Etudes de genre
Elio Vidal
Synopsis
Prologue. Léa est une étudiante en journalisme pleine d'envie de vivre. Elle sort avec Jean, un garçon plutôt médiocre. Elle a un colocataire, Fred, son meilleur ami, homosexuel. Et une meilleure copine, Marie, jeune fille un peu superficielle, belle et ambitieuse. A une conférence improvisée, Léa rencontre une jeune et fascinante anthropologue américaine, Sibylla. Elle se passionne soudain pour les théories néo-féministes.
2. Léa commence à fréquenter le centre de recherche en « études de genre » dont fait partie Sibylla. Elle intègre le XY, groupe militant relié, et essaye d’y introduire aussi Fred et Marie qui n’éprouvent pas la même fascination : Fred est trop occupé à courir derrière des hommes « trop beaux » et Marie à l’inverse ne sait pas comment se défaire de tous ces « mecs trop relou » qui la poursuivent. Son copain Jean la snobe.
3. Léa investit toute sa frustration sentimentale dans des actions militantes anti-machos organisées par Sibylla. Son copain Jean n’apprécie pas que Léa lui ordonne de faire la vaisselle et refuse d’aller boire des bières avec ses potes. Jean propose alors à Léa « un couple libre ». Il fait allusion à une brune pulpeuse « trop bonne et super intelligente » dont on se demande si elle existe vraiment, ou si elle n’est pas juste une invention destinée à rendre jalouse Léa. Mais Léa accepte l’idée d’un couple libre, mais elle est terriblement jalouse.
4. Léa néglige son école de journalisme et ne s’occupe que de théories féministes et de militantisme au XY. Elle se fâche aussi avec son amie Marie. Marie, elle, a enfin trouvé le bon mec : son maître de stage, M. De Lamard. Non seulement il a de la prestance, mais il est cadre du magazine trash-chic le plus en vogue, POU-BELLE, où Marie rêve de décrocher un poste. De Lamard est connu dans le milieu de la presse pour ses chroniques politiquement incorrectes et mysogines. Quant à Fred, il n’est là qu’une nuit sur deux, entiché d’un bellâtre suédois rencontré sur Gayromeo. Enfin, Léa, croyant avoir surpris Jean avec une blondasse, est en plein égarement sentimental. Léa se laisse alors séduire par Sibylla, la fascinante anthropologue.
5. Léa et Sibylla : c’est une passion soudaine et incontrôlable, au goût d’interdit. Fred, complètement dépité par le départ de son Suédois, se laisse consoler Goran, un ami slave de Sibylla. Quand Léa avoue à son petit ami Jean qu’elle sort avec une fille, c’est la fin définitive de leur couple.
6. De plus en plus épanouie dans sa nouvelle vie, Léa dirige avec Sibylla, Goran, et Fred (entraîné malgré lui), le groupe d’action XY dont les actions se radicalisent : la guerre des genres est ouverte dans les universités, les lieux publics et les médias.
7. Le groupe XY prépare une action d'envergure : occuper la revue POU-BELLE, social-symbol du machisme institutionnalisé en art de vie. Pour cela, Léa emprunte à Marie en cachette les clefs des bureaux de POU-BELLE et en fait faire une copie. Mais l'arrivée soudaine à Paris, de Nicky, l'ex de Sibylla, un éphèbe new-yorkais, jette la confusion dans le couple Léa-Sibylla. La relation Léa-Sibylla vire au psychodrame. Léa découvre que Sibylla est encore amoureuse de cet ex, Nicky, un garçon vague et lunatique. Sibylla avoue désirer une relation à trois avec elle et lui. Léa, bouleversée, préfère rompre. Mais Sibylla veut la garder et la menace à son tour de briser le couple entre leurs meilleurs amis, Fred et Goran, en révélant à Fred la conduite de Goran, qui n'a en fait jamais renoncé à ses amants.
8. Le jour J arrive et Léa et Sibylla décident d’étouffer momentanément le drame. Le groupe XY, Sibylla-Nicky-Léa-Fred-Goran et quelques acolytes, occupe à l’aube les locaux POU-BELLE, le jour même où la rédaction du journal doit boucler le numéro. Le matin Marie, première arrivée aux bureaux, découvre sa meilleure amie Léa barrant l'entrée. C’est le clash entre les deux ex-meilleurs copines. La tension est à son comble. Sibylla risque à tout moment de briser le couple entre Fred et Goran, si Léa ne lui promet pas d’assouvir tous ses désirs.
10. Des journalistes arrivent. Quand le patron M. De Lamard arrive, il menace d'appeller la police. Le groupe XY se scinde. Nicky ne comprenant même pas très bien ce qui se passe, se dégonfle, et entraîne avec lui une partie du groupe. Il ne reste plus que les protagonistes. Marie essaye malgré tout d'arranger les choses. Après tout ce sont ses amis et Lamard est son petit copain. Mais Lamard soupçonne Marie d'être complice de ses amis et de l'avoir séduit pour le plomber. Face à de telles accusations injustifiées, Marie avoue à Lamard ne sortir avec lui que pour le poste, elle sait qu'en réalité il est gay. Elle avoue sortir en même temps avec Jonathan, le petit mec-à-tout-faire de la boîte. La police arrive. Lamard, furieux, leur ordonne d’intervenir. Mais le groupe de Léa et Sibylla s’enferment à l’intérieur des bureaux et prennent l’équipe de la rédaction en otage. La situation se fige en une guerre d’usure. Quelques heures plus tard, la nouvelle tombe comme un couperet : suite aux premières fuites, la société POU-BELLE a été entraînée dans le gouffre et risque de faire faillite. Sous le choc à cause de ce double traumatisme, Lamard se jette par la fenêtre.
Epilogue. On a oublié qu’à l’étage d’en-dessous il y avait les terrasses plantées d’une prestigieuse entreprise de design paysager : Lamard en se jetant ne fait que s'égratigner sur les massifs. Mais le choc bouleverse tous et a provoqué la fin du blocage. Enfin tout s'est arrangé, ou presque. Sibylla a demandé pardon à Léa. Nicky s'est à nouveau évaporé, reparti à NY. POU-BELLE n’a pas fait faillite mais s'est reconverti en webzine sous une nouvelle direction. Lamard, décrédibilisé, a quitté son poste et fait son coming-out publique. Marie a renoncé à ses ambitions carriéristes. Elle a redoublé son master et sort officiellement avec Jonathan, l'ex jeune mec-à-tout faire, maintenant photographe et webdesigner pour POU-BELLE, avec qui elle est très heureuse. Fred et Goran envisagent d’émigrer et de se marier en Espagne. Sibylla et Léa décident de partir ensemble faire un aventureux voyage d’études.
*
Début du roman.
Dimanche soir. Le Frog était bondé de mecs debout, les yeux rivés sur les écrans. Léa trouva à peine un coin où se poser. Les coudes lui arrivaient au niveau de la tête. Quelqu’un lui renversa de la bière dessus ; elle renonça à se plaindre, de toute façon on n’entendait rien : les télévisions étaient plein volume et tous criaient comme des malades dès que la balle se rapprochait des buts. C’était vraiment une bande de cons, pensa Léa ; pour la énième fois de sa vie, elle éprouva une haine immense envers le genre masculin.
Elle fixa Jean, son amoureux : c’était un mec brun, ni grand, ni petit ; il portait un sweat à capuche zippé et un jeans un peu large, usé ; il matait l’écran avec passion et buvait sa pinte. Léa pria : « regarde moi, regarde moi, regarde moi ». Un simple sourire aurait suffi, un regard, même un hochement de la tête. Elle n’espérait rien d’autre. Mais Jean l'ignorait. Il était comme hypnotisé. Léa sortit du bar sans que Jean ne le remarque. Une boule dans la gorge, elle fuma plusieurs cigarettes devant le bar, en évitant de croiser le regard insistant des fumeurs.
Le match se termina. Jean était maussade : son équipe avait perdu. Pour se consoler il avait continué de boire. Il avait promis à Léa qu’après le match ils iraient boire un verre en tête à tête et avait comme d’habitude immédiatement oublié. Ils rentrèrent chez Léa se coucher. Jean sentait la bière, la cigarette, et la sueur. Il commença à la déshabiller. Pour ça, il était impeccable. Et rapide : il dura à tout casser une minute trente. Puis il s’essuya avec un kleenex, et se retourna en tirant la couette et ils s’endormirent dos à dos.
Le lendemain matin, Léa se réveilla en frissonnant : pendant son sommeil Jean s’était emparé de toute la couette. Il décuvait paisiblement, la bouche ouverte, pelotonné dans la couette deux places. Elle se leva et prépara du café. Il n’y avait à manger qu’un vieux fond de céréales ; elle alla chercher des croissants à la boulangerie. Dehors il faisait froid. En remontant Léa se rendit compte qu’elle avait oublié les clefs. Elle sonna à la porte. Personne ne répondit. Elle sonna encore. Personne. Elle trépigna dans le froid et garda le doigt appuyé sur la sonnette. Enfin Jean répondit à l'interphone, la voix pâteuse.
A l’étage, la porte était entrouverte. Jean était allé se recoucher. Gênée par un sentiment visqueux, elle prépara le café. Il vint enfin s’assoir dans la cuisine et grommela : « t’aurais pu prendre les clefs ». Elle ne répondit rien. Etait-il déjà allé chercher des croissants un matin ? Jamais. Jean alluma une cigarette. La cuisine fut enfumée en un instant, et Léa dut ouvrir la fenêtre, laissant pénétrer le froid dans toute la pièce. Jean fumait beaucoup ; elle s'était habituée à l'odeur de tabac mélangée à l’after-shave acheté chez Franprix mais ce matin son odeur lui sembla insupportable.
La porte d’entrée s’ouvrit à nouveau : « Saluuut les filles ! », cria Fred en déboulant dans la cuisine. Sa chemise D&G était peu froissée, il avait des cernes et des cheveux ébouriffés, mais il était encore pimpant. Il avait passé la nuit dehors, sûrement au Queen. Il sauta au cou de Léa, puis se jeta sur Jean qui essaya de l’éviter, et fut obligé de lui faire la bise. « Mmm… mais tu piiiques », cria Fred d'une voix suraigue, en clignant de l’œil vers Léa, qui détourna le regard, agacée. Fred ne pouvait pas s’empêcher de sur-jouer son rôle d’homosexuel affolé par la présence d’un autre homme dans la même pièce.
« Bon, je crois que je vais y aller », fit Jean. Il se leva. Léa voulut le retenir. « Je crois que je vais y aller », répéta Jean machinalement. Il n’était même pas bougon, juste apathique : c'était encore pire. Dès qu’il fut parti, Fred s’exclama : « Dis-donc, ton mec respire la joie de vivre ! Non mais Léa, j’sais pas comment tu fais à supporter ce type, Léa, fran-che-ment, tu vaux mieux que ça, dix-mille-fois-mieux que ça, blablabla ». Léa coupa court : « Je n’ai pas le temps de discuter de ça, chouchou : au moins, j’ai un copain, moi. » Fred, mouché, se tut. Il but son café en silence. Léa se mordit les lèvres mais ne dit rien pour amortir le coup. Il était dix heures du matin. Fred posa sa tasse vide sur la table et alla se coucher.
*
A quatorze heures, Léa sortit pour aller en cours. Elle fréquentait un cours de journalisme. Dans le bus, elle se surprit à espionner un inconnu. Il était blond, aux yeux bleus, fluet, il avait l’air rêveur. Puis un autre, brun, frisé, et plus costaud. Il avait un cul magnifique. Enfin un dernier, poivre et sel, costar. Sous ses airs rangés devait sûrement se cacher une bête de sexe. Décidément, tous ses inconnus avaient un charme … un charmet totalement inexplicable... et pourquoi Jean, lui, non ?
Léa abandonna ses rêveries. Elle était arrivée à l’université. Aujourd’hui elle devait assister à un cycle de conférences nullissimes sur les sciences humaines données par des « professeurs émérites » (lire : vieux schnock). Elle s’assit dans l'amphi à moitié plein et se sentit elle-même tout à fait vide. Elle n’éprouvait plus aucun intérêt pour les études ; elle rêvait seulement de décrocher son diplôme et avoir un job dans un journal. L’arrivée de Marie, sa meilleure copine, la déprima encore plus.
Annoncée par un halo entêtant d'un parfum Chanel et par un claquement de talons qui retentissait à trois kilomètres à la ronde Marie fit son entrée dans l’amphi comme un mannequin sur un podium. Elle fit rapidement la bise à Léa, et enchaîna : « Tu remarques rien ? ». « Tes cheveux ? » demanda Léa, perplexe : « tu t’es faite une couleur ? ». « Mais non », gazouilla Marie, en faisant bouffer ses cheveux blond platine, « c’est juste le soleil … c’est que j’étais à Marrakech la semaine dernière. » « Ah oui, c’est pour ça que tu n’es pas venue en cours ? », fit Léa. « Ouais, je sais, c’est pas bien… mais c’est teeellement chiaaant… » dit Marie en traînant les syllabes finales, « les cours sont trooop nuuuls… j’avais besoin de faire un breeeaak… et puis mon nouveau copain avait un congé... alors on est partis une semaine… ». Marie fit une pause - histoire de voir l’effet sur Léa - et enchaîna à nouveau : « Et tu remarques rien, rien d’autre ? » « Si, t’as une jolie robe », « Ah oui, merci ! » dit Marie avec nonchalance ; « c’est Balenciaga, je l’ai eue à une vente privée ».
Léa soupira. Elle n'avait plus envie de parler. Elle ouvrit son net-book et chercha un réseau wi-fi disponible. Et zut, elle n’arrivait pas à se connecter. Son professeur prit la parole : suite à un problème de transports, le conférencier ne pourrait pas être présent. Dans l’amphi plana un moment d’incertitude. Décidément c'était pas sa journée, pensa Léa. Le prof proposa de saisir l’occasion pour improviser et inviter à parler une universitaire américaine. La femme en question monta donc sur l’estrade. Elle commença par se présenter avec grande simplicité. Elle s’appelait Sibylla, elle avait étudié à Berkeley, à Cambridge. Elle était « invited professor » à Paris. Elle était étonnemment jeune et bien habillée, d'un simple pantalon et gris clair et d'un chemisier blanc. Elle s’excusa pour son français hésitant et pour son improvisation ; surtout s’il y avait des questions qu’on n’hésite pas à les poser. Elle parlerait d’«anthropologie du genre ».
Au lieu de se ratatiner sur sa chaise et de postillonner sur son micro comme fait tout prof émérite qui se respecte, Sibylla se leva et se promena sur l’estrade, en projetant une série de photographies splendides qu’elle avait elle-même réalisé en voyageant aux quatre coins du monde. C’étaient des portraits de femmes des quatre coins du monde, pris sur le vif. Léa resta scotchée. Imaginer Sibylla, cette jeune universitaire compassée et bien habillée, s'aventurant sur les montagnes du Népal ou dans la foret amazonienne était surprenant. Elle avait en elle comme un double fond. En sortant de l'amphi, Marie commenta : « Ces histoires de femmes malheureuses… c’est dé-pri-mant. De toute façon le reportage humanitaire c’est pas trop mon truc. Mon rêve c’est une rubrique sur Vogue. »
Léa rentra et se précipita dans la chambre Fred pour lui raconter la conférence. Fred était étendu sur son lit, devant son PC portable. Sur l’écran défilaient des photographies de garçons dans des poses provocantes. « Mais qu’est-ce que tu fais ? » « Comme tu m’as si bien remarquer ce matin, je suis célibataire, et j'essaye de ne plus l'être ». Léa, emportée par l'enthousiasme, avait totalement oublié la gaffe du matin. « Et tu crois vraiment que tu vas trouver l’amour sur Gayromeo ? ». « Dis tout de suite que je suis un cas désespéré », rétorqua Fred acide. Léa s'assit sur le bord du lit. « Excuse-moi Fred… ce n'est pas ce que je voulais dire... C’est Jean qui me met sur les nerfs. Tu sais, je n’en peux plus. En ce moment ça ne va pas du tout… Je crois que je ne le supporte plus. Non je ne supporte plus les mecs. ». « Ah ouais ? » fit Fred, distraitement, en matant une photo : « Pas moi… Mais j’vois c’que tu veux dire... Si les mecs te dégoûtent, tu n’as qu’à te mettre aux filles, j’te l’ai toujours dit que tu serais mieux avec une nana. »