Aile.

poulet

Quelques mots qui partent, comme ça. Écrits rapidement, dans la vitesse, l'action. Dans la musique. C'est la musique qui guide mes doigts, l'émotion qui guide mes mots. Qui me guide. Une plume.

- Elle -


Elle. 
Elle danse. Elle tourbillonne. Quelques battements puissants l'agitent, et des soupirs venteux l'animent. Elle s'arrête, quelques instants. Puis reprend son rythme lent, son battement de cœur qui m'arrache de ma tourmente.
Elle danse. Les couleurs se mêlent, les tissus se transforment. Le cliquetis de ses bijoux rehausse le son creux des tambours qui chantent. Elle n'est plus que souffle, vitesse, légèreté. 
Elle danse. La terre se soulève, ses pieds s'agitent. Elle s'arrête, quelques instants, puis reprend. Des effluves sucrées s'échappent de ses lèvres. Un regard chaleureux me fait frissonner. 
Elle danse. Ses muscles deviennent de la soie. Son regard, de l'eau limpide. Quelques rayons du soleil passent dans ses boucles brunes, m'éblouissent. Elle m'éblouit. Comme son sourire. Éclatant. 
Elle danse, encore. Toujours. Un pas après l'autre. Une main avant l'autre. Une respiration après l'autre. Elle respire. Encore. Toujours. 
Elle s'arrête, quelques instants. 
Ses pas se ralentissent, son regard se fait distant. Son éclat n'est plus le même et ses cheveux deviennent ternes. Le battement s'arrête.
Sa respiration cesse. 
Elle s'arrête, pour toujours. La soie devient linceul, les soupirs sont des silences, et ses bijoux deviennent marbre. 

Mon regard se perd entre les chrysanthèmes. Mon âme s'est perdue comme entre chiens et loups.

Et quand ma tourmente devient plus grande, je transforme la poussière en boue.

- Aile -


Elle se détache, doucement. Elle se sépare de ce qu'elle était. Elle ne fait plus partie d'un tout. Le tout, c'est l'Aile. C'est elle. C'est l'unité. L'unité devant la force, l'unité, seule, face au monde. Face au vent. Le vent l'emporte. Le vent la porte. La berce. Siffle pour elle. Le vent puissant. Rassurant. Celui qui lui caresse les cheveux du bout de ses doigts, celui qui la rassure et la protège d'un mouvement de bras. 
Protection. 
Elle s'est détachée, et elle tombe. Tranquillement. Sûre d'elle. Portée par le vent. Elle va à gauche, puis à droite. Elle hésite. Elle tourbillonne, se cambre, hésite encore. Peut-être que ce voyage n'est pas fait pour elle. Peut-être que ce n'est pas son but, son rôle. Son rôle, son but. Peut-être ne devait-elle pas se séparer des autres. Peut-être ne devait-elle pas changer ainsi, et devenir qui elle était. 
Le vent la fait tourner, et continue à la porter. Rassurant. Paternellement. Peut-être qu'il a raison, doit-elle se dire. 
Le vent la pousse, cherche à la faire voler. À lui faire prendre son envol. 
Pourtant, elle continue à se mouvoir vers le sol. 
Droite. Gauche. Elle hésite. Elle tourbillonne encore, accepte l'aide du Vent. Et plus elle quitte son aile, plus elle se rapproche du sol. Elle ne veut pas s'écraser. Tout se bouscule dans son esprit, son esprit léger, son esprit de plume, tandis que le vent, paternellement, la dépose. 
Sur le sol. 
Sur la pierre. 
Puis la remonte. La soulève. La décoiffe. La secoue. La remue. La bouge. La fait virevolter, la fait se cambrer. Et la plume remonte, remonte. Haut, très haut. Elle est légère, tourbillonne, n'hésite plus. Elle se laisse guider, se laisse porter, se laisse bercer. 

Elle s'endort doucement dans les bras du vent, dans les vagues de la mer. 
Elle est là, posée sur un songe, comme posée sur une pierre.


- Ailes -


Ailes. 
Ailes battent. Elles battent. Haut. Très haut. Puis s'inclinent, plongent, rasent les vagues. Remontent. Tournent. Battent. Les vents s'engouffrent en elles, les embruns s'engouffrent en elles. Les cris et les bruits les traversent, suspendues par le temps. 
Blanches. Grises. Quelques couleurs neutres, quelques plumes qui se détachent et tombent. Blanches. Grises. Elles s'agitent encore, et s'élèvent vers le ciel. Vers le sommet. Vers l'avenir. Elles poussent ce corps mince, ce corps fragile vers le haut. Ce cœur mince, ce cœur fragile vers le haut. L'écume vole, elle aussi. Elle s'accroche sur des plumes blanches, sur des plumes grises, retombe ensuite. Comme des bernicles trop vieilles pour s'accrocher. Elles tournent et valdinguent, elles battent et retombent vers le sol. Elles se réchauffent, repliées, repartent, et s'agitent à nouveau. Le soleil est bloqué par la pluie, la pluie est bloquée par les plumes. Les plumes bloquent le soleil. Protègent du soleil. Trop puissant, trop rayonnant. 
Une plume tombe. Tourbillonne. L'aile continue de battre. Continuent de battre. Elles perdent un peu d'elles-même, mais elles continuent de planer. Elles se posent sur le vent, délicatement, le chevauchent. Sa croupe aérienne s'agite, les tourmente, mais elles résistent. Toujours. Elles se laissent porter tranquillement vers leur destin. 
Elles sont jumelles. Elles planent ensemble, battent ensemble. Elles suivent la même direction, ne se séparent jamais. Deux sœurs nées en même temps, qui voyagent à dos de vent et qui un jour, se posent et se reposent. Pour toujours. 

Elles se battent jusqu'à ce qu'elles n'en peuvent plus de leur corps.
Elles battent jusqu'à ce qu'elles ne peuvent plus, comme un cœur.
Ailes s'envolent.


- Sang -


Plume. 
Plume fine et faible. Lame puissante et invisible. Qui transperce son cœur. Profondément. 
La plume tremble, se laisse porter. 
Elle fend l'air. Comme avant. Plus rien n'est comme avant.
Un mouvement saccadé et irrégulier la fait vibrer tout contre la feuille. Elle se vide. Doucement. Elle l'aide à tout faire sortir. À faire sortir ces flèches qui le transpercent. Ces flèches en manque de liberté. En manque d'air. Il suffoque. 
Il écrit. 
Son émotion devient son sang, qu'elle répand sur le papier. Son sang qui tourne, s'écarte, fait des taches, tourne encore. 
Une courbe, un délié. Elles disent des choses dures, qu'il peine à écrire. Qu'il se force à écrire. Qu'il doit écrire. Ses doigts se crispent sur la plume. Une courbe, un délié.
Les doigts d'acier sur la plume de velours. 
Les mots durs faits de courbes voluptueuses. 
Les gouttent qui tombent, qui tâchent. Qui tâchent de ne pas couler, qui coulent et glissent sur la plume. Des gouttes amères contre la soie. Des gouttes salées, qui s'accrochent, se retiennent, tentent de ne pas tomber. Elles tombent, s'écrasent sur le papier. 
Douceur contre âpreté.
La main tremble, la plume tremble. Ce n'est plus la main qui guide, c'est la plume. Elle dirige, tourne, s'écarte, tache.
Ce n'est plus la plume qui guide, c'est l'émotion. Qui l'emplie, qui la traverse, la fait tourner, s'écarter, tacher. La plume est là, courant sur la papier, s'arrêtant, repartant. Retour en arrière brusque, trait marqué, la plume devient violente. L'émotion devient violente. La plume répand son sang, encore, toujours, dans des courbes et des déliés. Elle veut faire exploser ce qui est au fond d'elle-même. Elle ne peut que faire exploser ce qui est au fond de lui. 
Les mots se calment, l'émotion se calme. La main tremble, elle n'en peut plus. 
La plume tremble. Se laisse poser. 
La main s'écarte, ne tremble plus. Il sourit doucement à la plume. La remercie. 


Elle a fait couler son sang, a ouvert son cœur. Une dernière fois.

Il a ouvert son cœur, va faire couler son sang. 
Une dernière fois. 

Signaler ce texte