Afterwork avec Alice/1

jireoparadi

Il m’accueille avec un verre d’anisette, une tasse d’olives « pour patienter » et me demande des nouvelles de ma soeur...

« Si seulement j'avais mieux préparé ma présentation budgétaire avec Henri …

« Si seulement j'avais poursuivi mes cours de théâtre au lieu de préparer Sup de Co…

« Si seulement j'avais dit oui à Caroline quand elle me parlait de partir nous installer au Vietnam… 

« Si seulement j'osais dire à Jérôme que « Matrices » et ses réunions autocentrées me pompent l'air… »

 

J'en suis là à peu près là de mes « Si seulement… » quand Alice fait son apparition.

La terrasse du « V… » est pleine mais Hassan m'a installé à un endroit tranquille, à l'intérieur. Il sait que c'est à cette heure ci, débarrassée des derniers shoppeurs en devenir que je préfère la rue des Abbesses.

Il m'accueille avec un verre d'anisette, une tasse d'olives « pour patienter » et me demande des nouvelles de ma sœur.

— Tu pourras lui poser la question toi-même Hassan, c'est avec elle que j'ai rendez vous.

— Dieu soit loué ! Alors, elle va mieux. Bon, quand est ce qu'on le monte tous les 3 ce café sur la côte ?

— J'en sais rien Hassan… Peut-être plus tôt que tu ne le crois. J'en ai tellement ras le pompon en ce moment. J'ai l'impression que je vais y laisser ma peau.

—Arrête Lucas, ils ne t'auront pas. Tu sais bien que tu as Malak avec toi.

Hassan est notre ami depuis notre arrivée à Paris, il était serveur dans un café de La Bastille quand nous l'avons rencontré. Nous y prenions notre petit déjeuner quotidien, il nous remettait des parties de flipper pendant des heures. Je lui dois mon talent à la « fourchette » et au tarot ainsi que mon addiction à la caféine.

Mon père avait œuvré pour lui, en permettant à un de ses frères d'échapper à quelques mois de prison. Il a ensuite aidé au financement de son bar et à l'obtention de papiers en règle. C'est devenu un des plus farouches partisans de mon père, « Un homme qui en a Lucas ! ». Le « gibier » de Sologne est payé pour le savoir, nous, moins.

Mais l'admiration qu'il lui porte ne change rien à notre lien. Hassan est depuis 15 ans mon fidèle rappel au centre.

 

Si seulement on montait ce bar avec Hassan. Lui à l'accueil et aux cocktails, Alice à la programmation musicale et au casting, Christophe au commercial et moi en cuisine…

 

Elle a fait son entrée en conservant ses lunettes de soleil.

— Salut mon frère !

Jupe noire et motifs indigo, collants rouge, horrible Tee-shirt couleur chair sous une veste Chanel et une paire de Dr Martens violette. Que personne ne cherche à m'expliquer pourquoi Alice n'arrive jamais en retard. Elle est juste trop attentive aux autres pour leur imposer le potentiel embarras de sa traversée de salle.

Je note juste un peu plus de rouge que d'habitude sur les lèvres et un tas d'épingles dans les cheveux. Je regarde Hassan qui remarque aussi et me laisse l'accueillir.

— T'es… Splendide !

— Arrête.

Elle ne le dit pas pour la forme. J'arrête. « Qu'est ce que tu veux boire ? »

— Comme toi.

Je me dirige vers le bar pour nous chercher 2 américanos maison, précise à Cathy de préparer celui d'Alice avec un peu de Schweppes, me ravise, ne précise rien du tout et revient avec une assiette de tapas.

— J'ai une dalle d'enfer, sers toi !

— Merci, je n'ai pas très faim.

 

Alice est anorexique,

Depuis 12 ans,

Combat,

Baisse les bras,

Se soigne,

N'en parle pas,

En parle,

Et nous nous acharnons maladroitement à « l'aider » à nous ressembler.

 

Signaler ce texte