Allongé(e)s

guewen

Synopsis :

Facebook compterait* aujourd’hui 333 000 inscrits Parisiens de 20 à 30 ans se déclarant célibataires.

Kévin le sait bien, puisqu’après les soirées chez des amis (et amis d’amis), les boites et les sites de rencontres (pour la vie ou pour la nuit), c’est un de ses terrains de jeux favoris.

Charlotte ne l’ignore pas non plus, tant ses amies qui la trainent de soirées en diners embuscades l’incitent à s’y inscrire.

Tous les deux assument pleinement l’étiquette, chacun à sa manière.

Il en profite pour butiner, tester des approches audacieuses, jouer au détective privé virtuel, remplir des tableaux Excel et alimenter son blog.

Les appels de ses amies éconduites par un énième goujat la confortent, elle jubile en brisant la verve d’un dragueur enflammé, apprécie sa liberté de tout.

Il est développeur web dans une grosse agence de publicité, résidant dans un studio près du Canal Saint-Martin, arpentant les nuits de la capitale avec son meilleur ami idéaliste et un compère conscient qu’il est beau gosse.

Elle est dentiste fraichement installée, seule, sans chat, bien heureuse de pouvoir se cacher derrière son masque, sa blouse et son vocabulaire médical le jour et son caractère froid et distant lorsque ses amies essayent de la caser la nuit.

Leurs cynismes vont s’affronter furtivement lors d’une soirée.

Une  carie douloureuse et dix années d’hygiène dentaire de célibataire vont les amener à se recroiser régulièrement, sans qu’il la reconnaisse.

Il va cependant essayer de savoir qui se cache derrière ces jolis yeux et les formes agréables que son uniforme laisse deviner. Bien trop mystérieuse, froide et professionnelle, elle ne va faire qu’éveiller sa curiosité, à lui qui a pour habitude de brouiller les pistes.

Elle savourera d’abord la maitrise que sa profession lui donne sur ce patient si spécial, s’amusera à contrer ses plans, avant qu’ils ne se rencontrent à nouveau lors d’une soirée et qu’ils ne doivent s’assumer.

C’est une comédie, pour qui a vécu ses années en vingt dans une grande ville ou qui ne s’étonne pas du succès des nouvelles formules de rencontres, virtuelles, speed ou originales.

C’est romantique, même si on ne se marie plus, si on ne souhaite pas d’enfant tout de suite et que la quantité prévaut souvent sur la qualité des relations.

C’est en partie vrai, parfois vécu, souvent rapporté, parce que cette génération aime se raconter sans pudeur sur des places publiques comme Facebook.

*Statistiques obtenues via l’outil de publicité Facebook, en janvier 2011.

Premier Chapitre :

1 heure 30 du matin, c’était l’heure de finir ce mojito dont la quantité de rhum était inversement proportionnelle au prix et filer à la crémaillère de ce couillon de Benjamin.

Kévin prit donc les devants, avala d’un trait, poussa un petit râle de contentement en regardant ses deux comparses et fit teinter le verre sur le zinc.

Comme il avait trouvé le plan pour ce soir, il indiqua à Julien que celle-ci serait pour lui.

-Je fournis les filles, tu fournis de quoi nous donner un peu de verve, cria t’il par dessus le mix electro de la sono.

-Avec ce que tu as pris, j’ai moins peur pour ta verve que pour ton élocution, ça fait déjà une heure que tu avales les voyelles, et tu attaques déjà les consonnes, lui répondit Mathieu.

Ils quittèrent les lieux après avoir parcouru la salle à la recherche d’une demoiselle avec qui tenter leurs chances. Julien avait bien une touche avec la barmaid, mais il faudrait attendre la fermeture.

C’est toujours le problème avec ce genre de fille, on les embauche parce qu’elles sont jolies, à force de gérer des mecs éméchés, elles ont du répondant et pas mal d’humour, mais il faut une patience pas possible et un portefeuille bien rempli pour tenir jusqu’à la fin du service.

Et se rendre compte qu’elles sortent avec le videur.

Kévin leur fit un topo rapide.

Benjamin était en stage de fin d’étude à l’agence, il débarquait de son école de commerce nantaise et de chez ses parents où il avait du vivre toute sa vie, à part le stage en Erasmus de rigueur. Avec le minimum légal de son indemnité de stage, sa bourse et l’aide du paternel, il avait trouvé une coloc à 4 dans le fin fond du 19ème avec d’autres provinciaux venus chercher un beau nom de boite à mettre sur leurs CVs avant de se lancer dans le grand bain.

Ca promettait donc d’être plein de jeunes gens, et surtout de filles, évacuant les frustrations d’une semaine de dure labeur sous payée à grands renforts de vodka.

Le mois d’avril faisait fleurir les jupes et rendait les filles jolies. Toutes les filles.

Après un hiver de cols roulés et de jeans, revoir un peu de peau était un plaisir simple mais immense. Alors sur le chemin du metro, les trois garçons en profitaient.

Si l’habitude aurait voulu qu’ils spéculent sur le potentiel féminin de leur point de chute en s’énumérant les anciennes aventures qu’ils pourraient probablement y croiser, ce soir là sonnait comme le début d’une nouvelle saison, vierge, si l’on peut dire.

A cette heure ci, Kévin avait divisé la faune du métro en trois grandes catégories générationnelles.

Passés 35 ans, les parents ou grands parents s’en vont rejoindre leurs propriétés. S’ils prennent le métro, c’est uniquement parce qu’il y a trop de monde à la station de taxi.

Les plus jeunes ont tiré jusqu’au bout sur la ficelle de la tolérance parentale et rentrent à la maison. Ils s’accrochent à la bouteille en plastique contenant un mélange douteux comme à leur liberté, chaque goutte avalée avant le domicile familial ayant un parfum d’indépendance.

On pouvait les diviser en sous catégories tribales grâce à leurs accoutrements.

Les fans de hip hop, faisant grésiller leurs mobiles à grands coups de beats et de paroles issues d’un dictionnaire de rimes bon marché. Avec un peu de chance, ils croiseront un groupe de vrais banlieusards et gênés, un peu honteux d’être des faux, ils rentreront dans le rang.

Les « fraicheurs » à franges, qui feraient mieux de dépenser l’argent de papa dans un coiffeur plutôt que chez Sandro. On admirera sans doute la manière avec laquelle ils soignent leurs coupes de cheveux négligée en se regardant régulièrement dans la glace, histoire de remettre de travers une mèche trop docile.

Les émos, que seul un œil exercé saura dissocier des goths, qui feraient bien de sortir un peu de leur cave ou de manger 5 fruits et légumes par jour, tant ce teint livide est inquiétant.

En montant à Bastille, il était évident que Kévin et sa bande en croiseraient de ce genre là.

Là où ces deux premières catégories générationnelles rentrent à la maison, les vingtenaires comme eux ne font que commencer leurs périples nocturnes. Tout ce qui précédait ce dernier métro n’était qu’un échauffement avant la boite de nuit ou l’appartement qui les hébergerait jusqu’au lever du jour et la promesse d’une gueule de bois digne de ce nom.

Bastille, ligne 5 direction Bobigny, sept minutes avant le dernier train, la voix féminine robotique rythmant l’attente.

L’important à ce moment là, c’est d’éviter la rame qui contient le groupe particulièrement éméché qui chante des chansons paillardes à tue tête.

Le spectacle est tout de même garanti.

Au choix : le violoniste roumain (parfois Kévin se dit que certains sont très bons, et qu’ un ex soliste d’un grand orchestre d’une obscure république ex-soviétique doit sûrement se cacher derrière un de ces troubadours mendiants), le clodo bourré et endormi dont l’odeur délimite naturellement un périmètre de sécurité et fait changer de rame les plus sensibles, le couple fraîchement formé qui se bécote à tout va, la famille anglaise en K-Way retournant à son hôtel. C’est gratuit, plein de nuances et fort appréciable pour tout parisien un tant soit peu blasé et cynique comme Kévin.

Les épiciers ont tout compris.

Ils se sont massés dans les derniers quartiers que les étudiants et jeunes actifs peuvent s’offrir, c’est à dire de plus en plus près du périph. Ils savourent eux aussi le retour des beaux jours et de la saison des crémaillères en rajoutant quelques euros sur le prix des bouteilles d’alcool que les locaux et leurs amis ne manqueront pas d’acheter avant de monter défier la tolérance du voisinage.

Les 15 minutes entre Bastille et Laumière ont suffi à faire redescendre un peu Kévin, Mathieu et Julien, alors une grande bouteille de Grant et deux de Coca ne seront pas de trop.

30 euros, en liquide, la maison ne prend pas les chèques et encore moins la CB.

L’amateur de drague en close-up qu’est Julien prend une boite de Tic Tac. Les filles n’ont pourtant pas l’air de se soucier de son haleine, ni de la pauvreté de sa tchatche. C’est un putain de beau gosse qui s’entretient à la salle de sport, et ses charmes doivent tellement accaparer la vue des demoiselles qu’elles en perdent l’usage de leurs autres sens.

Benjamin a bien fait les choses, avec invitation Facebook un mois à l’avance, relance avec lien Google Maps et toutes les informations pratiques.

Il a eu le bon goût de ne pas imposer de thème, ça devient rare. Tous les organisateurs de fêtes se sentent obligés d’en trouver un, et on ne dira jamais assez qu’un bon thème pour une soirée, ça demande bien plus qu’une illumination collective sous alcool. C’est un truc à ne pas prendre à la légère, au risque de barber tout le monde. Si Kévin n’a pas encore organisé de soirée, c’est parce qu’il attend d’avoir trouvé le thème ultime, et qu’il prend le sujet très au sérieux.

De toute façon, ils auraient pu trouver l’immeuble en cherchant l’origine de la musique qui ne berçait pas le quartier, déterminer l’étage via les fumeurs amassés aux fenêtres et le mot dans le sas de l’entrée leur aurait fourni les dernières informations.

Quatre étage sans ascenseur, deux minutes à sonner et frapper plus tard, un des colocataires leur ouvrait la porte.

-Salut mec, je suis un collègue de taf de Benjamin, ce produit malté suffira t’il à nous faire rentrer ?

Kévin avait essayé de prendre son air le plus cool et sympa en prononçant cette phrase et en tendant la bouteille de Whisky, Mathieu et Julien souriant béatement derrière. Il l’avait expérimenté pas mal de fois et suivant le taux d’alcoolémie de l’ouvreur, ça faisait au moins sourire. Secrètement, il attendait que quelqu’un rebondisse avec un jeu de mot vaseux sur l’Ile de Malte, en vain.

-Ouais c’est cool, carrément, magnez vous de rentrer, faut pas faire trop de bruit pour les voisins.

Le type devait déjà être un peu attaqué pour ne pas se rendre compte que ça faisait belle lurette que ses voisins le détestaient.

Il les guida jusqu’à la chambre la plus proche dans laquelle s’entassaient quelques manteaux, les sacs de filles et les fumeurs de shit. Ils y laissèrent leurs affaires et le suivirent jusqu’à la pièce principale, bondée, enfumée, bruyante de musique et de dialogues essayant de la couvrir.

-Pour le coca, le frigo est là mais y a plus de bières, y a des gobelets dans ce coin et…

Il chercha un détail à ajouter, comme s’ils avaient besoin de plus que ça. Julien avait déjà commencé le service.

-Et rien en fait, je vais dire à Benji que vous êtes là, have fun les mecs !

Il s’enfonça vers le fond de la pièce, poussa un « wouhou » à son groupe de potes en levant le bras et disparu.

Stratégiquement, Kevin s’était déjà placé à côté du frigo, une clope à la main, l’évier à proximité ferait un excellent cendrier. Julien lui tendit un verre qui avait l’air bien chargé après avoir fait de même à Mathieu, plaça la bouteille à l’abri derrière Kévin, leva le coude pour trinquer et fit cul-sec.

-Je vais faire un tour de repérage, bougez pas.

Ca non, ils ne bougeraient pas. Pas avant le money time.

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