Amnésie

ellyn

- Lili… ?

Je relève la tête, il me fixe de cet air de détresse que m’adressent la plupart des personnes croisant mon chemin.  Qu’a-t-il ? Je me mets à scruter son visage, observant minutieusement chacun de ses traits à la recherche du problème. Ses yeux scintillent, j’y décèle un étrange mélange d’effroi et de tristesse. Une tristesse sans nom.  Serait-il sur le point de pleurer ? Non, un concept m’affirme que les hommes ne pleurent que très rarement, mais peut-être ceci ne s’applique pas ici. En effet, très rare sont les visages que les larmes n’ont pas souillé. Mise à part ceux des blouses blanches… Mes iris descendent, s’attardant sur sa main délicatement posée sur mon bras. Elle tremble, il a peur. Pourquoi paraissent-ils tous effrayés ? Je ne le comprends guère. Intriguée, j’incline la tête à gauche, tout en ramenant mon regard vers lui, vers son visage, vers ses prunelles noisette. Il ouvre la bouche mais aucun son ne s’en échappe. Son comportement est réellement étrange. Je me demande si cette impression n’est pas du qu’au fait que je ne suis parmi eux que depuis une semaine, je n’ai donc grande connaissances des comportements humain. Où étais-je auparavant ? Je ne saurais le dire. Les hommes qui jouent aux savants avec leurs remèdes et conseils en tous genres appellent cela de l’amnésie. Je n’ai point d’avis tranché sur cela. Il ferme les yeux, respire profondément. Son souci se fait plus visible sur ses traits tirés. Ses yeux sont cernés, gonflés peut-être, et sa peau semble pâle malgré le fait qu’elle soit bronzée.

- Lili, c’est moi. Jared !

Il a rouvert les yeux, je les fixe de nouveau. Peut-être m’apporteront-ils les réponses que je cherche. Qui sait… Fronçant les sourcils, je me mets à réfléchir. Jared… Ce nom ne me dit rien. Ceci est bien malheureux, je sentais l’espoir de sa voix et ne veut le décevoir. Pourtant il n’y a rien que le noir. Un noir sans fin qui recouvre tout, je n’ai aucune idée de ce qu’il se passe. Je le dévisage pourtant, tentant de trouver quelque chose mais toutes ces choses sont vaines. Il n’y a rien. Je pose alors mes yeux sur le sol, mes traits de nouveau détendus, et un sourire exprimant les excuses que ma voix lui aurait transmises. Je n’ai toutefois envie de parler. Le silence est si beau, comment ne pas l’apprécier ? Les humains paraissent constamment éprouver le besoin de le rompre, comme s’il les dérageait. C‘est absurde… Mais ce n’est rien, cette espèce ne sait simplement voir la beauté des choses lorsqu’elle est aussi subtile. Moi je la voie.

- Tu m’avais juré...

Sa voix n’est que murmure, il semble bouleversé. Je veux relever les yeux vers lui mais elle est là, sur sa joue, glissant silencieusement. Une larme… Mes yeux retournent au sol. C’en est trop. Je ne veux le voir aussi malheureux. A la vue de l’anéantissement de cet inconnu, mon petit cœur s’est serré. Il s’est serré fort dans ma poitrine, comme s’il était près à disparaitre. Je ne le connais pas, mais ne peux supporter le voir ainsi… Tout à coup une deuxième main me saisit le bras droit tandis que le contact de l’autre s’est fait violent, douloureux. Je relève immédiatement la tête, croise son regard.

- Tu m’avais juré de ne jamais m’abandonner ! Tu m’avais juré qu’on resterait toujours ensemble quoi qu’il arrive parce que tu m’aimais !! Alors pourquoi ?! Pourquoi me fait tu ça ??!! Ca te plait de me faire souffrir ??!! Vas-y, dis-le !!!

Il me secoue, fort, très fort, et j’ai mal. Pourtant je n’ose détacher mes yeux de son regard. Je n’ai jamais vu autant de colère. Elle est immense, et si effrayante. A ce moment, je ne doute pas que ses mains qui me secouent pourraient me tuer. Mais je le regarde. Il continue à me secouer, fort, et hurle des paroles dont je en saisis plus le sens. Tout est flou. Les larmes coulent en abondance sur mes joues et il continue à me secouer, à hurler, sans s’arrêter. D’autres voix arrivent, je suppose qu’elles lui demandent de se calmer mais je ne les perçois pas clairement. De nouveau bras m’arrachent à lui, je suis projetée hors de cette guerre. Pourtant je le regarde encore. Lui aussi pleure, mais son chagrin qui me tétanise depuis le départ, n’est exprimé que par la violence. C’est de ma faute. Ma faute. Ces derniers mots résonnent dans mon esprit tandis que je reste là, immobile, à les regarder l’emmener. Ils sortent tous, mes yeux le suivent encore dans le couloir, ils l’observent se démener et restent ensuite fixés à l’endroit où il a disparu. Ma faute. Je le fais souffrir, je suis un monstre. Jamais je ne pourrais oublier ce visage torturé. Les blouses blanches disent que je suis traumatisée. Ils racontent que l’on a tué mon petit frère sous mes yeux innocents, ils racontent que l’on a assassiné mes parents devant mes yeux horrifiés, ils racontent que l’on ma violé, à de nombreuses reprises. Ils disent que tout cela m’a traumatisé, je n’en garde pourtant aucun souvenir. Ce visage cependant, ce visage je sais qu’il me sera totalement impossible de l’oublier, quoi qu’on en dise. Je ne sais combien de temps je suis restée ainsi. Longtemps… Les larmes se sont arrêtées de couler, mes yeux fixent toujours ce couloir où il a disparu. Je me détourne alors et m’avance légèrement vers la fenêtre. Je ne pleure plus, ma décision est prise. Rapidement mes yeux balayent les arbres du petit jardin comme il est dans mon habitude. Ma seule occupation répétée une dernière fois... Puis j’ouvre la fenêtre, la faisant glisser en douceur. Mes pieds nus viennent trouver le rebord, j’observe le vide. Je ne sais trop à quel étage se trouve ma chambre, assez en hauteur il semble toutefois. Lorsque j’avais demandé qu’une fenêtre me soit allouée en raison de la passion que je nourrissais à l’observation du paysage, on me l’avait accepté. Ils disaient que je n’étais pas dangereuse, que je pourrais par ailleurs sortir assez tôt, laissant juste le temps à mon esprit "d’accepter" ce que j’avais subit. Il est bien peu probable qu’ils aient pensé me voir sortir aussi vite, et de cette façon… Je ferme les eux mais redresse le menton, à présent debout sur le rebord. Une brise vient chatouiller ma peau pâle. Je laisse alors mon corps glisser vers l’extérieur, vers le pavé où il s’écrasera quelques mètres plus bas…

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