bon moment, toutes les preuves nécessaires à l'arrestation de Birsby, et ce, pour une panoplie de crimes passibles de plusieurs années d'emprisonnement. Le lieutenant Williams connaissait de plus, et fort bien, les profils de Flynn et Slagart, identifiés comme ripoux, à la solde des truands de ce quartier. Williams accumulait justement des preuves pour les mettre à l'ombre pour un bon moment. Donc se dit-il, Flynn, se rapprochant de la retraite, avait tout planifié afin d'obtenir le maximum d'indemnités pour sa famille. Il alla jusqu'à tuer son équipier Slagart de sang-froid puis organiser son propre assassinat. La dernière phrase de son message, concernant les compensations, ne pouvait être plus éloquente. Selon un rapport médical, on accordait à Flynn une espérance de vie d'un an tout au plus. Un cancer du foie le rongeait. Le lieutenant referma le dossier et l'archiva comme «affaire classée.» 

  • Il a quand même bien joué ce Flynn !

    · Il y a presque 9 ans ·
    Louve blanche

    Louve

    • alô Martine, oui il a fait son job, mais à quel prix. Un peu la réaction de «Merlot» on protège ses petits à tout prix. Mais quel personnage flegmatique ce Flynn. Yana n'est pas loin... bisous Sue+++

      · Il y a presque 9 ans ·
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      suemai

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