Le labyrinthe d'Agathe
Camille Paret
Synopsis : « Le labyrinthe d’Agathe »
Fin des années 2000. La jeune Agathe Belpère réalise sa thèse de doctorat en arts sur la cathédrale Notre Dame. Très liée à un prêtre et à l’organiste de la cathédrale, elle rencontre un étrange garçon… et c’est le coup de foudre, à sens unique. En effet, le problème est que cet Axel (qui n’est pas un triple sot) est un lieutenant de police aussi réservé qu’elle-même est exubérante et déjantée. Le renfrogné enquête sur un crime qui aurait pu être commis au sein de la cathédrale. Agathe imagine alors aider l’objet de son désir dans son enquête. A force d’acharnement, elle finit par être entendue… mais n’est-ce pas le début de la fin ? Le roman sera construit sur des scènes de jeu de chat et souris entre Agathe et Axel.
Premier chapitre : Dix amoureux de perdus, un de retrouvé… Enfin, presque !
Aujourd’hui, autant écrire une éternité avant ses fiançailles en l’église de Mainvilliers, Agathe Belpère se dirige vers le bistrot Serpente. Comme souvent depuis qu'elle trime sur sa thèse de doctorat, la demoiselle vient y prendre son petit-déjeuner,
Incapable d’imaginer que les toutes prochaines minutes vont déclencher un véritable cyclone dans sa vie, incapable d’envisager que celui-ci dévastera ses jours et ses nuits, Agathe observe avec nonchalance les oiseaux.
Elle devine encore moins que cet ouragan sentimental sera bientôt désigné "Axel" par le météorologue de son cœur.
Eh oui ! Comment une pucelle de la région dunoise pourrait-elle rêver épouser le descendant d’un Infidèle à la peau sombre, le petit-fils d’un Maure venu en France pour y goûter la saveur du gaz moutarde en 14-18 ? Autant espérer que notre demoiselle boute les touristes anglais hors de la Cathédrale de Chartres !
Agathe n’est pas vraiment jolie. Elle est loin d’être une vilaine fille pour autant. Ses épaules sont frêles et son corps menu.
- Beaucoup trop menu ! Affirme parfois Dannie, sa meilleure amie sinon la seule.
Sauf lorsqu’Agathe est obnubilée par ses recherches de thésarde, sa bouche rayonne d’un sourire naïf. Pourquoi la jeune femme ne laisse-t-elle personne indifférent ? C’est difficile à dire avec certitude…Peut-être à cause de ses taches de rousseur qui évoquent immanquablement l’Irlande ou de sa peau d’albâtre qui possède un charme antique ? Ce n’est pas un hasard si la gente masculine aborde souvent la demoiselle.
Hélas, son rire franc inquiète les hommes, son humour décapant les déstabilise et sa vivacité d’esprit les effraye. Sans doute est-ce la raison pour laquelle Agathe n’a jamais été séduite. Jamais non plus elle n’a éprouvé de passion, à l’exception de celle débordante pour les arts sous toutes leurs formes.
Alors que ses pas traînent sur la vaste place qui rampe jusqu'aux pieds graniteux de l’édifice, la jeune femme s’arrête pour en admirer les flèches.
- Les hommes sont si puissants, songe-t-elle. Ils s’unissent pour accomplir des choses merveilleuses et à côté de cela, ils commettent l’innommable ! Ils s’étripent avec les plus grands raffinements, ils s’empalent dans l’allégresse ! Ils sont prêts à trancher la tête de leurs voisins pour des peccadilles ! Les uns arrachent les yeux des autres tandis que les suivants se bouffent le nez.
- C’est absurde, sans doute est-ce le propre de notre espèce, soupire-t-elle en secouant son chef enflammé de bouclettes. Des bouclettes rousses mais d’un roux plus foncé que les points qui mitraillent sa peau.
Cette courte pause achevée, ses enjambées alertes l’emportent vers son étrange destin.
Deux minutes plus tard, posant ses fesses sur une confortable banquette, Agathe surprend la mine inquiète de « son » garçon de café. Autrefois, le visage de ce dernier étalait un sourire qui annonçait à merveille son langage fleuri et le quadragénaire s’empressait d’apporter des croissants ainsi qu'une grande tasse de café. Aujourd’hui, en glissant le plateau matinal, il ne salue la jeune femme que d’un médiocre « bonjour mademoiselle » au lieu de la gratifier d’un « ma plus jolie cliente » évocateur. De surcroît, il a omis le pamplemousse.
- Eh bien ça alors ! Le félon ! S’indigne Agathe. Le galbe de mes hanches et mon surpoids, il s’en contrefiche ou quoi ? Et moi alors, comment je vais tenir le coup pour les 8 heures de Cloyes ? Si je m’arrête tous les deux kilomètres, le coach va encore m’enguirlander comme si j’étais une vieille morue ramollie !
Ses index et majeur se chevauchent tour à tour. Ses jambes se croisent et décroisent sous la table. Ses lèvres cherchent une grimace appropriée.
- Flûte alors, quel crime ai-je commis ? S’interroge Agathe. C’est mon col roulé et mon jean délavé qui le rendent maussade comme ça ?
Oh ! Elle sait bien que l’autre a un penchant qui frise le déséquilibre pour les décolletés et les jupes fendues.
- Mais toute caricature de macho qu’il soit, se dit-elle, il aurait quand même pu s’apercevoir que je suis allée chez le coupe-tifs et que j’ai acheté de nouvelles pompes ! Des trucs qui coûtent une fortune en plus ! Même d’occase…
Elle croise puis décroise à nouveau ses jambes sous la table. Ses doigts de pieds se trémoussent dans les bottines de cuir.
- Mince alors ! Si les hommes ne remarquent même plus ça, où va-t-on ? Conclut-elle. C'est l’apocalypse qui nous guette !
Le souvenir du reflet qu’elle observait ce matin dans la salle de bain lui traverse l’esprit.
- Et surtout la gonzesse qui me matait à poil ! Reprend-elle. Parce que s’il ne lui ramène pas ce fichu pamplemousse pour prévenir la cellulite, ça va lui tomber au niveau du bassin, à la mère Agathe, c'est sûr ! Déjà qu’elle a des hanches d’hippopotame. Alors là, la grosse cocotte, non seulement elle sera virée de l’équipe, mais en plus, elle deviendra pour l’éternité celle qui tient la chandelle. Personne ne voudra jamais poser ses mains sur son corps de bibendum ! À moins d’aller au Japon se chercher un sumotori ? Non, ce n’est pas ton type. Au train où ça va, tu vas bientôt sentir la grenouille de bénitier !
Ses lèvres se figent un instant.
- Tu ne vas tout de même pas rester vierge jusqu’à quarante ans ! Surtout si tu veux faire des marmots ! Tu les imagines hein ? Ils rentreraient au collège avec une mémère de plus de 50 ans ? Ils auraient honte de toi !
Agathe ne manque pas de remarquer les cernes sombres qui n'embellissent en rien le visage de Phillippon ainsi que ses cheveux ébouriffés et plus gras que d’habitude. Le bâillement impoli que le bellâtre extirpe de ses lèvres semble explicite.
- Il n’a pas dormi, ou si peu, songe notre demoiselle.
- Pardonnez-moi, je ne me suis pas occupé de votre abricot, euh, je veux dire votre pamplemousse. Je reviens tout de suite, dit-il d'une voix morne.
- Bien sûr, suis-je bête, pense Agathe, un voile rêveur couvrant son regard. Les exercices sportifs de ce genre, ça doit laisser des traces…Sauf qu’il n’a même pas pris de douche ! Il sent le bouc !
Oui ! Agathe soupçonne le garçon de café de s'être entiché d’une autre et se figure qu’il a réussi à conclure conformément aux intentions de sa braguette dévergondée.
- Pourtant, pense-t-elle en l’observant repartir d’une démarche accablée, il m’a fait un gringue du tonnerre tout le mois de septembre. Un jour, il a même voulu poser une main sur la mienne, heureusement que j’ai été plus rapide ! Est-ce qu’il aurait trouvé hier soir chaussure à son pied ?
- Tu parles ! C’est plutôt une pantoufle moins exigeante que moi, ou alors moins rapide, corrige-t-elle aussitôt. Mouais, c’est ça, une pantoufle rembourrée juste comme il faut et chaudement fourrée, je parie. Dans une tranche d'âge moins patiente. Une bonne petite bourgeoise en mal de sexe ! Qu’est-ce qu’il m’avait dit hier ? Qu’il se rendait à Châteaudun, au club de kayak ? La secrétaire du club ? C’est ça sans doute. Oui, la secrétaire du kayak ! Un coup de rame à droite, un coup de rame à gauche… Je l’imagine bien, mon navigateur !
La frimousse d’Agathe se tord fugacement.
- Ou alors c’est qu’une autre « ma plus jolie cliente » a cédé à ses avances, soupire-t-elle. Une jeunette qu’il aurait embobinée en lui servant une bonne dose d’alcool ? Oh, mais si ! Il en serait capable, le Phillippon ! Mais quel goujat ! Mon Dieu que les hommes sont bien peu patients de nos jours. Une cour prolongée serait si douce… Où se cachent donc les preux chevaliers qui auraient le courage de monter à l’assaut d’une forteresse féminine pendant des mois, des années même ? Brave Dunois, qu’est devenue ta descendance ! C’en est fini des joutes amoureuses. Tout va si vite maintenant.
La jeune femme fronce les sourcils et marmonne :
- Que ce monde est pressé. Aussi pressé qu’oppressé ! Même les sentiments sont devenus consommables et jetables ! Comme si on les achetait dans un fastfood minable. Mettez-moi un sourire de cheese et une femme burger bien emballée, voilà comment ça fonctionne ! Franchement, c’est n'importe quoi tout ça !
Bien que Phillippon ne fût point à son goût, bien que n’ayant en vérité aucune chance de la séduire, aurait-il persévéré durant des siècles, Agathe est très frustrée que ce défaitiste ait jeté l’éponge aussi rapidement. En effet, rien n’amuse la jeune femme autant que d’être stupidement courtisée, une caractéristique pour laquelle Phillippon s’était montré jusqu'à présent exemplaire.
- Tant pis pour lui, ce scélérat de m’as-tu-vu ne saura pas ce qu’il perd, grogne-t-elle. Il n’aura pas droit à sa leçon de morale.
- Mais au moins, j’en aurai le cœur net, se convainc-t-elle. Je m'en vais lui caresser le museau à ma façon ! Il va voir si je suis une midinette qu’on délaisse dès qu’un jupon moins récalcitrant passe à portée de ses mains baladeuses ! Des mains baladeuses… tu parles ! Des tentacules baladeuses oui !
- Puis je me replongerai sans regrets dans l’étude des vitraux ! poursuit-elle en son for intérieur. Voilà tout ! Ils sont moins transparents que le sexe mâle, mais bien plus fascinants en fin de compte. C'est vrai, un vitrail, c’est bien plus coloré, et il y en a qui sont aussi propices à la fantaisie.
- C’est quand même fou, ça ! s’excite-t-elle tandis que ses doigts pianotent sur le marbre. La plupart des hommes ressemble à une mono cellule qui s’est développée autour de la verge. Ils ne pensent qu’à séduire au pas de course et achèvent leur parade nuptiale à la hussarde ! Non mais vraiment ! Je n’aurais pas dû naître à cette époque, moi ! N’empêche que si je ne mets pas bientôt le grappin sur un beau jouteur assidu, je n’aurai plus qu’à m’enfermer dans un couvent ! Sœur Agathe Petite Poitrine ou Mère Grosses Hanches, ça va être original comme nom de voile ! Ah, ça, ma petite Dannie, elle n’a pas fini de se moquer !
Lorsque le serveur revient avec le pamplemousse salvateur, Agathe, de son regard le plus langoureux, poignarde Phillippon en plein cœur -à moins que ce ne soit en pleine mono cellule-.
- Alors Phillipppounet, dites donc ? minaudent ses lèvres. Vous êtes épuisé ce matin. Pourtant vous ne deviez pas servir hier soir ? En tout cas, vous avez de drôles de cernes ! Remarquez, il y a peut-être de bonnes…
Agathe laisse sa phrase en suspens tant la réaction de son interlocuteur est inattendue. Persuadée d’obtenir un sourire empreint de forfanterie, ce qui aurait confirmé l’origine érotico-sportive de l'abattement du garçon de café et sa mine blafarde, Agathe voit son visage s'enlaidir d'une grimace de peur.
- Ou de dégoût, si ça se trouve, se dit-elle en haussant presque imperceptiblement les sourcils, ce qui suffit à délier la langue bien pendue de Phillippon :
- Oh, mademoiselle. C’est affreux. J’ai passé la nuit au commissariat. Heureusement que je suis innocent, vraiment innocent.
À peine la phrase est-elle achevée qu’Agathe s’empresse de mordre dans une viennoiserie. C’est le seul moyen qu’elle trouve pour stopper son hilarité face à l’autoproclamé « innocent ».
- Ah, se dit-elle, ce n’était pas une pantoufle chaude et rembourrée. Mais un brodequin de cuir. Pourtant, ça doit être bien aussi, le cuir.
- Hier après-midi, qu’ils sont venus me chercher, chez moi, continue l’autre. Vous vous rendez compte ? Ils m’ont cerné, ils m’ont mis les menottes et m’ont emmené au poste sans tambour ni trompette.
Derechef, une envie de rire quasi incontrôlable bouscule les neurones d’Agathe. Son imagination débordante recrée la scène mot à mot. Elle imagine le prétendu malfrat avec menottes, tambour et trompette, et surtout affublé d'une minuscule paire de castagnettes. La demoiselle est même sur le point de répondre que ce sont en l’occurrence ses orbites que la police a cernées, tout de noir. Déglutissant difficilement sa bouchée de pain au chocolat, elle ancre ses yeux dans ceux de Phillippon.