Allouagne ou Du brin, du vert, du blanc, du rouge

koss-ultane

                                              Allouagne ou Du brin, du vert, du blanc, du rouge

     Il était toujours habillé en blanc et traînait dans le jardin par tous les temps. Il prétextait qu’il avait toujours à y faire et que vingt mètres carré c’était déjà un petit domaine, une micro hacienda avec des montures en plastic poly-expansé chevauchées par tous les nains de la famille nombreuse en visite pour la fête nationale, unique entorse annuelle à sa rigueur jardinière, ultime flatterie pour son orgueil couvert de louanges dont il ne remarqua jamais la surabondance suspecte.

     De fait, il avait le gazon le mieux entretenu de toute la France qui compte les poils de cul. Le tour du-dit tapis vert était régulièrement taillé au coupe-ongle. Sans commentaires. Les quelques milliers de brins devaient tous faire seize millimètres de haut et aucune fantaisie florale ou tréflière n’était autorisée. On n’ose imaginer ce qu’il serait advenu d’un nain de jardin dans un tel environnement d’attention amoureuse. Il avait aussi bricolé un peigne à pelouse et un vaporisateur d’eau sucrée qu’il portait en permanence à la ceinture tel un cow-boy de salon de coiffure. Une eau sucrée, aux dosages jalousement gardés, afin de ramener à la raison ou à la rectitude les touffes rebelles ou avachies. La tondeuse était évidemment proscrite. Comment une machine aurait pu avoir la sensibilité artistique nécessaire pour mettre en valeur le génie humain et le miracle naturel ? Le ciseau gradué, qui éradiquait les poussées anarchiques au-delà des seize millimètres du divin sol, était aussi de sa fabrication. Forcément. Le gazon passait l’hiver sous serre plastique et climatisée, entretenant le mythe. Arrosage au vaporisateur dont le bruit de canard enroué aurait fait s’entretuer les chasseurs de la région s’il n’avait été fait de nuit. Comme il se doit. Quand il se savait débarrassé de l’éventuel étau castrateur de témoins gênants, il massait affectueusement le tendre tapis vert avec ses pouces et ses paumes en lui demandant si cela lui faisait autant de bien qu’à lui. Là dessus non plus la faculté n’a pas voulu s’étendre. Aux saisons à forte teneur en sève, le désherbage se devait d’être hebdomadaire et, à la loupe, doublé d’un recensement des dépouilles ennemies une fois l’éradication des végétaux indésirables achevée. Les reconductions d’insectes inconscients à la frontière étaient permanentes mais toujours non violentes sauf port prohibé de mandibules croqueuses d’herbe tendre constaté.

     Une fois, sa mère en visite, et supposée dans le coma d’une sieste implorée, l’avait surpris dans sa sempiternelle tenue blanche avec une mini raquette à la main à jouer à “vingt bleu donne” avec une balle et un adversaire imaginaire, ânonnant les réactions du public avec sa bouche comme l’aurait fait un enfant de huit ans. Il est vrai qu’il n’en avait que quarante-quatre.

     Certains sont à maturation lente et j’t’emmerde !

     Il avait été furieux que l’on interrompit sa litanie de “chmalk” et de “chblok” adverses à un moment crucial du match. C’était drôle de voir cet homme dans la force de l’âge mimer la capture de balles invisibles face à un adversaire du même tonneau sans jamais se baisser. Il feignait de les coincer entre sa tennis à picots spéciaux pour jeu sur herbe sacrée et le court ustensile pour jeu de plage prolongeant son bras et ainsi faire rebondir ces balles indétectables jusque dans sa poche de short à grandes oreilles. Lui qui n’avait jamais fait de sport autrement qu’en marchant jusqu’à la boulangerie.

     Ce pré carré, rectangle de quatre mètres quarante-sept centimètres vingt-et-un millimètres virgule trois de long et de large selon le cadastre, cherchez l’erreur, était si brillamment entretenu qu’on devait l’apercevoir depuis la lune ou n’importe quel vol habité. Le sidérant depuis le sidéral.

     Sur la fin de sa vie, il sortait tous les jours son mobilier de jardin immaculé et le complétait par… lui. Tantôt chaise supplémentaire, tantôt table basse à quatre pattes sur sa pelouse chérie, il restait figé des heures quelque fût l’évolution météorologique du jour bonjour. Evidemment, comme tout bon maître de maison, il ne laissait jamais son mobilier dehors la nuit et ainsi se rentrait-il lorsqu’elle fut tombée.

     Tout le monde craignait qu’il ne se brûlât avec le barbecue mais non. Bonne intuition à demi. Bon mot, mauvais ustensile. On le retrouva sous la grande table en plastoc blanc immaculé avec le pied du parasol le traversant de la barbe jusqu’au cul. Il était mort à l’ombre, assis sur le contrepoids de l’ombrelle assassine, le visage déformé et déformant le fin grillage de la grande table blanche que l’on ne sortait que pour les grandes réunions de famille, sa belle tenue vierge à peine rougie au fondement de son pantalon. Il demandait dans son testament à être incinéré et répandu devinez où ? Bah ! Non ! Même lui était indigne d’y finir l’éternité. On fit descendre ses cendres de corporel lisier en lisière de chef-d’œuvre gazonné. Depuis, héritage houleux oblige, la maison est à l’abandon et quelques villageois usent du jardin comme d’une décharge sauvage à l’envie, à rancune aussi.

     La police a prestement conclu à un suicide. Bien étrange en réalité, comment passer le pied d’un lourd parasol par le trou prévu à cet effet à travers la table si vous êtes dessous assis sur le contrepoids ? Même équipé de bras de gibbon, la manœuvre est impossible. Et quelle chance y a-t-il pour que la pointe du pied d’un parasol vous traverse de haut en bas et aille se ficher exactement dans son logement originel en passant par le vôtre ? Et surtout, qui a ouvert le parasol ? Quant à se glisser sous la table, le parasol déjà en place, fiché dans son contrepoids, afin de se l’engorger jusqu’au tréfonds, l’entreprise ne requiert plus seulement des bras de primates mais aussi la double filiation d’un Houdini et d’une avaleuse de sabres. A l’image du gazon, improbable partie carrée, vous en conviendrez.

     Beaucoup pensèrent que ses frères, préfet et député, avaient la réponse à l’énigme. Surtout depuis que le jardinier farfelu s’était illustré aux informations régionales en encourageant les jeunes et moins jeunes à consommer de l’herbe sous toutes ses formes, des fines aux plus exotiques. Un voisin insomniaque, névropathe et homophobe, fut aussi soupçonné. A l’asile de la région, où ses deux hommes travaillaient, “la stupeur consterna tout le monde” comme le rapporta “L’Allouagne libéré”, la feuille de betterave locale.

     Qu’est-ce qui est pathologiquement le plus inquiétant : se prendre pour du mobilier de jardin ou bien les rois de la terre comme le font tous ses voisins ?

     Rien ne se détache plus sur le vert que le blanc, rien ne se démarque plus dans l’univers que le gland. Il l’avait compris, lui.

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