Amoureuse

Rébecca Brocardo

mais pas comédienne

   Je me suis forcée à reprendre la conversation avec mon histrion, avant que la scène ne se mette à tanguer trop fort. Ton sourire continue de me hanter chaque jour… Ah, Raphaël, c'est moi, ta Pauline ! Pourquoi tout le monde me voit sauf toi ? Ou bien est-ce une erreur de le croire ? J'ai si mal que ça ne peut qu'être vrai. Mes espoirs s'amenuisent comme une peau de chagrin sans qu'aucun de mes vœux ne s'exaucent. Tu marivaudes au sein de ta petite troupe, tu n'es jamais seul, c'est insupportable. J'ai débarqué derrière toi, mimant l'air de la fille occupée, quand tu as saisi mon bras :

–   Hé, toi ! Arrête de jouer les coups de vent !

   Savais-tu ? C'est toi qui ne me vois pas d'habitude, tu quittes un endroit quand j'y arrive. J'ai touché ta peau, douce comme un baiser ; tu me parlais comme si on se connaissait depuis toujours, l'air désinvolte, en soufflant négligemment la fumée d'un joint.

–   Alors, Pauline, que fais-tu à cette heure ? T'es interne ?

–   Je ne fais que passer… j'avais des devoirs.

–   Quelle classe ?

–   Sciences et techniques.

–   C'est facile ça, tranquille ! Tu pourrais prendre une année sabbatique !

–   Et rester un an de plus dans ce cloaque ? Non merci.

–   Ha ! Tu es dure, mais tu as raison. Viens, reste à l'internat ce soir ! C'est le luxe, salon, resto…

   Tandis que tu te détournais un peu pour aspirer une latte à pleins poumons, je ne pouvais pas ne pas voir la détresse sous tes yeux rieurs.

–   C'est le spleen ?

–   Oui ma belle, c'est le spleen… C'est même bien plus ancien que ça.

–   Comment ça ? À quoi tu penses ?

–   À un sonnet de Saint-Amant : « Non, je ne trouve point beaucoup de différence, de prendre du tabac à vivre d'espérance, car l'un n'est que fumée, et l'autre n'est que vent. »

–   C'est…

   J'ai eu le souffle coupé. Je n'ai pas su quoi répondre, tu te suffisais à toi-même. Les gens se dispersaient autour de nous. Tu es resté un moment absent, ton sourire avait quelque chose de blessant. De maudites notes de blues dansaient dans ma tête.

–   Je ne sais pas si ce sont les cours qui font déprimer tout le monde… ne sois pas fâchée, Pauline !

–   Pas du tout, j'aime le lycée.

   Imposteur. Derrière ton sourire d'ange, l'exterminateur des cœurs.

   Quand on a laissé échapper une partie de soi devant quelqu'un, on pourrait penser qu'on est lié un peu plus intimement avec cette personne. Mais pas Raphaël. Au contraire, il s'éloigne de plus en plus. Chaque dialogue est comme une dernière faveur qu'il me donne. Je ne peux pas le retenir, je doute trop de moi-même pour croire que ce genre d'homme puisse m'aimer. J'ai la gorge nouée. Trop de mensonges. Je ne devrais pas faire semblant. Je ne suis pas cette fille, je ne suis pas intéressante, je ne supporte plus ce bahut.

   Tant d'histoires d'amour commencent dans un lycée. Moi, je n'ai personne. Je suis plombée. À l'exception de la philosophie que j'adore, les cours me font couler dans un ennui terrible. Il n'y a que Thibault, la seule personne de ma classe avec qui je ne suis pas partie sur de fausses bases en essayant d'être quelqu'un d'autre pour lui plaire, qui m'empêche de sombrer dans l'apathie totale.

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