AMOUR FANTAISIE
Brune Silence
Synopsis – Amour Fantaisie
Quand Louya s’étire au matin, c’est la volupté qui surgit d’entre ses draps froissés.
Elle a vingt cinq ans et se moque du reste.
Elle ne fait rien.
Elle dépense les derniers sous destinés à ses études sans penser à l’avenir.
La vie est trop courte.
La vie est pleine de plaisirs.
La vie n’est pas sérieuse. Et tout y est bêtement éphémère.
Amitié, couples, mariages, haines, ententes, admirations, rancunes, rêves, guerres, paix, plaisirs, douleurs, tristesses et joies, tout passe et rien ne dure, alors à quoi bon s’obstiner ? La vie ne la rendra pas meilleure et elle ne rendra pas meilleur le monde, elle le sait.
Elle ne croit en rien.
Elle n’a pas d’attaches, pas d’entraves.
Elle est comme un papillon qui naît chaque matin et meure un peu chaque soir ayant accompli toute une vie en un jour et recommence.
Elle est à peine humaine.
Elle commence à en avoir conscience.
Les passions, les combats, les intérêts, les ambitions, les abattements, les manipulations et les leçons de morale de tous ceux qu’elle connaît, qu’elle a connus, lui semblent vains, vains et mesquins, mais surtout illusoires.
Elle en est la preuve vivante puisque partout où elle passe elle sème le chaos dans les relations les plus stables, puisqu’elle n’a derrière elle qu’un cortège de rancunes, de passions déchirées, de colères, de rages, de jalousies.
Mais elle ne se sent pas coupable. Elle n’y arrive pas. Elle ne se sent pas redevable non plus. Son cœur est pur.
Mais son cœur n’a jamais battu pour de bon. Ni de peur, ni de manque, ni d’espoir.
Alors elle se distrait sans rien attendre.
La vie est amusante parfois, même si Louya n’est pas dupe. La vie est une comédie où chacun joue son rôle – oui, parfois, elle paraphrase Shakespeare- elle se sait personnage d’une histoire sinon rien n’a de sens. Quelqu’un écrit au fur et à mesure qu’elle agit, elle le sait, elle est une héroïne. Une héroïne qui ne laisse pas facilement guider ses actes, une héroïne qui échappe souvent à la narratrice. Une héroïne qui se moque de l’auteur et ses inventions. Un drôle de personnage qui ne se laisse pas faire, par trop de lucidité.
Oui la vie est un roman.
Mais parfois, la vie fait aussi des erreurs.
C’est ainsi qu’elle reçoit un appel qui ne lui était pas destiné et elle se rend au rendez-vous donné par l’inconnu, prête à jouer le rôle d’une autre, le rôle d’une fille normale ou presque, une fille vénale, manipulatrice, intéressée, aguicheuse et perverse, séductrice et cartésienne, calculatrice et tarifée : une hôtesse embauchée pour agrémenter la signature d’un contrat.
Cela ne lui paraît pas irréalisable, au contraire, elle sait le désir qu’elle provoque où qu’elle passe, son impudeur, son naturel et sa sensualité qui dérangent ou détournent si facilement ses rencontres.
Il n’y a qu’avec Yves, cet inconnu que rien de fonctionne. Il la jauge comme on évalue un objet et reste insensible à ses charmes, pire, il la méprise gentiment pour ce qu’elle est censée être : une sorte de prostituée de luxe.
C’est un cas, ce type.
Tous les hommes, et même parfois les femmes, et même les gays, frémissent à son approche. Lui non.
Pourtant elle réussit avec brio la soirée : Sa culture et son aisance servent totalement le but d’Yves, architecte décorateur, qui a organisé cette soirée dans le but de décrocher un contrat en millions, auprès d’un prince qatarien pour l’aménagement intérieur d’un palais en plein désert.
Au point que le prince réclame la présence de Louya là-bas, au Qatar, pour les travaux.
Elle va donc s’y rendre avec Yves, présence imposée qui le contrarie.
Elle s’en amuse d’abord, puis quelque chose comme de l’orgueil commence à naître en elle, un orgueil qui va se transformer en désir de posséder le cœur de cet homme qui lui échappe.
Un homme étrange, au passé intraçable, qui semble moins bien connaître qu’elle le domaine de la décoration et qu’elle suspecte bientôt de vivre lui aussi sous une fausse identité.
Un homme que rien ne semble émouvoir.
Un homme sans sens morale.
Son alter ego masculin.
Un couple étrange va se former, se révéler l’un à l’autre au fil de l’aventure.
Un lien unique et sans scrupules au pays des femmes voilées, de l’argent et du pouvoir.
AMOUR FANTAISIE
Chapitre 1
Mon amour
Mon doux, mon tendre, mon merveilleux amour,
De l’aube fraîche jusqu’à la fin du jour
Je t’aime encore, tu sais
Je t’aime
J. Brel
La chanson des vieux amants
C’était une nostalgie sans souvenirs. De vieil amant, elle n’en n’avait pas. Mais elle s’imaginait avec délectation vivre une si longue histoire. Un amour qui survit au temps, aux tentations, aux défaillances. Un amour qui résisterait même à la vie commune ! Et à l’habitude ! Et aux rancunes qui l’accompagnent inéluctablement. Un vieil amant ! C’était de ça dont elle rêvait au fond, un être dont elle connaîtrait chaque parcelle de peau et de caractère, des plus brillantes jusqu’aux plus obscures, des plus nobles jusqu’aux plus misérables et qu’elle continuerait à aimer malgré toutes les illusions et les désillusions. Je pardonnerai, dit-elle avant de se reprendre et de rajouter : Je lui ferai payer, mais je pardonnerai car mon cœur sera sans limite.
Elle essuya une vague larme au coin de sa paupière émue par la grandeur de son propre cœur. Le miroir de la salle de bain lui renvoyait l’image d’une femme jeune, jolie, bien faite, le regard bleu cendré un peu plus lumineux que d’habitude à cause de l’émotion qu’elle venait de ressentir. Qu’un homme m’émeuve autant que cette chanson et je l’épouse tout de suite, se dit-elle.
Elle se serait voulue vieille, sa vie faite, la tête remplie de souvenirs et la parole pleine de certitudes. Son corps ferme et plein et cette santé éclatante, ces formes rondes, cette peau légèrement cuivrée, sans défauts la dégoûtaient. Si mes seins pouvaient tomber un peu, mon ventre se bomber, mes hanches s’élargir, je reconnaîtrais alors celui qui m’aime pour de bon ! O si j’étais un peu plus mal fichue !
C’était la sensualité de son corps, la pureté particulière de son visage, la douceur de sa peau, le timbre un peu rauque de sa voix qui étaient la cause de tout. Toutes mes amies sont maintenant en couple et pourtant, j’ai toujours été plus belle qu’elles, alors ? « De quelles amies est-ce que je parle ? » dit-elle à voix haute en sortant de sa salle de bain. Il ne lui en restait plus une seule. Elle s’était brouillée avec toutes. Etait-ce sa faute si, dès qu’elles avaient le dos tourné, leurs maris, leurs amants lui murmuraient des désirs à l’oreille et flattaient la courbe de ses reins ?
Les beaux amoureux ! Dès qu’une fille un peu plus jolie passe, ils les oublient ces chères amies, et les trompent sans remords !
Elle s’était approchée de la fenêtre, avait saisi en passant une cigarette dans un paquet qui traînait sur le guéridon (Qui l’avait oublié là ?) et elle s’était mise à fumer en regardant de ciel pâle par-dessus l’immeuble de l’autre côté de la rue. Elle était nue mais cela ne la dérangeait pas.
« Tu es impudique ! » était un reproche qu’elle pouvait ajouter à la liste que lui avait dressé au cours des années passées toutes ses soi-disant amies. Oui, elle l’était impudique. Je n’ai pas honte de montrer mon corps, c’est vrai, excusez-moi de ne pas avoir honte, et j’aime me promener nue ou très légèrement vêtue. Je n’ai pas froid. Je n’ai jamais froid. Excusez-moi de ne pas avoir froid. Et je n’ai pas vraiment de tabous, ni de complexes, je l’avoue, excusez-moi de ne pas avoir de complexes…
Faudra-t-il que je m’excuse toute ma vie de tout ce que je suis ?
Elle ouvrit la fenêtre, jeta sa cigarette sur le trottoir cinq étages plus bas et alla s’affaler sur le canapé.
« Bien sûr nous eûmes des orages
Vingt ans d’amour, c’est l’amour fol
Mille fois tu pris ton bagage
Mille fois je pris mon envol… »
Les hommes qui avaient pu compter pour elle se mirent à défiler dans sa mémoire. Certaines histoires avaient duré, parfois sur plusieurs années, par éclipses, par intermèdes, se chevauchant les unes les autres si bien qu’elle ne pouvait dire pour aucune d’elle : c’était l’époque où j’étais avec lui !
« En fait, je ne suis pas fidèle ! » dit-elle à haute voix comme si soudain elle en avait la révélation. Ce doit être ça le fond de ma nature ! Je ne peux pas rester fidèle à un homme ! Peut-être un homme que j’aimerais vraiment ? Mais aucun des portraits qu’elle gardait en souvenir ne faisait vraiment battre son cœur, ni ne l’avait jamais fait. Je n’ai jamais été amoureuse en fait… peut-être que cette chose-là n’est pas pour moi… peut-être que cette chose-là n’existe même pas vraiment ?...
En fait, elle en avait des vieux amants : des dizaines et plus encore, de tous âges, de tous milieux, de toutes tailles. Mais sa passion, ses désirs, ses envies vieillissaient en général très vite, après quelques soirées, quelques nuits, quelques ivresses… Oui, pour moi l’amour ne dure que le temps de l’ivresse et je dessaoule très vite.
Elle avait fini par s’habiller d’une tunique en partie transparente sur un jean qui lui faisait comme une seconde peau et elle était sortie de l’appartement en claquant la porte joyeusement. Le moment de nostalgie était vite passé. Il faut vaincre le mal par le mal ! dit-elle en dévalant les marches. C’était l’un de ses leitmotivs favoris. Quand le vin est tiré, il faut le boire ! en était un autre. Un con chasse l’autre ! était son préféré.
En général, s’interroger sur son présent ou sur son avenir ne la fatiguait pas très longtemps. Elle s’en lassait rapidement. Et puis elle avait l’esprit de son âge : à vingt-cinq ans on a tout l’avenir devant soi.
- Même si moi j’ai déjà démoli une bonne partie de mon passé ?
- Pourquoi est-ce que tu dis ça ?
- Si je fais le bilan honnêtement, je suis fâchée avec mon père, ma mère et presque l’ensemble de ma famille et je n’ai pas une amie de plus de quelques mois dans mon répertoire, quand aux mecs, on en a déjà parlé. Et si on veut parler un peu d’avenir : Je survis grâce à l’argent que je devrais employer pour mes études et dans un an je n’aurais plus rien. Dans moins d’un an d’ailleurs, à l’allure où je dépense. Et alors qu’est-ce que je deviendrai ?
- Tout ça va s’arranger avec le temps… Les gens finiront par te pardonner et tu trouveras…
- Rien du tout ! Je crois que je sèmerai partout le désordre où que j’aille. Je ferai toujours scandale, tu sais ?
- C’est pour ça que je m’intéresse à toi.
- Ma vie n’est pas très palpitante.
- Elle le deviendra, fais-moi confiance, elle le deviendra très vite.
- C’est vrai ? Raconte…
- Je me remettrai à raconter si tu veux bien bouger de cet escalier et aller à ton rendez-vous.
- Je ferai comme vous voudrez, me dit-elle, et elle m’envoya un baiser du bout des doigts et poursuivit sa descente.
Cela m’avait tellement surpris qu’elle m’adresse la parole que je n’avais pas réagi immédiatement et que je lui avais répondu comme il m’arrive de dialoguer avec mes personnages, le soir, très tard, quand l’inquiétude me prend. Je l’ai rattrapée juste avant qu’elle ne franchisse le porche de l’immeuble.
- Louya ! Attends ! Une seconde ! Comment se fait-il que tu me parles directement ? Ça ne se peut pas. C’est absurde. Comment peux-tu ? Et comment savais-tu que j’étais là à t’observer ?
Elle émit un petit rire tonique.
- Je t’ai sentie dès que tu es venue jeter un coup d’œil dans ma salle de bain. Mais je savais que tu viendrais depuis longtemps, depuis l’enfance en fait. Je me suis toujours dit que la vie ne pouvait se résoudre à n’être qu’un passage fugace, qu’il fallait bien que je laisse une trace. Au fait, je te plais ?
Et elle tourna sur elle-même oubliant que j’avais eu tout le temps d’admirer sa plastique quelques minutes plus tôt.
Cela m’ennuyait terriblement. Mes personnages n’ont pas à savoir que je suis en train de les écrire. Cela déroge à toutes les règles de l’art romanesque ! Un suicide, un véritable suicide littéraire ! J’ai eu la tentation de déchirer mes pages et d’aller boire trois vodkas au bar qui fait l’angle et oublier cette Louya De La Iglesia qui soudain changeait toutes mes habitudes et venait m’adresser la parole en plein récit.
- Cela n’est pas possible, Louya, je suis désolée, je ne vais pas pouvoir continuer.
- Ah non ! Vous ne pouvez pas m’abandonner comme ça ! Déjà que, si je n’avais pas cette bonne nature, je serais désespérée de m’être aperçue que l’amour n’est pas pour moi, pire qu’il n’existe même pas ! Que tout ça n’est qu’un mot sur des petits arrangements pour effrayer la solitude ! Alors venir me planter là !
- Mais je ne peux pas écrire ton histoire si tu sais que je suis en train de l’écrire. Parce qu’alors tu n’agiras pas normalement. Je veux dire que tu vas te sentir obliger de faire ou de dire des choses extravagantes juste pour que je te trouve intéressante ! Moi, je veux que tu sois vraie.
- Et si je promets de vous oublier ?
- Non non, c’est impossible, je suis désolée, adieu Louya. C’est dommage…
- Non, attendez ! Ne partez pas ! Je vous en prie !
A ce moment la minuterie du porche la plongea dans le noir. Je l’entendis encore supplier quelques secondes, puis elle me traita de tous les noms et disparut dans la lumière solaire de la rue.