Afterwork avec Alice/4

jireoparadi

Vous vous sentiez chez vous, enfin à votre place, toi, Caro pas tout à fait,...

—   Longtemps qu'on ne s'est pas grignoté un fallafel non ?

Je saute sur l'occasion.

—   Oui c'est vrai. Tu veux qu'on s'arrête ou qu'on pousse jusqu'à Rosiers ?

Un peu trop vite.

—   T'es un amour mon frère. Non, on fait comme on a dit. On file chez toi, je bois un café et je me sauve.

—   D'ac.

Je la garde contre moi, on tourne à gauche rue Réaumur.

 

J'aurais bien aimé un fallafel à Rosiers pourtant.

 

Tu revois…

Vos premiers mois avec Caroline, votre installation à Paris, deux pièces 18 rue du Bourg-Tibourg, loyer exorbitant mais vous pouviez, enfin, vous vouliez vous le payer, être enfin là, au cœur de ce quartier parisien, canaille, juste comme il faut hein ? Ruelles propres et boutiques hype, proches de vos amis, ex potes de fac et collègues de Caroline pour la plupart, qui vous rendaient souvent visite du coup, soirées dans ces bistrots têêêllement sympa, shopping au marché des Francs-Bourgeois, légumes et vin bio, les croissants que tu lui ramenais chaque dimanche après la nuit, courte, vous ne dormiez pas beaucoup, au début, vous parliez, faisiez l'amour, parliez, lisiez, vous embrassiez encore, vous endormiez… Vos derniers amis étaient partis, vers 4H00 du mat, parfois l'un d'entre eux avait passé la nuit chez vous, vous dépliiez le canapé Ikéa ou Habitat…, la boulangère vous appelait par vos prénoms, vous vous sentiez chez vous, enfin à votre place, toi, Caro pas tout à fait, elle disait que le top ce serait d'être propriétaire, un peu plus haut, un peu moins touriste, moins Rue SandroMajeClaudiePierlot, mais galeries, bars à vin, boutiques de créateurs, rue de Picardie, ce serait bien, une terrasse si possible, des poutres apparentes, du parquet, des meubles modernes, sécurité et visiophone… Et quand « tu ne sais plus qui, déjà propriétaire du coté de tu ne sais plus où » t'en parlait tu répondais toujours « Mais pour le moment on est pas sûr tu sais, Caroline se fait chasser par un Hedgefund », et moi ? « Oh par hyper matérialiste, je m'en fous, on est bien, je ne suis pas bricoleur pour un sou, pas sur d'avoir envie de m'emmerder avec des problèmes de chaudière et de réunion de copropriétaire, on s'aime, vous êtes là c'est cool, ça va comme ça ».

Parce que c'était ce que tu croyais. Vraiment.

Vous aimiez votre vie et votre appartement, rempli souvent, toujours,  des copains de ta belle, pour qui tu débouchais de bonnes bouteilles, « Allez quoi Lucas, ils sont tellement sympas, t'as vu la maison qu'ils ont, c'est quand même super qu'on puisse passer une semaine en août chez eux », tu redescendais chez Nicolas, enfin pas lui mais le caviste de la rue du Renard, « le vin est toujours top chez lui », les copains arrivaient, vous ouvriez la première bouteille ensemble dans la cuisine, tu les servais, tentait de maintenir le curry rouge que tu avais prévu pour ta belle qui voulait faire plaisir à Margaux, Théo ou Laëtitia, tu ne sais plus, qui adorait la cuisine Thai. Vous vous étiez inscrits tous les deux à un cours de cuisine, « C'est génial de partager ça ensemble », elle disait. Tu ne te souviens plus très bien à partir de quand elle à commencer à moins venir, son premier changement de job ? Ce rachat d'un concurrent à l'étranger qui l'obligeait à s'absenter pratiquement 2 jours par semaine ? Tu as continué à écouter sans te faire remarquer, le prof qui te parlait cuisson à la feuille de bananier, râpage du gingembre, t'intéressant à l'accord parfait coco, basilic, rouge, rosé, blanc, fruit, bois, minéral,… Puis tu rentrais, pensais te désinscrire, « Mais non, c'est bête continue, je reviens avec toi dès que je peux… », Tu es resté toute une année. Seul.

Tu revois…

Vos premiers jours, vous aviez passé une semaine au lit, à vous embrasser, vous embrasser encore, tu te levais pour lui chercher un verre d'eau, ses cigarettes, tu lui portais des plateaux de trucs de fille, du thé, des toasts, un peu de saumon fumé, un verre de vin blanc, tu lui enlevais le plateau dès qu'elle avait terminé, secouait les draps pour que les miettes ne la gênent pas, remportait le plateau, à poil sous ton paréo pour lui faire un café, tu criais « Tu veux écouter quoi Caro ? », « Comme tu veux, un truc cool », elle répondait, tu choisissais Kate Bush, Henri Salvador, Dylan, Daho, Tracy Chapman, tu lui portais un café, « Il est bon ? », Elle te regardait au dessus de sa tasse, fermait l'œil tout doucement pour te répondre, te souriais, te caressais la joue, tu bredouillais merci, lui allumait une cigarette, tirait une taf, l'embrassait, « Repose toi », refonçais à la cuisine pour ranger un peu, elle triait des photos, regardait les murs de votre chambre, « Lucas, ça fait 3 jours qu'on a pas bougé, demain on pourrait aller au BHV regarder un peu les meubles non ? J'aimerais bien trouver quelques cadres aussi. Oh Lucas, je suis trop contente qu'on soit là, tu vas voir il va être super cet appart, on a bien fait. » Tu revenais dans votre lit, te collait contre elle, « On ira au BHV si tu veux ma chérie, mais avant, j'aimerais que tu me racontes notre histoire. »

« Mais tu la connais notre histoire Lucas, on se l'est déjà raconté 100000 fois ». Oui, tu sais, mais tu ne t'en lasse pas, les années lycées et les fiancés de Caroline, toi qui la connaissais depuis toujours et qu'elle ne regardait que comme un bon, un très bon copain, elle te racontait Fabrice qui l'avait quitté, alors qu'il était le premier avec qui elle,… enfin, tu vois quoi ? Oui, tu voyais, ravalais ta rage et ta frustration, l'emmenais boire un café « Chez M… », elle pleurait tout le long du chemin, vous arriviez « Chez M… », retrouviez votre bande de potes, tu serrais les mains, qu'on te tendait, mais déjà Xavier t'emmenait vers le flipper, il voulait te parler de Caroline, tu serrais les dents, te penchait pour mettre la pièce dans le flip et ne pas le regarder, ça ne le dérangeait pas, il te parlait quand même, de Caroline, dont il était amoureux, « Et est ce que tu croyais que, maintenant qu'elle était seule,… toi qui la connaissais bien », tu répondais « hmm hmm », en gardant les yeux sur ta balle. Non. Non. Non.

Tu ne croyais rien.

Caroline, c'était toi qui l'aimais. Tu noircissais des pages tous les soirs des mots que tu voulais lui dire. Et puis tu les brulais, tu n'y arrivais pas, te faisais une raison et continuais à écouter ses amoureux avant, à consoler Caroline après, à recommencer… Jusqu'aux jours où… Et maintenant tu as envie qu'elle te raconte, les jours où, mais aussi les jours avant, ceux de la tristesse, de la solitude, de l'attente, du mystère, du cadeau que l'on attend, ce livre qu'on adore, qu'on savoure qu'on se force à fermer le soir pour ne pas le finir trop vite, qu'elle te raconte la fin, le soir où… Enfin… Ce coup de téléphone, elle t'attendait « Chez M… », elle aimait les symboles, il n'y avait plus personne, qu'elle te rappelle ce café ensemble, tes mots d'abord, les siens ensuite, qu'elle te redise les jours d'après, hier, demain surtout.

Mais elle ne le fait pas, « On a le temps Lucas, on a toute la vie devant nous, viens, regarde ce que j'aimerais qu'on achète pour la cuisine, les potes vont tomber raide ».

Alors, tu t'installais à coté d'elle, vous feuilletiez le catalogue, tu disais « Oui, oui, oui », tellement heureux d'être là, « Tu sais, c'est un début Lucas, si on continue à avancer comme ça toi et moi on pourra bientôt acheter ». Oui.

« Je t'aime » tu lui disais, « je vais te préparer quelque chose à manger », tu enfilais un jean et un blouson, ta vieille paire de Docksides pour filer vous réapprovisionner en saumon, toasts, vins et clopes, tu descendais, tu montais jusqu'aux Enfants Rouges, repensais à ce qu'elle venait de te dire, tu ne comprenais pas très bien, tu le trouvais bien toi cet appartement, acheter, oui, pourquoi pas, mais on était déjà bien non, c'est vrai vous étiez en pleine ascension, Caroline allait changer de poste rapidement, et si tu continuais comme ça, toi aussi tu serais nommé à la tête de la région parisienne rapidement, aucune raison à ce morceau de silex dans ton ventre… Tu chassais ça en arrivant au marché, rien n'était trop beau pour ta belle, souriais à la patronne de l'épicerie, achetais du saumon et du vin, tu passais dans ce petit restaurant antillais lui prendre quelques accras et une mangue, choisissais une bouteille de rhum vieux, du citron vert, du sucre, attrapais un bouquet de renoncules, terminais par le bureau de tabac, revenais vers chez vous, tu remontais, la nuit commençait à tomber, elle avait allumé la lampe de chevet, posé les photos et lisait un magazine de déco.

Elle avait enfilé ton pull marin, tu adorais ça…

Tu adorais ça.

Tu adorais ça.


 

  • J'adore ça… "Tu adorais ça, tu adorais ça" n'est pas la fin quand même ?

    · Il y a environ 8 ans ·
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    nyckie-alause

    • Bonjour,
      Merci encore de votre commentaire.
      Non, ce n'est pas la fin de l'histoire de Lucas, elle est en cours, pas toujours dans l'ordre...
      Mais l'histoire avec Caroline... il en reparlera je pense.
      A bientôt.

      · Il y a environ 8 ans ·
      Img 1097

      jireoparadi

  • Oh merci Ade de ton passage.
    Et de ce commentaire.
    Heureux que cela te plaise.
    Amicalement.

    · Il y a plus de 8 ans ·
    Img 1097

    jireoparadi

  • Décidément cette histoire me plait beaucoup, d'accord avec Zabzab très bien écrit, et on visualise les scènes ! J'adore !

    · Il y a plus de 8 ans ·
    Ade wlw  7x7

    ade

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